Cet ouvrage de Richard Labevière* est sorti il y a près trois ans. Dans le cadre d’un partenariat avec le site Madaniya nous revenons sur cette chronique qui apporte des clés d’analyse pour appréhender l’actualité internationale. Le titre résume à lui seul la thématique majeure de la polémologie contemporaine du dernier quart de siècle.
L’auteur, Richard Labévière, se livre à une analyse sans concession de ce phénomène, en observant une méthode rarement pratiquée par la cohorte de journalistes français prescripteurs d’opinion, mais qui l’honore en même temps que sa profession : «The Inside news and Oustside views». La collecte des informations de l’intérieur du cercle décisionnaire du pouvoir, mais une analyse dégagée de la connivence.
Officier de la réserve opérationnelle, ancien Rédacteur en chef à RFI (Radio France International), Rédacteur en chef du magazine en ligne www.prochetmoyen-orient.ch, Richard Labévière est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont «Les dollars de la terreur» (Grasset 1999), premier ouvrage du genre sur le financement des groupements islamistes par les pétromonarchies du Golfe. C’est donc un connaisseur qui parle des sujets qu’il maîtrise, non un bonimenteur propulsé à la célébrité médiatique pour les nécessites de la guerre psychologique et de la désinformation.
Un iconoclaste
Pur produit du système mais iconoclaste, ce correspondant de guerre, homme de terrain par excellence, sera pourtant vilipendé sans ménagement par des suffragettes tarifées de la contre révolution syrienne. Il sera qualifié d’agent d’influence du gouvernement de Damas, pour avoir osé mettre en garde contre les dangers de l’interventionnisme français sur le flanc méridional de la Méditerranée (Libye, Syrie, Soudan), de même que l’instrumentalisation de bi nationaux franco-syriens dans la guerre de destruction de la Syrie et l’alliance contre nature entre la France et la Turquie dans le démembrement de la Syrie, dans une réédition de la forfaiture d’Alexandrette. Une mise en garde vécue comme un camouflet par des supplétifs mercenaires happés par l’appât du gain dans une entreprise de destruction de leur patrie d’origine.
L’une d’elles se distinguera particulièrement. Sangsue de la pensée parasitaire, ignorante mais pleine de morgue et de suffisance, la graphomane syrienne du quotidien Libération, salariée du milliardaire franco-israélien Patrick Drahi, est coutumière, il est vrai, du journalisme de complaisance et de révérence, nullement du journalisme d’impertinence.
Journaliste confirmé ayant une solide maîtrise des enjeux de la géopolitique mondiale, l’homme de surcroît a le sens de la formule. Une plume heureuse pour le plus grand plaisir de ses lecteurs et le malheur de ses cibles, un doigté dont il fait usage à la manière d’une sulfateuse.
Ainsi, à titre d’exemple, le portrait du politologue Jean Pierre Filiu, seule personne au Monde sans doute avec Saint Paul à avoir connu l’épectase sur son chemin de Damas ou alors ce portrait d’un opposant professionnel opportuniste :
«L’auteur de ces lignes se souvient d’une confrontation télévisée avec Samir Aïta – éternel courtisan de tous les défecteurs syriens, de Rifaat al-Assad à Moustapha Tlass en passant par Abdel Halim Khaddam – dont l’obsession est de devenir ministre, un jour… Ceint d’une écharpe rouge, rouge comme celle de Christophe Barbier (révolutionnaire en chef de L’Express), le sieur Aïta ne cessait d’invoquer – trémolos dans la voix – la «révolution» syrienne! A la dixième évocation récurrente du même type, votre serviteur se permet de mettre en garde l’imprécateur contre l’abus textuel du terme. Réponse courroucée du pré-ministre : «mais vous, jeune homme qu’est-ce que vous pouvez bien connaître des révolutions ?»
Electron libre, aux antipodes des graphomanes pro syriens, Richard Labévière en paiera le prix. Son éviction de la direction de l’émission «Géostratégie» de RFI est en effet intervenue dans le cadre de la déconstruction de la «politique arabe de la France» menée tambour battant par le tandem pro israélien Nicolas Sarkozy Bernard Kouchner.
