Le sommet de Madrid sur le climat se termine avec des jours de retard et une durée record, mais le blocus empêche un accord sur les marchés du carbone. Les pays parlent de «déception» et les ONG considèrent la COP25 comme un échec.
Par Nicolás Pan-Montojo / Altermidi Madrid
L’augmentation de l’ambition dans la lutte internationale contre le changement climatique est reportée d’un an. La COP25 s’est clôturé ce dimanche à Madrid avec deux jours de retard et après avoir battu son propre record de durée, mais sans accord sur la régulation des marchés du carbone, son principal objectif, qui sera discuté l’an prochain à Glasgow. Seule la pression finale du Chili et de l’Espagne pour parvenir à un pacte minimum a réussi à introduire une timide ambition dans la déclaration finale qui reconnaît que les efforts actuels ne suffisent pas à freiner le réchauffement climatique.
Il est vrai que ce sommet sur le climat a été considéré par les parties et par les observateurs internationaux comme un sommet de transition technique, car seuls quelques aspects manquants à l’accord de Paris devaient être résolus. Mais le mauvais résultat final contraste fortement avec l’importance que la question prend pour la société civile, comme en témoignent l’émergence des mouvements environnementaux, surtout dans la jeunesse.
« Ce n’est pas suffisant, et c’est pourquoi nous ne sommes pas satisfaits. Les nouvelles générations attendent plus de nous, nous avions l’obligation d’être à la hauteur des circonstances », a déclaré la présidente de la COP25, la ministre chilienne de l’environnement, Carolina Schmidt. Un par un, les représentants des pays qui ont pris la parole dimanche matin en séance plénière de clôture ont résumé le résultat du sommet en un seul mot : « déception ».
Par contre, la déclaration finale est l’un des rares points positifs du marathon de négociations ce week-end. Intitulé Madrid-Chili, il est temps d’agir, le document a dû jongler avec la linguistique pour pouvoir recueillir l’unanimité de tous les pays et n’a été approuvé qu’à la dernière seconde avant la plénière finale. Pour le ministère de l’environnement espagnol, qui a dirigé les négociations de la déclaration, « le texte sert de base pour que les pays soient plus ambitieux face à l’urgence climatique ».
Actuellement, les efforts mondiaux devraient être multipliés par trois pour limiter l’augmentation de la température au niveau préindustriel à 2 degrés, l’objectif principal de l’accord de 2015. Et par cinq si on ne veut pas dépasser les 1,5 degré, point à partir duquel les dommages pourraient être irréparables, comme l’ont averti la communauté scientifique et l’ONU.
Pas d’accord sur l’article 6
La principale raison de l’allongement des négociations jusqu’à dimanche matin a été le blocus qui a été constaté autour du déjà célèbre article 6 de l’accord de Paris qui formalise la figure du marché des émissions. Ce règlement est essentiel pour réduire les gaz à effet de serre à l’échelle mondiale car il s’agit d’un système permettant à un pays qui émet plus d’en payer un autre pour réduire une quantité équivalente de gaz grâce à des projets d’atténuation et d’adaptation.
« Nous voulions rédiger un article 6 qui soit solide, quelque chose de très important pour les pays en développement », a déclaré Schmidt lors de la clôture de la plénière de la COP25.
« Malheureusement, nous n’avons pas pu conclure d’accord, mais nous étions si proches. Nous étions prêts », a-t-elle apostillé.
L’un des principaux responsables de l’échec a été le Brésil qui, soutenu par des pays tels que l’Arabie Saoudite ou l’Inde, a bloqué toute formulation spécifique de l’article. L’objectif était clair : empêcher que la porte du double comptage ne soit complètement fermée, c’est-à-dire que le pays qui vends ses droits d’émissions pourrait encore les enregistrer comme siennes. Cette idée introduite par le Brésil, de doubler la comptabilité, est terrible si on veut que les marchés d’émissions remplissent leur objectif de réduction d’émission carbone.
Au final, il a été décidé de reporter l’affaire à la COP26 de décembre 2020 à Glasgow, en se référant à la maxime qui a rendu célèbre l’ancienne dirigeante britannique Theresa May : qu’il n’y ait pas d’accord, c’est mieux qu’un mauvais accord.
