Oui à l’image Eco responsable remarquablement apolitique ! Relevons ensemble le défi de la planète et de l’avenir. On se battra férocement contre le béton. On met du vert sur nos affiches, du vert dans nos programmes. On mange du vert à la cantine. On pense demain, en vert. Le vert est partout, impossible de vivre sans lui, d’ailleurs les gens sont si bêtes que si vous mettez du miel sur la table, ils pensent que c’est de la merde, alors que si vous mettez la merde dans une boite verte, et ben ça change tout.
Et voilà comment on passe dans le domaine de l’art post Manzoni (1). Le MO.CO, centre d’art contemporain de Montpellier, première et seule véritable réalisation de Philippe Saurel dans le domaine culturel, se met au vert himself avec l’expo Permafrost (2). C’est tout naturel pour une structure qui se définit comme « un écosystème artistique », allant de la formation des artistes à la collection.
Cette troisième grande exposition se présente comme un paysage changeant. « Permafrost explore plus particulièrement comment les systèmes actuels (écosystèmes, capitalo-systèmes et systèmes symboliques) évoluent et se transforment dans un mouvement permanent et incontrôlable de morphogenèse. Les oeuvres participent à la création du présent comme de l’avenir, produisent la réalité comme la science-fiction, et posent la question : quels symboles, formes et mythologies peuvent encore apparaître quand les systèmes connus s’effondrent, les paysages se délitent, les cycles se dérangent ? ».
Ça donne envie d’aller voir, d’autant que les deux premières expositions du MO.CO nous ont offert un panorama d’expressions exceptionnelles et très bien articulé. La dernière s’intitulait « Les non-conformistes », un morceaux d’histoire sur l’art russe des années 60, une mosaïque de souvenirs émotionnels, dont on sort avec un petit goût d’acier dans la bouche.
Pavlenski une gueule impossible
Ah, les artistes libérés de la perestroïka, pleins de verves et de révoltes, c’était il y a 30 ans déjà… Depuis ce lancement de soutien-gorge, les tables de l’art russe ont tourné. Prenez Pavlenski qui fout le feu aux portes du FSB. Le type est jugé. Il prend trois ans de prison. Après onze mois de préventive, il considère ce passage comme « partie intégrante de son œuvre ». Il y a quand même du process et des couilles… qu’il trouve le moyen d’aller clouer sur la place rouge en 2013, la classe !
Ce doit être vrai — puisque ça fait l’unanimité de la classe politique et de la presse, plus pas mal de papas et quelques mamans — son histoire de sextape avec le candidat de La République en marche, n’était pas très fairplay. L’artiste subversif dit vouloir dénoncer « l’hypocrisie » de l’ex-candidat à la mairie de Paris. Vous appelez ça de l’art ? C’est juste scandaleux ! Et si on laisse faire, vous vous imaginez où ça pourrait nous conduire… Et puis cette expression, il a franchement une gueule impossible à sortir du RER aux heures de pointe.
Sans surprise, la presse russe s’étonne : « Jusqu’alors les performances de Pavlenski étaient très appréciées par les médias occidentaux… » peut-on lire sur le site d’info proche du Kremlin Vzgliad rapporte Le Courrier International. « Pavlenski ajoute du feu à l’élection du maire de Paris » observe le quotidien Kommersant. Mais la vraie question devrait être : comment le peuple parisien va-t-il sortir de ce désastre ?
Greenwatching c’est le mot d’ordre
Retour à Montpellier ; dans Permafrost, les artistes (3) « s’emparent de différents régimes esthétiques, formels et narratifs, ils/elles brouillent les frontières entre passés lointains et futurs proches, ères géologiques et chaînes de production, cherchant à élaborer des systèmes esthétiques répondant aux enjeux de notre temps, des formes de résistance. »
De quoi faire fleurir l’esprit de l’artiste montpelliérain Stéphan Barron qui a créé une série d’actions et d’œuvres sous le titre Greenwatching. « Tout doit être repeint en vert ! C’est le mot d’ordre général, c’est la mode ! Après le plus blanc que blanc, voilà le plus vert que vert ! Le phénomène du greenwashing à l’œuvre dans le domaine économique et le marketing ont gagné les partis politiques, l’homme de la rue et maintenant le milieu de l’art. Fermez les yeux, tout est vert ! ».