Sous couvert d’une amitié tonitruante avec un Emir arabe, l’Emir du Qatar, Cheikh Khalifa Ben Hamad Al Thani, de sinistre mémoire, elle s’est traduite par la promotion de personnalités au philo sionisme exacerbé de Bernard Kouchner (Quai d’Orsay), à Pierre Lellouche (Affaires européennes), à Dominique Strauss Khan (FMI), à Arno Klarsfeld (Matignon) et François Zimmeray, ancien vice-président de la commission d’études politiques du CRIF, Ambassadeur pour les Droits de l’homme, en passant par Christine Ockrent (pôle audiovisuel extérieur), Philippe Val (France inter), à la toute dernière recrue Valérie Hoffenberg, directrice pour la France de l’American Jewish Committee, représentante spéciale de la France au processus de paix au Proche-Orient. Et par l’éradication systématique de toute sensibilité pro-palestinienne du service public français Bruno Guigue (administration préfectorale), Richard Labèvière et Wahib Abou Wassel, seul palestinien à l’époque dans l’audiovisuel public extérieur français.
Pathétique Michèle Alliot Marie responsable de l’éviction de Bruno Guigue, qui sera dégagée sans ménagement lors du «printemps arabe» pour avoir fait des offres de service au dictateur Zine el Abiddine Ben Ali pour la répression du soulèvement populaire tunisien, se livrant à des transactions immobilières en Tunisie, insensible à l’immolation de Mohamad Bouazizi.
«Inside News Outside Views» : collecte des informations de l’intérieur du cercle décisionnaire du pouvoir, mais une analyse dégagée de la connivence.
L’auteur narre en peu de mots suggestifs le hold-up opéré par Laurent Fabius sur la diplomatie française sous la mandature de François Hollande (2012-2016), exigeant que la cellule diplomatique de l’Elysée ne fasse pas d’ombre au Quai d’Orsay, où trônait le plus célèbre ronfleur des forums internationaux, de même que l’accentuation de la mainmise des néo conservateurs français sur la politique étrangère française.
Une tendance amorcée par le «sang mêlé» Nicolas Sarkozy en tandem avec le «un tiers mondiste, deux tiers mondain», Bernard Kouchner, et parachevée par Laurent Fanius, le «petit télégraphiste des Israéliens dans le dossier nucléaire iranien». De grands patriotes en somme faisant prévaloir les intérêts supérieurs de leur pays sur toute autre considération corporatiste ou communautariste.
Un reniement de la tradionnelle politique bi-partisane gaullo mitterandienne qui s’est prolongée par le nettoyage de la DGSE de tout représentant de cette sensibilité diplomatique qui a fait longtemps honneur à la France.
L’infobésité
Lettré, Richard Labévière a forgé un néologisme heureux : «l’Infobésité… résultante des «réactions moralisatrices, de l’amalgame sémantique et de l’empilement d’émotions répétitives». Autrement dit, en termes moins policés, le fruit de la conjonction de l’inflation d’informations et de l’enflure des journalistes.
D’un même souffle, Richard Labévière dénonce «le cynisme mercantile des pays occidentaux envers les pétromonarchies, la désinformation des médias voyeurs, qui basculent dans la propagande et les fadaises d’improbables experts».
Il pointe la connivence des grandes démocraties occidentales avec l’Arabie saoudite, «un des principaux financiers de l’Islam radical, un scandale qui perdure depuis trente ans».
«De la petite délinquance à la grande criminalité, installé au cœur de nos sociétés, le terrorisme est devenu le stade suprême de la mondialisation…. Il profite de la révolution numérique dont nul ne maitrise les effets et échappe à tout contrôle».
Rhizome
Pour expliquer la prolifération des groupements islamiques, il emprunte aux philosophes français Gilles Deleuze et Felix Guattari la théorie du Rhizome, un des éléments de la «French Theory». En botanique, le rhizome est une tige souterraine et parfois subaquatique remplie de réserve alimentaire. Il nourrit certaines espèces souterraines capables de le consommer. S’il meurt, il enrichit le sol en matière organique. Et dans le cas d’espèce, image pertinente, il s’agit d’une structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux.
L’hospitalisation d’Oussama Ben Laden à l’hopital américain de Doubai
Il remet en mémoire utilement la séquence de l’hospitalisation à Doubai d’Oussama Ben Laden, chef d’Al Qaida, en juillet 2001, soit deux mois avant le raid contre les symboles de l’hyperpuissance américaine le 11 septembre 2001, indice sinon de la connivence de l’administration américaine avec l’initiateur du terrorisme islamique contemporain, à tout le moins la mansuétude à son égard.
