A l’approche des élections municipales des 15 et 22 mars, associations et collectifs s’adressent aux candidat-e-s, notamment pour alerter sur les urgences écologiques et obtenir de vrais engagements. Illustrations dans les Bouches-du-Rhône.
Et si l’intervention, ou plutôt les interventions citoyennes, étai(en)t la nouveauté des élections municipales 2020 ? De la naissance de multiples collectifs ces dernières années (notamment à Marseille) à la présence de listes qui revendiquent l’étiquette citoyenne (L’Archipel à Toulouse, la liste conduite par Alenka Doulain à Montpellier…), cette irruption peut prendre des formes diverses. Si le succès, en 2014, de la liste participative de Saillans, (un village de la Drôme de 1200 habitants), peut être considéré comme une source d’inspiration ou une sorte d’acte fondateur, le phénomène touche aujourd’hui des grandes villes. Le mode de désignation des candidat-e-s y prend des formes inhabituelles comme à Toulouse où « le gros de la liste d’Archipel citoyen (61 noms) a été désigné à la suite d’un appel qui a livré 150 candidatures volontaires ou plébiscitées par un entourage ». (1) Quant au fond de la démarche mise en oeuvre par ce type de listes, le sociologue Guillaume Gourgues y voit la volonté d' » aller au coeur du fonctionnement municipal pour le changer en profondeur. C’est un phénomène absolument passionnant. Il ne va pas renverser la planète, mais c’est un point de départ » (2)
Une réponse à la crise, grave, de la représentation démocratique qui traduit les limites de la délégation de pouvoir ? Ou la preuve d’une vitalité politique, au sens premier du terme (la vie de la cité) qui demeure, envers et contre tout ce qui pourrait dégoûter les citoyens-citoyennes de la vie publique ? A chacun de choisir (ou pas) son option. Elisabeth Dau, co-présidente de l’association Action commune, a, elle, choisi la version verre plus qu’ à moitié plein : « nous sommes à l’heure d’une transformation culturelle majeure, où tout le monde, et d’abord chez les plus jeunes, commence à concevoir qu’il est possible d’être élu et de participer concrètement à l’action publique » (3)
Interpellez, interpellez, il en restera toujours quelque chose
Tout le monde ne franchit pas le pas de la présentation de listes et l’irruption citoyenne peut prendre des formes que l’on pourrait qualifier de plus classiques : l’interpellation des listes en présence pour faire valoir ses revendications et propositions. Il ne s’agit plus simplement d’être représenté sur une liste ou de se prononcer le jour du vote sur la foi d’un programme ou du bilan de l’équipe sortante, mais de tenter d’avoir des engagements précis de la part des candidat-e-s.
Emmaüs Pointe Rouge à Marseille s’empare du débat sur les municipales pour réclamer aux listes en présence quatre engagements majeurs sur le logement (lutte contre l’habitat indigne, mesures pour résorber le phénomène des sans-abris, offre de logements pour les plus démunis, garantie du maintien dans le logement). Au total, 29 associations marseillaises ont signé cet appel de la Fondation Abbé Pierre.
Interpeller, c’est aussi la démarche choisie par Alternatiba, mouvement écologiste né à Bayonne avant la COP 21 qui a essaimé en de nombreuses villes du pays. Alors que l’attention portée aux questions écologiques progresse- à tel point que beaucoup y voient un enjeu majeur de ces élections- à Marseille, plusieurs associations (Action non violente-COP21, Alternatives Territoriales Aix-Marseille-Provence, Greenpeace, Alternatiba Marseille et le Collectif Vélos en ville) ont organisé une mise en scène spectaculaire sur les escaliers de la gare Saint-Charles, le 21 janvier. Le but : interpeller les candidat-e-s sur « l’urgente question de la mobilité et de la pollution de l’air en ville ». En effet, en décembre 2019, un rapport publié par le Réseau Action Climat, Greenpeace et l’Unicef classait Marseille à la dernière place parmi les douze plus grandes agglomérations du pays en matière de lutte contre la pollution de l’air. Encore un bon point à porter au crédit de Jean-Claude Gaudin ? En tout cas, les militants associatifs n’ont pas lésiné sur les actions symboliques en ce 21 janvier : figurants entravés par de gros nuages noirs et enveloppés dans du plastique pour illustrer « l’air irrespirable de la deuxième ville de France », panneaux représentant les taux de pollution au dioxyde d’azote relevés à proximité des établissements accueillant des enfants (crèches et écoles)…Quatre listes ont répondu à ce rendez-vous fixé par les associations : celles d’EELV (Debout Marseille), du Printemps marseillais (liste conduite par l’ex-EELV Michèle Rubirola qui réunit France insoumise, PCF, PS et acteurs de la « société civile »), de Samia Ghali (Divers gauche, ex-PS) et de LaREM.
