La présidente de la Banque centrale européenne dit s’attendre à une récession « considérable » en zone euro en raison de l’impact de l’épidémie de coronavirus. Après avoir tenté de temporiser en appelant les États de l’UE à se coordonner, contrainte par les marchés, Christine Lagarde ouvre les vannes. Elle a mis jeudi 750 milliards d’euros sur la table pour calmer les appétits et ce n’est qu’un début.
Dans une tribune parue vendredi dans plusieurs journaux européens, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde est revenue sur sa position initiale qui était d’éviter un assèchement de la liquidité sur les marchés. « Une grande partie de l’économie est temporairement à l’arrêt, par conséquent l’activité économique dans la zone euro va se contracter considérablement », a estimé la dirigeante française dans ce texte.
Cette tribune a été diffusée au lendemain de l’annonce par l’institut monétaire d’un plan massif de 750 milliards d’euros pour tenter de soutenir l’économie européenne face à l’impact de l’épidémie. Et si cela ne devait pas suffire, la BCE fera « tout ce qui est nécessaire dans le cadre de [son] mandat pour aider la zone euro à surmonter cette crise » car l’institution « est au service des Européens », a martelé Christine Lagarde.
Depuis les annonces faites par Donald Trump, mercredi 11 mars, interdisant les vols européens vers les États-Unis, les bourses renouent avec les heures les plus noires de leur histoire. Les marchés financiers se sont effondrés comme un château de cartes : à Wall Street, l’indice phare Dow Jones a perdu plus de 25% en un peu plus d’un mois, les places boursières de Paris et de Francfort 35%, et celle de Londres 30%. Certaines valeurs sont tombées dans les abîmes. Au point que l’État français envisage des nationalisations, comme pour Air France, qui a annoncé une réduction de son activité de 70% à 90%, et dont le cours de bourse a perdu 55% en un mois.
À l’heure où les marchés continuent de chuter alors que l’économie réelle est à l’arrêt, beaucoup d’analystes s’interrogent. La question d’une suspension des marchés financiers, le temps de régler la crise sanitaire, s’est posée il y a déjà dix jours. Mais le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Robert Ophèle, refuse toute fermeture. Certes, « les prix sont bas mais ils ne sont pas sans rapport avec les incertitudes actuelles », a-t-il expliqué aux Echos. Et d’ajouter : « On ne fermerait les marchés que s’ils ne fonctionnaient pas correctement. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui ».
Le ministre des Finances Bruno Le Maire et le président de l’AMF ont uniquement décidé de suspendre les ventes à découvert, qui permettent de parier sur la baisse des cours, pour un mois. Des mesures complétement anecdotiques face au mouvement qui est engagé. Tous les opérateurs parient à la baisse et ceux qui ont perdu gros sont contraints de liquider le reste de leurs placements pour se renflouer. Laisserait-on les bourses ouvertes pour permettre aux joueurs de se refaire ? En laissant s’effondrer les valeurs, on mise clairement sur le financement des États et des Banques centrales dont la mission est de sauver l’économie réelle.
Suite à la baisse des taux directeurs opérés par la Réserve fédérale des États-Unis (FED), puis la Banque d’Angleterre (BOE), certains investisseurs s’attendaient à ce que la Banque centrale européenne (BCE) fasse de même en agissant notamment sur son taux de dépôt actuellement à -0,5%. Or, l’institution de Francfort a décidé, dans un premier temps, de maintenir ses taux inchangés. L’absence d’une baisse des taux était accompagnée d’une enveloppe de 120 milliards d’euros supplémentaires dans le cadre du programme de rachats d’actifs, ce que les marchés ont tenu pour négligeable. Les marchés ont soif et ils s’attendent à un geste à la mesure de ce qu’avait déployé la BCE entre mars 2015 et fin 2018 ; pas moins de 2.600 milliards d’euros avaient été déversés sur les marchés.
Dans la première phase de sa stratégie, Christine Lagarde a clairement indiqué « qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que les banques centrales répondent en premier à cette crise ». En d’autres termes, elle invitait les États agir à travers des mesures fiscales et de soutien au chômage. Mais cela n’est pas parvenu, loin s’en faut, à calmer les marchés qui exigent des banques centrales des engagements massifs et rapides alors que les États prennent plusieurs mois à se mettre d’accord pour parvenir à une réponse coordonnée, lorsqu’ils y parviennent.
Il est probable que la BCE privilégiait une approche par étapes pour garder des mesures en réserve en fonction de la réaction des marchés, mais aussi pour prendre de véritables mesures de relance lorsque le pic de l’épidémie se profilera. Désormais, la BCE va financer massivement les États en achetant directement leurs dettes sur les marchés. Christine Lagarde a d’ailleurs promis qu’il « n’y a pas de limites à notre engagement », suggérant que d’autres mesures pourraient suivre, et ce quitte à utiliser « le plein potentiel de nos outils ». Un total retournement de situation par rapport à sa position de départ.
Le risque, face à cet « Océan d’incertitude », est de voir la BCE — dont la marge de manœuvre demeure limitée dans un environnement de taux durablement bas — écouler toutes ses munitions trop rapidement et se retrouver à court de mesures dans le cas où la crise sanitaire s’installerait dans le temps. Le choc avec le réel risque d’être très brutal lorsqu’il faudra relancer l’économie après la crise.
Jean-Marie Dinh
Voir aussi : Panique sur les marchés: De la catastrophe au cataclysme,