Le peuple italien que le cliché veut indiscipliné, rétif à toute règle, s’y plie mais à sa manière, avec ironie et inventivité.
Ce peuple d’individualistes affables à la tactilité ravageuse, doit vivre cloîtré mais pour pallier le manque, il invente des nouvelles formes de sociabilité, le vivre ensemble malgré tout étant pour l’instant le seul antidote au virus.
Je l’avoue ce matin j’ai eu une attaque de coronachauvinisme… En consultant la presse sur mon P.C. je suis tombé sur des vidéos où l’on voyait des enfants, des adultes et des personnes âgées, qui depuis leurs balcons jouaient de la musique et chantaient. Dans une autre, un personnage criait les numéros du loto au milieu d’une cour entourée d’immeubles d’un quartier populaire et chacun, des fenêtres, des balcons répondait et y allait de son commentaire. C’était dans mon pays, en Italie et j’ai un mouvement de joie et un large sourire: en quarantaine, confinés, mais ensemble, séparés pour mieux accorder notre musique commune, le virus même devenant porteur d’amitié.
Ce peuple que le cliché veut indiscipliné, rétif à toute règle s’y plie mais à sa manière, avec ironie et inventivité. Ce peuple d’individualistes affables à la tactilité ravageuse, doit vivre cloîtré mais pour pallier le manque, il invente des nouvelles formes de sociabilité, le vivre ensemble malgré tout étant pour l’instant le seul antidote au virus. Ce peuple à « la tragédie théâtralisée » dixit les quatre roues motrices en branle, l’inénarrable Alain Duhamel (BFMTV), jamais avare d’un poncif, se maîtrise.
Cela ne s’apprend pas en un jour et il nous a fallu des siècles pour apprendre à ne pas être, au moins pas souvent, des pisse-froid, des roumegaïres à la morosité tenace et ironiser sur tout et d’abord sur soi-même. De surcroît, nous avons un solide sens de la réalité sans abstraction aucune et une capacité de résilience personnelle qui s’appuie sur les réseaux familiaux et amicaux encore très forts. Un homme politique avait déclaré « qu’il n’est pas impossible de gouverner les Italiens…c’est inutile » en stigmatisant de la sorte une forme d’anarchisme congénital.
Et pourtant. Et pourtant il est étonnant de voir l’attitude insouciante des Français qui se veut une sorte de bravoure, le manque de respect des consignes de protections qui se veut frondeur, l’aveuglement malgré les alertes et les nouvelles non–stop, le fait de ne pas comprendre que l’on met en danger les autres et soi-même. Un peuple élevé au biberon du rationalisme qui déraisonne, des individus avec la religion de l’État chevillée au corps qui se lâchent, un peuple de révoltés qui se trompe de révolte. Mais l’’attaque a peu duré et le chauvinisme a vite disparu…
L’Histoire nous apprend que le caractère des peuples ressort dans des moments difficiles : guerres, crises sociales, épidémies, révoltes et révolutions. C’est l’essence de l’histoire qui se révèle, la normalité administrative se casse et l’imprévisible fait irruption. C’est à ces moments que le politique doit prendre des décisions et révèle son éthique : notre président dans son allocution s’est dit déterminé à « interroger le modèle dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies ». On aimerait que, passée cette situation de crise, il commence à s’interroger sur le modèle qu’il propose à la France et à ses instances démocratiques. Qu’il s’interroge sur le projet social à renouveler.
Depuis hier, nous aussi en France, sommes « italianisés » assignés à résidence, confinés et pour certains d’entre nous, éloignés des êtres chers. « Nous sommes en guerre » a martelé notre Président et cet état d’urgence met à jour les failles et les aberrations que l’organisation actuelle des pays occidentaux a produites et qu’il s’est engagé à changer. Cela ne se fera pas sans rupture avec un monde que la pandémie a fait vieillir en quelques semaines.
Gianni Angelini
