Il y a seulement deux mois, ces scènes auraient semblé invraisemblables : le port du masque se répand dans nos rues et dans les commerces. Cette question, parmi d’autres, révèle les manquements du pouvoir.
Les usagers des transports en commun dépourvus de masques à Marseille seront verbalisés a annoncé la Préfecture des Bouches-du-Rhône. Alors, pourquoi ne pas rendre les masques gratuits, une bonne fois pour toutes, et les distribuer en nombre suffisant, dans la mesure où le budget mensuel pour l’achat de masques (demandés à la clientèle par de nombreux commerces également) est évalué par l’UFC-Que choisir à 200 euros pour une famille avec deux enfants ? Les groupes « La France insoumise » et Gauche démocrate et républicaine (formé des élus PCF) ne cessent de le demander à l’Assemblée nationale, le quotidien L’Humanité a lancé une pétition en ce sens.
Nombre de collectivités procèdent à des distributions de masques ou les mettent à disposition. C’est le cas, par exemple, dans les Bouches-du-Rhône, de Port-de-Bouc, de Vitrolles depuis le samedi 9 mai ou de Martigues depuis le lundi 11 mai. A Marseille, ce sont notamment, les marins-pompiers qui sont chargés de la distribution de masques dans les différents quartiers. Mais dans la « capitale » de Provence-Alpes-Côte d’Azur, les trois échelons (Ville, Métropole, Département) peuvent se confondre, d’autant plus que les deux derniers sont présidés par la même personne. Ce qui est susceptible de donner lieu à des situations comme celle décrite sur son blog par un de nos contributeurs, Alain Barlatier :
« arrivé à la mairie de « Maison Blanche » qui est entourée d’un parc magnifique par ailleurs, je reçois trois masques chirurgicaux comme prévu. Les six autres en tissu, commandées par la Ville (réutilisables 20 fois) sont aux abonnés absents. Ils se sont transformés en masque en polypropylène (lavables 5 fois) et fournies par la Métropole et le Conseil départemental. Dans le huitième arrondissement, il en est de même. Le bilan de ce rendez-vous est le suivant : trois masques, un en papier, un en propylène, un en tissu. tout cela enveloppé dans des documents établis par la Métropole et le CD 13. C’est un détail me direz-vous ? Je ne crois pas. Nous sommes devant une grande entreprise de communication pré-électorale sur le thème « la Ville, la Métropole, le Département vous protège » (1).
Risque de verbalisation
Donc aujourd’hui, menace de verbalisation alors qu’il n’ y a pas si longtemps, on nous expliquait à grand renfort de conférence de presse, que les masques étaient inutiles pour les « simples » citoyens et qu’ils devaient être réservés aux soignant-e-s. S’il fallait une nouvelle illustration de l’incohérence du gouvernement, de son discours à géométrie variable, elle serait fournie. Le constat est similaire pour le port du masque par les enseignant-e-s.
Pourtant, selon une enquête menée par deux journalistes du Monde, les experts du Haut Conseil de santé publique indiquaient dans un rapport de 2011 : « le stock Etat de masques respiratoires devra être constitué de masques anti-projections (chirurgicaux) et d’appareils de protection respiratoire (FFP2) ». » Rien de neuf dans ce rapport mais au moins une certitude : l’Etat doit continuer d’abonder son stock, pour le grand public comme pour les professionnels, à qui il faudra réserver les FFP2, plus protecteurs » ajoutent Fabrice Lhomme et Gérard Davet. Conclusion, si l’on peut dire : » En 2011, , les masques sont donc considérés comme efficaces et indispensables lors d’une pandémie ». (2) Ce qui était vrai en 2011 ne l’aurait plus été au début de la pandémie du Covid-19 ? Comprenne qui pourra.
Sur cette question des masques, force est de constater que les multiples initiatives citoyennes et les collectivités locales pallient les carences de l’Etat. Il y a plusieurs semaines, l’importation de masques fabriqués en Chine avait cruellement mis en lumière l’absence d’anticipation et de production en France. Malgré les demandes répétées de certains parlementaires, le pouvoir s’est refusé aux réquisitions d’entreprises. En matière d’intervention de l’Etat dans l’économie, il a été, en revanche, beaucoup plus prompt à faire voter un état « d’urgence sanitaire » lourd de menaces pour les salarié-e-s et pour le droit du travail, déjà mis à mal, de loi El Khomri en loi Macron.
Ceux qui ne masquent même plus leurs intentions
D’ailleurs, un collectif d’ « acteurs économiques » des Bouches-du-Rhône (comprendre : des chefs d’entreprise car les salarié-es ne sont jamais considérés comme des acteurs économiques, alors que les la période actuelle montre avec force que sans eux, et souvent les moins considérés, rien ne tourne dans le pays) n’ont pas tardé à s’engouffrer dans la brèche. Dans une lettre ouverte au Préfet, ils demandent « d’assouplir les verrous réglementaires et notamment de suspendre les arrêtés préfectoraux de fermeture par métier liés aux fédérations professionnelles et les arrêtés municipaux (travail dominical, horaires d’ouverture…) ». (3)
Ces mêmes « acteurs économiques » « souhaitent par ailleurs que des dispositifs fiscaux incitatifs sur les heures supplémentaires soient mis en place pour encourager les salariés à étendre leurs horaires de travail s’ils le souhaitent ». Notez bien le « s’ils le souhaitent ». Ce collectif demande à ce que ces mesures soient effectives « au moins pendant douze mois » ! Moralité : c’est la fête à la déréglementation tous azimuts. A croire que la crise sanitaire serait une aubaine. Et pour celles et ceux qui souhaiteraient construire le « monde d’après » autrement, le message est clair : sachez qu’on ne vous laissera pas respirer, même si l’air des grandes villes fut plus sain durant 55 jours.
Si l’on met bout à bout les « revendications » de ces « acteurs économiques » bucco-rhodaniens, les « propositions » du très libéral Institut Montaigne et la diabolisation de la CGT qui a osé demander le report de la réouverture de l’usine Renault Sandouville, on voit que LEUR monde d’après ressemble furieusement à celui d’avant…en pire.
Morgan G.
(1) Blog d’Alain Barlatier
(2) Gérard Davet et Fabrice Lhomme : « 2010-2011. Le changement de doctrine », Le Monde du jeudi 7 mai 2020.
(3) Source : Maritima Info