Les rassemblements et manifestations se multiplient depuis dimanche dans les Bouches-du-Rhône après l’annonce de l’utilisation de l’article 49.3 par le Premier ministre Edouard Philippe. Le lundi 2 mars, malgré l’heure inhabituelle et le mistral, le rassemblement devant la Préfecture, à Marseille, a été très suivi .
Signe des temps : c’est probablement la première fois dans notre histoire récente que la riposte à un mauvais coup est aussi immédiate. Dès samedi soir, une première manifestation pour dire « non » au 49-3 mis en oeuvre par le tandem Emmanuel Macron-Edouard Philippe se tenait à Paris, devant l’Assemblée nationale. Sur les lieux du crime, en quelque sorte. Beaucoup plus au sud, Montpellier et Toulouse n’ont pas tardé à emboîter le pas aux manifestants parisiens.
Dans les Bouches-du-Rhône, le recours au 49-3 a donné lieu à un première protestation devant la Préfecture à Marseille, dès l’annonce. Le dimanche soir, Martigues prenait le relais, puis Istres le lendemain avec un rassemblement devant la Sous-Préfecture, et à nouveau Marseille par deux fois (lundi soir et mardi matin). Le rassemblement programmé dans l’urgence lundi à 18h y a réuni les organisations syndicales opposées depuis le début à cette « réforme » des retraites (CGT,Solidaires, FSU, FO), le syndicat libertaire CNT, le Syndicat des Avocats de France, les Gilets jaunes, la France insoumise, le PCF…Les quatre prises de parole syndicales ont toutes réaffirmé la nécessité de la poursuite de la lutte, plus que jamais. « Ce 49.3, bien sûr que c’est une honte, un scandale, mais c’est une péripétie de plus dans le combat contre la réforme des retraites, cela ne siffle pas la fin de la bagarre » souligne une syndicaliste de la FSU. A Marseille, la présence du Syndicat des avocats de France est devenue un classique des journées de manifestations. Non pas pour défendre quelque avantage catégoriel mais pour rappeler, selon les mots de Frédérique Chartier, que » cette réforme touche tous les cabinets qui défendent les petites gens ». Faut-il préciser qu’il n’ y a pas que des Dupont-Moretti dans cette profession ? En tout cas, précise l’avocate, « nous sommes en grève totale depuis le 3 janvier, c’est un mouvement inédit, seul Macron a réussi à nous mettre tous dans la rue ».
La ténacité des opposants à la « réforme »
Indignation et ténacité semblent les maîtres mots de toutes celles et ceux qui refusent d’être sacrifiés sur l’autel de la future retraite par capitalisation, des pensions en baisse et du recul de l’âge du départ en retraite. Les arguties du gouvernement et des député-e-s à sa botte, incapables de répondre aux questions de l’opposition sur la véritable teneur de cette réforme, n’ont pas convaincu. A tel point que le calendrier des rendez-vous militants s’allonge de jour en jour dans les Bouches-du-Rhône. A la journée intersyndicale nationale du 31 mars déjà prévue sont venues s’ajouter la manifestation du mardi 3 mars à Marseille ( à laquelle a pris part le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez), celle du jeudi 5 mars, une « journée spéciale Education » le 12 mars….Sans oublier « la grève des femmes » le dimanche 8 mars car « contrairement à ce qu’on nous dit, elles seront les grandes perdantes de cette réforme des retraites » souligne une représentante de Solidaires. Etant davantage concernées par le travail à temps partiel, les bas salaires et les carrières hachées, on voit mal comment il pourrait en être autrement. D’autant plus que « les débats dans l’Hémicycle ont permis de révéler que le point ne sera pas indexé sur les salaires mais sur le « revenu moyen d’activité par tête », une notion inconnue qui repose sur un indicateur inexistant » (1)
Ce qui existe, en revanche, c’est le sentiment que la détermination ne faiblit pas chez les opposants à cette « réforme » emblématique de la « macronie », dans le fond comme dans la forme. « Chaque fois que le gouvernement a pensé porter l’estocade à ce mouvement, on a trouvé ensemble la force de rebondir » note Olivier Mateu, secrétaire de l’Union départementale CGT 13. « On peut rendre hommage aux parlementaires insoumis et communistes qui relaient les luttes qui se mènent dans le pays depuis quasiment deux ans avec la grève des cheminots contre la casse du service public ferroviaire, le mouvement des Gilets jaunes, la lutte en cours » poursuit-il. Face à ce qu’il qualifie de « fascisme financier » de la part du gouvernement, le responsable syndical considère qu’ il y a « besoin de construire un front le plus large possible pour travailler avec celles et ceux, organisations, mouvements qui sont prêts à s’engager pour construire la riposte nécessaire pour faire reculer le gouvernement sur la réforme et sur l’ensemble de ses politiques réactionnaires ». « Ils ont crevé des yeux, ils ont mis des mecs en prison, ils ont sali des syndicalistes. La peur, c’est eux qui doivent la ressentir, ils savent qu’ils sont au bord de la rupture, sans cela ils auraient laissé le débat aller à son terme » s’insurge-t-il. Preuve que l’heure n’est pas à l’apaisement de la part du pouvoir, le responsable syndical CGT des portuaires et celui des agents territoriaux du « 13 » seront convoqués par la justice les 12 et 16 mars.
Télescopage de l’actualité, à l’issue de cet épisode du très attendu 49.3 et d’un week-end mouvementé dans le monde du cinéma, les médias dominants ont bien mérité le « César » de la servilité en relayant complaisamment les éléments de langage sur le prétendu « blocage » mis en oeuvre par l’opposition de gauche. « Incroyable : l’opposition s’oppose » a ironisé la députée Clémentine Autain. Il semblerait bien que ces député-e-s empêcheurs de légiférer en rond ne soient pas seuls. Tous ces gens là ne croient pas à l’avenir radieux de la retraite par points et au bonheur indicible des retraités suédois ? Quelle ingratitude face à ceux qui nous veulent tant de bien, à l’image du « Monsieur retraites » du gouvernement, Laurent Pietraszewki qui a courageusement dénoncé « la confiscation du débat » (sic) mardi sur RTL!. Le même jour, le journal télévisé du soir sur France 2 accordait…une brève aux manifestations contre l’utilisation du 49.3. Le choix avait été fait de privilégier l’anxiogène coronavirus.
Il n’est pourtant pas certain que cela démobilise : le lundi 2 mars, plusieurs centaines de participants au rassemblement de Marseille ont décidé de le prolonger par une manifestation spontanée dans les rues balayées par le vent. Sous bonne escorte des CRS et de la B.A.C mais sans incidents. Aux « Macron démission » des Gilets jaunes se mêlaient les « Marseille, soulève toi ». Illustrations des multiples colères qui sourdent dans le pays…
Morgan G.
(1) L’Humanité du lundi 2 mars 2020.