Dernière semaine avant les vacances de Pâques : c’est l’heure de la… (roulement de tambours)… tâche finale notée !
« Vous devrez créer une affiche publicitaire qui détourne une autre affiche à la manière du label Fairtrade » ; le mot détourne étant, bien entendu, assorti par mes soins d’un astérisque en précisant la définition.
Ma feuille de consignes ressemble à une recette de cuisine : construites en étapes, agrémentée de fiches auxquelles se référer, saupoudrée de messages encourageants (à vous de jouer les publicitaires, soyez créatifs !), assaisonnée de petits rappels pour les plus tête-en-l’air.
Pas peu fière, je voyais déjà ma recette dans le top 10 sur marmiton.org. Avec, tout en bas de la recette, comme note de l’internaute : « recette immanquable ! Aucun risque de grumeau ! » Et à l’idée de voir tous ces mets délicieusement concoctés, je dansais la gigue.
Sur ces entrefaites, j’ouvre mon pronote et découvre 12 messages non lus parmi lesquels : « madame, je ne comprends pas l’étape 3 », « il faut dessiner l’affiche ? », « ça veut dire quoi détourner ? », « madame je ne comprends pas comment il faut remplir l’affiche c’est trop mélangé ! »…
Bon, pour la recette sur marmiton, on repassera plus tard…
Je prends le taureau par les cornes et j’enfreins sciemment LA règle d’or de tout enseignant.e : surtout, surtout, ne jamais surcharger les élèves d’informations. Mais à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, non ? Alors, je reformule mes consignes avec d’autres mots, recherche des exemples de slogans détournés sur internet, redonne des indications.
Le préfixe re prend ici tout son sens, il est à l’image de l’enseignement à distance : à la fois répétition et éternel recommencement. Ces deux lettres, qui peuvent paraître si insignifiantes me mettent face à une constatation qui l’est beaucoup moins : quelles que soient nos « recettes miracle », la boîte à outils virtuelle à notre disposition (remplie de tournevis, marteaux et autres quincailleries éducatives), l’écran n’est qu’un simulacre de contact humain. Il ne remplacera jamais le langage non verbal, l’atmosphère d’une classe, les images que l’on convoque pour expliquer un concept : toutes ces choses qui, mises bout à bout, forment ce que l’on appelle (pompeusement parfois) la pédagogie et qui ont, à mon sens, une conséquence directe sur l’apprentissage des élèves.
Pourquoi alors vouloir marier enseignement d’un côté et à distance de l’autre ? On sait pourtant pertinemment que les mariages de saveurs douteux sont une déconfiture pour les papilles… Et qu’en matière de confiture comme de recettes, les meilleurs mets se dégustent autour d’une table !
Romane Berlin