Après plus d’un an de navette parlementaire, le Palais Bourbon a adopté mercredi en lecture définitive le texte de la députée LREM obligeant les plateformes à retirer sous 24 heures les contenus haineux. Elle prévoit notamment la création d’un parquet dédié comme c’est le cas pour la lutte antiterroriste.
Les députés ont adopté mercredi 13 mai en lecture définitive la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. 355 députés ont voté « pour », 150 ont voté « contre » et 47 se sont abstenus (1). À partir de juillet, les plateformes et moteurs de recherche auront l’obligation de retirer sous 24 heures les contenus « manifestement » illicites, sous peine d’être condamnés à des amendes allant jusqu’à 1,25 million d’euros. Sont visées les incitations à la haine, la violence, les injures à caractère raciste ou encore religieuses.
Le chapitre 1er de la proposition de loi impose aux grands opérateurs de plateforme en ligne, dans un délai de 24h à compter de leur notification, de retirer les contenus faisant l’apologie de certains crimes, provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence ou niant les crimes contre l’humanité, les injures aggravées, le harcèlement sexuel, les contenus pédopornographiques ainsi que la provocation au terrorisme ou son apologie. Ce délai est réduit à 1h pour les contenus à caractère terroriste et pédopornographique qui seraient notifiés aux plateformes par les autorités publiques. Le refus de procéder au retrait de ces contenus dans les délais impartis serait pénalement sanctionné.
Par ailleurs, la proposition de loi crée un parquet et une juridiction spécialisés pour lutter contre les contenus haineux sur internet.
Une saisine du Conseil constitutionnel en vue
La majorité ainsi que les députés UDI-Agir ont pour la plupart voté en faveur de cette « proposition de loi de responsabilisation » des plateformes tandis que les socialistes se sont abstenus. À l’inverse, les parlementaires de droite, de Libertés et territoires, de La France insoumise et du Rassemblement national s’y sont opposés, au nom de la liberté d’expression. Plusieurs jugent aussi les dispositions « inefficientes » sans régulation européenne.
Une saisine par la droite du Conseil constitutionnel se profile, alors que le chef de file des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau, avait fustigé il y a quelques mois un texte confiant aux GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) « le soin de réguler une liberté publique », y voyant une « société de la surveillance généralisée ».
Les Insoumis ont défendu une motion de rejet, demandant par la voix d’Alexis Corbière quelle est « l’urgence à mettre en place une loi liberticide ». Les communistes ont boycotté la séance, dénonçant un « fonctionnement inacceptable » de l’Assemblée nationale, alors que la présence des députés est limitée à 150 pour raisons sanitaires.
Une loi au parcours chaotique
Dans le droit fil de l’engagement d’Emmanuel Macron depuis 2018 à renforcer la lutte contre la haine raciste et antisémite sur Internet, la proposition de loi déposée par La députée macroniste Laëtitia Avia (2) avait entamé son parcours parlementaire en avril 2019. Elle avait ensuite été assez largement remaniée, au gré des critiques ou observations, jusqu’à la Commission européenne qui demandait un meilleur ciblage des contenus incriminés.
Le texte a suscité de nombreuses réserves, notamment du Conseil national du numérique, de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, ou encore de la Quadrature du Net qui défend les libertés individuelles dans le monde du numérique.
« Initialement présentée comme une loi « contre la haine », elle s’est transformée en une loi « antiterroriste », telle qu’on en connaît depuis des années, de plus en plus éloignée du principe de séparation des pouvoirs. »
Une loi liberticide
Inter-LGBT dénonçait encore en début de semaine dans un communiqué une loi « liberticide, contre-productive et inefficace ». Comme de nombreux détracteurs, l’association redoute que les plateformes censurent par précaution, afin d’éviter des amendes, des contenus pourtant légaux ou positifs pour la communauté LGBT.
La proposition de loi initiale demandait aux très grandes plateformes (Facebook, You Tube, Twitter, etc.) de censurer en 24h certains contenus illicites, tels que des contenus « haineux » signalés par le public ou la police. « Pour une large partie, ces obligations seront inapplicables et inutiles, soutient la Quadrature du Net, Laetitia Avia ayant systématiquement refusé de s’en prendre à la racine du problème* ; le modèle économique des géants du Web ».
Jean-Marie Dinh
avec AFP
(1) Qui a voté quoi Analyse du Scrutin. Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet
(2) La députée macroniste Laëtitia Avia a été mise en cause par un article de Mediapart publié mardi à la veille du vote. Elle aurait tenu elle-même des propos sexistes, homophobes et racistes et humilié à plusieurs reprises ses collaborateurs au travail. La parlementaire macroniste va porter plainte pour diffamation.
Pour l’interopérabilité des géants du Web
* La Quadrature du Net, avec 75 organisations de défense des libertés, organisations professionnelles, hébergeurs et FAI associatifs, demandent depuis un an au gouvernement et au législateur d’agir pour que les grandes plateformes (Facebook, You Tube, Twitter, etc.) deviennent interopérables avec les autres services Internet. Des services comme Facebook, Twitter et You Tube tiennent leur pouvoir du nombre élevé d’utilisateurs et d’utilisatrices qu’ils ont rendu captifs : ce grand nombre incite d’autres personnes à rejoindre leur service, et leur captivité permet de leur imposer une surveillance constante à des fins publicitaires. Aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui souhaiteraient y échapper mais sont contraints d’y rester sous peine de perdre le contact avec leurs relations.
Pour les signataires dont la lettre reste ouverte à signature : « Il est urgent de permettre à toute personne d’échapper à la surveillance et à la toxicité de ces grandes plateformes en rejoignant des services libres, décentralisés et à taille humaine sans conséquences nocives sur ses liens sociaux. La loi doit imposer cette interopérabilité ».