Pour sa part, le Collectif Alternatiba Ouest étang de Berre a adressé un long texte aux différentes listes ( à l’exception notable de celles présentées par le Rassemblement national) qui brigueront les suffrages des électeurs dans les différentes communes situées à l’Ouest de l’étang de Berre et sur la Côte bleue (4). En partant notamment d’un constat établi par le GIEC (Groupement intergouvernemental d’études sur le climat) selon lequel « 50 à 70 % des solutions pour le climat se situent à l’échelle locale ». Pour le collectif, il est encore temps d’agir, même si « l’objectif de maintenir le réchauffement climatique sous la barre des + 1,5 degrés ne sera probablement pas atteint ». Attendons donc encore un peu avant d’être définitivement désespérés…
« Dans votre commune, certaines initiatives ont déjà été mises en oeuvre ou sont en cours. D’autres sont annoncées dans le Plan Climat Métropole récemment voté ou dans votre programme. Cependant,l’impérieuse nécessité de rester sous la barre des 1,5-2°, particulièrement en région méditerranéenne, implique de s’engager non sur quelques points mais sur l’ensemble des secteurs clés » : c’est en ces termes que le collectif interpelle les différents candidat-e-s, en reprenant la formule des scientifiques du LabEx OT-Med de l’Université d’Aix-Marseille selon lesquels » ne rien faire coûtera d’ici 2050 quatre fois plus cher que de tenter de limiter le réchauffement aujourd’hui à +1,5°C ».
Le collectif Alternatiba recense des priorités dans cinq grands domaines d’action: agriculture et alimentation, énergie-logement, mobilité-transports, pollution-réduction des déchets-eau et biodiversité, démocratie-vivre ensemble. L’autonomie alimentaire étant à ses yeux » un enjeu incontournable pour les prochaines années », le Collectif demande » la préservation des terrains agricoles et des parcelles cultivables en ville », la création d’une régie municipale agricole, le développement et le soutien d’une » filière paysanne bio et locale », le soutien aux réseaux de distribution de proximité, marchés paysans et AMAP, le développement des jardins partagés…Alternatiba Ouest étang de Berre souhaite « atteindre rapidement 50% de nourriture bio et locale dans les cantines » et « aller vers plusieurs repas végétariens par semaine à la rentrée 2022, avec accompagnement des services et information des parents pour limiter l’alimentation carnée ».
Energie : économies et sobriété
En matière d’économies d’énergie et d’approche du logement, pour le Collectif, il existe « trois leviers actionnables à l’échelle de la commune » : la sobriété, l’efficacité et le recours aux énergies renouvelables. D’où les propositions de réduction de l’éclairage nocturne, d’interdiction de l’affichage publicitaire lumineux, de limitation du chauffage en hiver ou de la climatisation en été…et, sujet qui fait débat actuellement, d’interdiction des terrasses chauffées pour les bars.
Selon Alternatiba Ouest étang de Berre, on peut améliorer les performances énergétiques, notamment en favorisant la rénovation thermique des bâtiments communaux et des logements ou en équipant les éclairages publics de dispositifs d’allumage automatique. Le Collectif se prononce également pour « la mise en place d’un service communal ou intercommunal de Conseil en énergie partagée pour les usagers et en priorité pour les ménages en situation de précarité énergétique, ainsi que pour le patrimoine communal afin d’alimenter un plan de travaux à long terme ». Le collectif propose aussi de » développer les énergies renouvelables sur le territoire communal afin de substituer aux énergies émettrices de gaz à effet de serre des énergies bas carbone ».
