«L’immigration n’est pas la mère de tous nos maux», estime Carole Delga

Par Carole Delga,

présidente (PS) de la Région Occitanie

« Je ne suis pas une bourgeoise qui ne croise pas l’immigration. Je ne crois pas, comme l’a dit un ministre, que les êtres humains qui fuient la guerre et la misère font ici du tourisme médical. »

« En ces temps de prix littéraires, je ne saurais que recommander à l’Elysée et à Matignon de relire l’Ordre du jour , d’Eric Vuillard, prix Goncourt 2017. Une phrase y résonne particulièrement dans notre France d’aujourd’hui : Les plus grandes catastrophes s’annoncent souvent à petits pas. Il y a un an, le mouvement des Gilets jaunes faisait surgir sur les ronds-points les assignés sociaux et territoriaux de notre République. Le grand débat national démontrait par la suite que les valeurs portées par les Français s’enracinent autour du triptyque citoyenneté, solidarité, proximité. Un véritable appel à changer de cap pour répondre aux attentes de nos concitoyens en matière d’emploi, d’environnement, de pouvoir d’achat, de transport, d’éducation…

Depuis, on n’a eu de cesse d’assister au grand effacement de ces revendications sociales légitimes au profit d’un débat mortifère, éculé depuis trente ans : immigration, islam, voile. L’hystérisation de ce sujet n’a qu’un but : creuser la division du pays, graver dans le marbre la coupure entre les élites et le peuple, à des fins électoralistes. Son résultat est connu d’avance : elle profitera, à court ou à moyen terme, à l’extrême droite. Je ne suis pas une bourgeoise qui ne croise pas l’immigration. Je ne crois pas, comme l’a dit un ministre, que les êtres humains qui fuient la guerre et la misère font ici du tourisme médical. Faut-il rappeler que l’aide médicale de l’Etat (AME) ne représente que 0,5 % des dépenses de santé? Je ne suis ni dans cette bonne conscience, ni dans l’angélisme dont on accuse systématiquement celles et ceux qui, avec raison, refusent que notre République puisse conforter l’idée qu’immigration et crise économique sont liées.

Je crois en tant que Pyrénéenne et, avec le nom que je porte, aux vertus de l’intégration républicaine, celle-là même qui a permis à 500 000 Espagnols de trouver refuge en France voici quatre-vingts ans ; je crois, en tant qu’élue, que notre pays fonde son identité sur un socle de valeurs qu’il faut préserver et défendre, avec courage et sans calcul, car le grand effacement de ces valeurs menacerait la nature même de notre République. Je crois, en tant que présidente de la région Occitanie, que notre Méditerranée ne peut continuer à être ce cimetière où ont déjà péri plus de 18 000 femmes, hommes et enfants. Je crois, surtout, comme une très grande majorité de citoyens, que notre pays aspire à l’apaisement et au rassemblement. Cela nécessite de dire la vérité, de créer du lien, au lieu de choisir cyniquement la stigmatisation et la caricature : l’immigration n’est pas un choix, mais une déchirure, et sûrement pas la mère de tous nos maux.

Le doigt pointé sur les étrangers, la haine quotidienne déversée sur nos concitoyens musulmans, la surenchère cathodique sont des masques qui finiront par tomber. La France de 2019 n’a pas besoin d’un duel trompeur et dévastateur. Elle a besoin de relever des défis connus de tous. Ce qui mine ce pays, ce sont les inégalités et le déterminisme social. Ce qui inquiète les Français, c’est de voir les droits sociaux reculer, les services publics disparaître, l’avenir des enfants et de notre planète s’obscurcir, le système de santé s’enfoncer dans la crise… Il faudra bien s’en préoccuper car tout cela, monsieur le président, n’est ni un fantasme, ni une hypocrisie, ni l’ancien monde : c’est le monde réel. »

Propos tenu dans la rubrique opinion de http://www.leparisien.fr/politique/l-immigration-n-est-pas-la-mere-de-tous-nos-maux-estime-carole-delga-10-11-2019-8190150.php#xtor=AD-1481423553

 

Commentaire

Nous reproduisons ci-dessus une tribune de Carole Delga parue ce jour dans Le Parisien. Ce texte de la présidente de la région Occitanie nous apparaît symptomatique à plusieurs égards. Il émane d’une région sinistrée qui mesure particulièrement les effets de la crise sociale majeure qui frappe la France. Il dénonce en creux les manoeuvres électoralistes du chef de l’État et de son fringuant état major en l’invitant à revenir dans le monde réel.

Face à la crise, les collectivités territoriales se retrouvent en première ligne. Elles tiennent un rôle social et économique majeur pour maintenir l’équilibre du pays. Ce n’est pas par effet de style que Carole Delga mentionne l’effacement des revendications sociales de la feuille de route gouvernementale. Faute de moyens nécessaires, communes, départements, régions ne parviennent plus à assumer leurs compétences et leurs politiques publiques.

Membre du parti socialiste, Carole Delga appartient à un groupe politique fragmenté qui tente de renouer une relation de confiance avec ses électeurs pour reconstruire un projet social qui intègre l’écologie. Entre le néolibéralisme macronnien qui ratisse large et la montée très perceptible en Occitanie des nationalistes identitaires, elle sait que la partie sera difficile. En tout état de cause, ce n’est pas en ménageant la chèvre et le choux que vont s’ouvrir les perspectives mais bien dans un ressaisissement immédiat de sa liberté politique.

 Il importe certes de garder un regard critique sur le pouvoir que nous confions aux élus qui gouvernent en notre nom mais dans l’époque que nous traversons on ne peut que soutenir le courage politique de ceux et celles qui opposent les vertus de l’intégration républicaine à la division. Il faut aussi distinguer ce courage des fins électoralistes et souligner qu’en politique, comme dans bien d’autres domaines, les femmes sont vraisemblablement moins sujettes au clientélisme ambiant. La position d’Angela Merkel sur l’immigration lui a sans doute coûtée cher cependant la grandeur politique ne se mesure pas à la richesse que l’on acquiert mais à l’intégrité et à la capacité à affecter positivement les gens qui nous entourent. L’avenir politique de la chancelière allemande paraît aujourd’hui compromis mais lorsqu’elle se saisit d’une occasion historique pour rappeler comme elle l’a fait hier, qu’  » il convient de s’engager pour défendre les valeurs de l’Europe « , ses mots prennent tout leur sens.

Jean-Marie Dinh

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