Pour se jouer de cette manipulation et la dé/retourner Stéphan Barron, créateur du concept de « Technoromantisme (4) », a proposé deux œuvres sur le Greenwashing au MO.CO. Toutes les deux ont été refusées par les institutions de la ville. Oui.
Pourtant, Barron est dans la vibe. Il fustige avec véhémence le greenwashing qui peu à peu envahit le monde de l’art contemporain. « Rien encore d’hégémonique mais un indéniable symptôme, celui, consensualiste, de la nécessité artistique de « faire vert », de fourrer de l’écologie partout, en toute oeuvre, à tout bout de champ, en verdissant au maximum l’espace des musées et autres lieux d’exposition ».
En 2016, armé d’un puissant fumigène, cet utopiste a arpenté et empli de fumée, jusqu’à invasion totale, la cour intérieure du centre d’art La Panacée. Sans apparemment y laisser un souvenir indélébile. Mais il en faut plus pour décourager cet artiste « inessentielle » au marché. Lors de l’inauguration du MO.CO, Barron présente à ses frais son œuvre « Résolument » dans un immeuble à 200 m du centre d’art.
Un non-conformisme symbolique ?
Animé par un impératif crucial, l’artiste présente actuellement ONgreen (5) au RDC du parking de la gare. On peut ainsi se trouver face à l’emblème du Greenwashing dans les rues de Montpellier. Même si la proposition est totalement ignorée par l’institution au point de se demander quelle tension interne elle peut bien engendrer.
L’artiste s’estime censuré par le MO.CO et la ville : « J’ai d’abord été désinscrit puis expulsé d’une visite presse, alors que cette visite presse passait devant l’œuvre près de la gare. Il eut été positif pour tous de laisser les journalistes du monde entier, payés par le contribuable, écouter cinq minutes la présentation d’une œuvre produite dans le contexte de l’inauguration… J’ai été ensuite empêché de distribuer des invitations par les vigiles du MO.CO sous menace d’expulsion du vernissage ».
Une oeuvre qui fait écho à un moment fort de notre contemporanéité — soit-il celui, intense, d’un enjeu politique comme l’écologie ou d’une simple couleur comme le vert — peut-elle se passer des réseaux officiels ? Le discours de l’art sur le non-conformisme, l’amour de la résistance, et l’ouverture sur la cité doit-il se vivre comme une référence symbolique ou une nostalgie, sans jamais s’approcher du réel ?
Quelles que soient les réponses, qui renverront probablement l’artiste aux conditions rudimentaires dans lesquelles on lui permet d’exercer sa liberté, cela ne le prive en rien de toucher au fondement de l’insurrection qui fait sa force.
Jean-Marie Dinh
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En référence à Merde d’artiste, une œuvre de l’artiste italien Piero Manzoni influencée par les ready-mades de Marcel Duchamp. Réalisée en 1961, l’oeuvre se compose de 90 boîtes de conserve cylindriques en métal, hermétiquement fermées, qui contiennent les excréments de l’artiste, étiquetées, numérotées et signées.
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Permafrost au MO.CO jusqu’au 03/05/2020
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Deniz Aktaş, Ozan Atalan, Nina Beier, Dora Budor, Rochelle Goldberg, Eloise Hawser, Max Hooper Schneider, Nicolás Lamas, Pakui Hardware, Michael E. Smith, Laure Vigna.
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Le Technoromantisme thématise l’alliance de l’imaginaire artistique et des utopies écologiques dans le contexte technoscientifique.
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ONgreen de Stephan Barron, installation lumineuse, 1000 mètres carrés en vert fluorescent – Parking de la gare de Montpellier. Cette installation est visible 24 h sur 24 côté ville, des voies de trains ou du Pont de Sète.