Renforcer l’attractivité des transports en commun, réduire les pollutions
La question des transports est devenue un des principaux enjeux des municipales. Car même si les transports ne sont pas la seule source de pollution, ils y contribuent largement. On se s’étonnera donc pas de voir le collectif local d’Alternatiba plaider pour le renforcement de l’offre et de l’attractivité des transports en commun et pour le développement des navettes maritimes. A ce jour, une ville comme Martigues dispose de deux navettes de ce type (gratuites) qui assurent la liaison entre les quartiers historiques du centre-ville. Aller vers la gratuité des transports en commun en ville, favoriser la pratique du vélo en augmentant le nombre de kilomètres de pistes cyclables sécurisées et en aménageant des parkings à vélo en centre-ville et à proximité des équipements publics, installer des parkings relais gratuits en périphérie des villes figurent aussi parmi les propositions du Collectif.
Ces dernières années, le territoire Golfe de Fos-Etang de Berre a été sous les feux des projecteurs à travers l’étude en santé participative « Fos Epseal », (5) menée par une équipe de chercheurs pluridisciplinaire, ou, plus récemment, à travers le documentaire Les révoltés de la pollution, diffusé sur France 3. Ces deux réalisations exploraient le lien entre pollutions d’origine industrielle et santé des salariés et des riverains des sites. « Nous demandons que des solutions locales soient proposées pour soutenir un projet de territoire visant une industrialisation plus durable et le déploiement des énergies renouvelables venant en substitution des énergies fossiles: éolien offshore, hydroliennes, méthanisation » indiquent les militant-e-s d’ Alternatiba qui proposent d’ « agir avec les associations de victimes de pollutions » comme l’Association de défense et de protection du littoral du Golfe de Fos (ADPLGF) et l’Association de défense des victimes de maladies professionnelles (Adevimap).
La lutte contre les pollutions passant également par une une politique de réduction des déchets, le collectif plaide notamment pour l’installation de composteurs en bas de chaque immeuble de logement social et le soutien à « toutes les initiatives concourant à une politique zéro déchet ».
Démocratie et « vivre ensemble »
Le collectif Alternatiba Ouest étang de Berre considère qu’une « politique de transition efficace et socialement juste ne peut réussir sans le développement de pratiques démocratiques et d’accueil ». Il se prononce donc pour « l’élargissement de la participation citoyenne dans la définition des besoins et l’élaboration de projets », la création de « commissions extra-municipales du temps long pour représenter les intérêts de la nature et des générations futures », « la création de « maisons de l’hospitalité » et la constitution de réseaux d’accueil et d’entraide pour les précaires et les déplacés » ,ainsi que pour « un fonctionnement des conseils de quartiers résolument tourné vers la participation active des habitants ».
On peut y voir un signe supplémentaire des exigences citoyennes qui se font jour dans cette campagne des élections municipales 2020 : le collectif assure qu’il « sera attentif aux engagements pris par les candidats » et à ce que « les mots soient suivis de faits ». (6)
Morgan G.
(1), (2) et (3) : Politis, du 13 au 19 février 2020
(4) Neuf au total : Carry-le Rouet, Sausset-les-Pins, Châteauneuf-les-Martigues, Gignac-la-Nerthe, Martigues, Istres, Saint-Mitre-les-Remparts, Port-de-Bouc, Fos-sur-Mer.
(5) Fos Epseal : Etude Participative en Santé Environnement Ancrée Localement, publiée en janvier 2017. Réalisée par une équipe interdisciplinaire de chercheuses (épidémiologiste, anthropologue, sociologue…), elle aboutit au constat d’une « prévalence, chez les adultes, de l’asthme cumulé, des cancers (notamment chez les femmes) et des diabètes (…) plus élevée à Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône qu’en moyenne en France ». (https: //fosepseal.hypotheses.org)
(6) Lettre d’Alternatiba Ouest étang de Berre.