Se fondant sur le témoignage d’un haut fonctionnaire, celui qui était à l’époque Rédacteur en Chef à RFI précise que le Chef d’Al Qaida, pourtant déchu de sa nationalité saoudienneà l’époque, a séjourné à Doubai du 4 au 10 juillet 2010, venant de Quetta (Pakistan). Accompagné de son médecin personnel et successeur Aymane Al Zawahiri, d’un infirmier algérien et de 4 gardes de corps, il a occupé le 4 étage de l’hôpital où il a été traité par le Docteur Terry Callaway, urologue. Oussama Ben Laden, qui souffrait d’insuffisances rénales, avait réussi à se faire livrer auparavant du matériel de dialyse mobile, lors d’un traitement à l’hôpital central de Lahore.
Le djihad, une réplique américaine à la stratégie indépendantiste de l’Union soviétique dans le tiers monde
Richard Labévière soutient que Le djihad a constitué une réplique américaine à la stratégie indépendatiste de l’Union Soviétique dans le tiers monde.
L’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat politique, en tant qu’anti dote au nationalisme arabe anti américain a été effectivement mise en oeuvre dans la foulée de l’incendie de la Mosquée d’Al Aqsa (1969), lors du sommet islamique de Rabat, premier sommet islamique de l’histoire contemporaine
Elle a entrainé un basculement du centre de gravité du Monde arabe de la rive méditerranéenne vers le golfe, c’est-à-dire des pays du champ de bataille vers la zone pétrolifère sous protectorat anglo-américaine. Avec pour conséquence, la substitution du mot d’ordre de solidarité islamique à celui mobilisateur d’unité arabe ainsi que le dévoiement de la cause arabe, particulièrement la question palestinienne, vers des combats périphériques (guerre d’Afghanistan, guerre des contras du Nicaragua contre les sandinistes), à des milliers de km de la Palestine, et dans l’époque contemporaine à des guerres contre les pays arabes eux-mêmes (Libye, Syrie) ou des pays africains (Nord Mali).
L’Islam comme substitut aux caids de la drogue
Le djihad a pris une dimension planétaire conforme à la dimension d’une économie mondialisée par substitution des pétromonarchies aux caids de la drogue dans le financement de la contre révolution mondiale. Dans la décennie 1990-2000, comme dans la décennnie 2010 pour contrer le printemps arabe
Si la Guerre du Vietnam (1955-1975), la contre-révolution en Amérique latine, notamment la répression anti castriste, de même que la guerre anti soviétique d’Afghanistan (1980-1989) ont pu être largement financés par le trafic de drogue, l’irruption des islamistes sur la scène politique algérienne signera la première concrétisation du financement pétro monarchique de la contestation populaire de grande ampleur dans les pays arabes.
Pour s’en convaincre, il suffit de revenir à l’année charnière de l’histoire contemporaine, 1989. Cette année-là voit l’implosion de l’empire soviétique avec la fin de la guerre anti soviétique d’Afghanistan et la fin de la guerre irako iranienne, c’est à dire la fin des deux guerres de fixation des pays de contestation de l’hégémonie occidentale, l’URSS et l’Iran et le début de la déstabilisation de l’Algérie, leur allié sur le ponant du Monde arabe
La défaite de l’URSS, sur le plan régional, a intronisé les Talibans pro wahhabites, galvanisés par leur victoire sur l’athéisme, en maîtres d’œuvre d’un Afghanistan sunnite frontalier d’un Iran chiite, dans le prolongement d’un Irak sunnite sous la houlette baasiste de Saddam Hussein contenant le flanc sud de l’Iran sur le golfe arabo persique.
L’Iran Khomeyniste tentera d’en desserrer l’étau par une sorte de dépassement par le haut, en contournant le sunnisme non sur le plan théologique mais sur le plan de l’idéologie révolutionnaire.
La Fatwa anti Salmane Rushdie, condamnant à mort l’écrivain indo-britannique pour apostasie pour avoir ironisé sur l’une des épouses du prophète, s’est inscrite dans cette perspective.
Elle a eu valeur symbolique en ce qu’elle démontrait le souci des Chiites, la branche minoritaire de l’Islam, de faire respecter les dogmes religieux avec la même vigueur que leurs rivaux sunnites. De démontrer d’une manière sous-jacente que le zèle de l’Imam Ruhollah Khomeiny, le guide la révolution islamique, l’habilitait sur le plan spirituel, à être l’alter ego du roi d’Arabie saoudite, le gardien sunnite des Lieux saints de l’islam
L’idéologisation de la guerre sur une base religieuse : Talibans / Al Qaida/ DAECH
La Fatwa anti Salmane Rushdie a constitué, sur le plan théologique, la réplique stratégique iranienne à une idéologisation de la guerre sur une base religieuse, telle qu’elle s’est déroulée en Afghanistan.