La question importante du financement climatique à long terme afin que les pays moins développés puissent élaborer des plans d’atténuation et d’adaptation a aussi été reportée. Et si le document sur le Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques a été adopté, la question de la gouvernance du mécanisme n’est pas résolue et il n’a pas été précisé d’où proviendront les fonds pour le financer.
En attendant les gros polluants
Le grand objectif technique de cette COP25 était d’élaborer l’article 6. Il n’a pas été atteint, pas plus que l’objectif politique, celui de renforcer l’ambition qui reste à mi-chemin. Seuls 84 pays se sont engagés à présenter des plans plus stricts de réduction des émissions d’ici à 2020, y compris les poids lourds politiques européens : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne. L’engagement dans cette perspective de 14 régions, 398 villes, 786 entreprises et 16 grands investisseurs démontre que la solution au changement climatique a clairement dépassé le cadre étatique pour entrer pleinement dans la société civile.
Mais ni la Chine, ni les États-Unis, ni l’Inde, ni la Russie, les quatre plus grands polluants de la planète – qui produisent 57% des émissions mondiales – n’ont rejoint la cause ou ont montré dans leurs discours du week-end qu’ils montreront une plus grande ambition en 2020. À ce quatuor nuisible, s’ajoute des pays comme l’Australie ou le Brésil qui prévoient d’utiliser les crédits de carbone restants de Kyoto pour atteindre leurs objectifs de réduction des émissions pour la prochaine décennie, une échappatoire du traité précédent qui n’a pas non plus été résolue à Madrid.
Bien que les États-Unis n’aient pas joué un rôle de premier plan dans le blocage de l’article 6, sa délégation a mené une offensive indirecte en entravant les négociations sur le Mécanisme de Varsovie – qui contrôle l’indemnisation des pays en développement pour les dommages climatiques subis – de sorte qu’il ne soit contrôlé que par l’Accord de Paris et non par la COP en général.
Ce changement impliquerait que les Américains, qui se sont retirés de l’Accord de Paris mais restent dans le cadre de la COP, pourraient échapper aux paiements d’indemnisation même s’ils sont considérés comme le principal coupable historique du réchauffement climatique. C’est l’une des raisons pour lesquelles le mécanisme a été approuvé mais sans développer son contenu, ce qui devrait également être fait à Glasgow.
Bien sûr, la situation pourrait changer radicalement l’année prochaine. Les élections présidentielles américaines se déroulent à peine un mois avant l’inauguration de la COP26 et, s’il était élu un président démocrate, le deuxième plus grand pollueur du monde reviendrait probablement à la tête des efforts mondiaux en matière de climat. Telle est la promesse que la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, ont fait à Madrid.
Un résultat « inacceptable » pour les ONG
Même si le Chili et l’Espagne ont essayé de vendre le résultat du sommet comme un succès, les ONG ne sont pas du tout satisfaites. Le Climate Action Network (CAN) qui rassemble plus de 1.300 ONG d’une centaine de pays a dénoncé le creusement de l’écart entre ce que la société exige et ce que les dirigeants sont prêts à faire en matière climatique. « C’est inacceptable », ont-ils condamné.
Pour ces organisations, les coupables sont évidents : les grands polluants comme les États-Unis ou la Chine. « Ils ont ignoré les rapports scientifiques écrasants qui montrent la destruction du climat, ainsi que les demandes de millions de jeunes pour leur avenir. À Madrid, les pays les plus polluants responsables de 80% des émissions sont restés immobiles, tandis que les petits pays ont annoncé qu’ils travailleraient à réduire leurs émissions l’année prochaine », a déclaré Jake Schmidt, l’un des porte-parole de la plateforme.
Pour le mouvement de jeunesse Fridays for Future, auquel appartient la célèbre militante Greta Thunberg qui est à l’origine de la plupart des mobilisations pour le climat de l’année dernière, la COP25 a été un « échec ». « L’absence d’accords ambitieux dans la prise de décision a provoqué encore plus de frustration chez les jeunes qui continueront à descendre dans la rue le vendredi », a annoncé le mouvement qui exhorte la classe politique à rechercher des mesures plus ambitieuses à Glasgow. Pour Extinction Rebellion, un mouvement aux caractéristiques similaires, « Cette COP a fait échouer les hommes et la planète. »
Nicolás Pan-Montojo
Rubrique Environnement climat