Ce faisant, le clergé iranien se plaçait ainsi à l’avant-garde de la défense des valeurs de l’authenticité et de la lutte contre l’occidentalisation de la société musulmane, au moment où les Talibans, fer de lance anti soviétique, étaient conduits à se concentrer sur leur base territoriale nationale, l’Afghanistan, cédant ainsi la place à «Al Qaida» pour le leadership du combat à l’échelle planétaire.
Symbole de la coopération saoudo américaine dans la sphère arabo musulmane à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine, le mouvement d’Oussama Ben Laden avait vocation à une dimension planétaire, à l’échelle de l’Islam, à la mesure des capacités financières du Royaume d’Arabie.
Dommage collatéral de ce rapports de puissance, l’Algérie en paiera le prix en ce que ce pays révolutionnaire, allié de l’Iran et de la Syrie, le noyau central du Front du Refus Arabe, évoluait en électron libre de la diplomatie arabe du fait de la neutralisation de l’Egypte par son traité de paix avec Israël et la fixation de la Syrie dans la guerre du Liban.
Les Islamistes algériens joueront toutefois de la malchance en ce que le déploiement de troupes occidentales, -dont soixante mille soldats juifs américains-, à proximité des Lieux Saints de l’Islam, dans la région occidentale du royaume, à l’occasion de la première guerre anti irakienne du Golfe, en 1990, les placera en porte à faux avec leurs bailleurs de fonds, contraignant leur chef Abassi Madani à prendre ses distances avec les Saoudiens. Au titre de dommage collatéral, le débarquement des «forces impies» sur la terre de la prophétie constituera le motif de rupture entre Oussama Ben Laden et la dynastie wahhabite.
Epilogue
LA CRÉANCE DU MONDE MUSULMAN À L’ÉGARD DE L’OCCIDENT
Partenaire majeur de l’Alliance atlantique durant la guerre froide soviéto-américaine, le Monde musulman dispose d’une dette d’honneur à l’égard de l’Occident, avec la Turquie en sentinelle avancée de l’Otan sur le flanc sud de l’URSS, amplifiée par la participation de 50.000 arabo-afghans à la guerre contre l’armée rouge en Afghanistan, avec en surplus la participation de près de 2 millions d’arabo africains aux deux guerres mondiales du Xxme siècle contre l’Allemagne.
Mais, paradoxalement, en dépit de cette contribution, unique dans l’histoire, l’Islam et les Musulmans constituent une thématique majeure de la polémologie contemporaine, désormais promus au rôle d’épouvantail dans la production intellectuelle occidentale, alors que les pays musulmans sont les grands perdants de la coopération islamo-occidentale.
La Turquie ne dispose même pas d’un strapontin au sein de l’Union Européenne et pas une parcelle de la Palestine n’a été restituée aux Palestiniens, alors que parallèlement, l’opération française Serval au Mali, en janvier 2013, pour neutraliser le groupement Ansar Eddine du Qatar, de même que l’opération Sangaris en RCA, ont affranchi la France de sa dette à l’égard des troupes d’outremer.
En surplomb, les suppliques du Mufti de l’Otan Youssef Qaradawi, pour bombarder des pays arabes (Libye, Syrie), ont libéré les anciennes puissances coloniales occidentales de leur dette à l’égard des Arabes et des Musulmans.
Les six «sales guerres» de l’époque contemporaine sont situés dans la sphère de l’Organisation de la Conférence Islamique (Syrie, Irak, Afghanistan, Somalie Yémen et Libye) générant 60 millions d’enfants musulmans pâtissant de la pauvreté, de la maladie, des privations et de l’absence d’éducation, alors que 12 pays musulmans comptent le taux le plus élevé de mortalité infantile et que 60 % des enfants n’accèdent pas à la scolarité dans 17 pays musulmans.
Dans ce pyschodrame planétaire, le Monde arabe a été désarticulé, durablement gangréné par le terrorisme islamisque, dont les métastases se sont projetés sur le Monde occidental. Apprenti sorcier, l’Occident aura été un démiurge d’une séquence internationale qu’il aura plus subie que maitrisée. Et les Pays arabes et de manière générale l’Islam, les dindons de la farce, un repoussoir absolu au sein des opinions occidentales.
Prochain ouvrage de Richard Labévière, la stratégie de la mer de la France, un domaine où excelle là aussi notre confrère.
René Naba
«Le terrorisme, Face cachée de la mondialisation», un ouvrage de Richard Labevière. Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE- Direction générale de la Sécurité Extérieure). Éditeur Pierre Guillaume De Roux. novembre 2016.