Comment faire vivre, en actes, la récente adhésion de la ville de Martigues au réseau des « villes accueillantes » à l’égard des personnes migrantes ? C’était l’objectif de l’initiative organisée par le Collectif local « solidarité migrant-e-s » le samedi 28 septembre, quelques jours seulement avant la réunion internationale du réseau qui s’est tenue les 3 et 4 octobre.


Ce n’est pas un hasard si cet après-midi d’échanges, d’ateliers…et de convivialité se déroulait à la MJC de Martigues, un des rares lieux où les exilé-e-s peuvent rompre leur isolement en participant à des activités. Les principaux intéressés étaient présents aux côtés des militants acteurs de la solidarité issus d’associations  ou de partis politiques (Ligue des Droits de l’Homme, CCFD, RESF, PCF…). Avec une véritable voix au chapitre puisque les « migrant-e-s » ont pu exposer leurs revendications pour améliorer la vie quotidienne dans les foyers Adoma et leur intégration dans la vie de la cité. L’initiative a également été marquée par la participation de Marie-Christine Vergiat, ex-députée au Parlement européen du défunt groupe Front de gauche, aujourd’hui vice-présidente de la LDH, et Jean-Pierre Cavalié, de la Cimade, coordinateur du réseau hospitalité Provence-Alpes-Côte d’Azur.


« Hospitalité » (1), ce fût le maître mot de cet après-midi car l’objectif majeur du collectif et des personnes migrantes (certains préfèrent employer le terme de « primo-arrivants ») est de co-construire une « maison de l’hospitalité » qui permettrait de vraies rencontres entre les Martégaux de plus ou moins longue date (nombre d’entre eux sont d’ailleurs issus de vagues migratoires précédentes : Italiens, Espagnols, Grecs, Maghrébins, Arméniens, Comoriens…) et ceux qui sont venus y trouver refuge en raison de situations dramatiques dans leur pays d’origine (guerre, menaces sur leurs familles, impossibilité de trouver du travail…).

« Nous voulons faire quelque chose d’utile pour cette Nation »

« Il faut une forte mobilisation pour faire face à ceux qui ne veulent pas que nos droits soient respectés » soulignait un intervenant guinéen. Des ateliers mêlant réflexions des militants associatifs et migrants sont sortis de multiples propositions ou souhaits : la mise en place d’un soutien psychologique afin de « parler de toutes les difficultés car beaucoup sont en dépression », davantage d’informations sur tout ce qui se passe à Martigues (la ville ne manque pas de propositions culturelles et autres) : des contacts avec des associations sportives pour que les jeunes migrants puissent pratiquer un sport, « des bus après 20 heures pour rompre l’isolement » et pouvoir se rendre en centre-ville… Car, de l’avis unanime exprimé lors de cette journée, sortir du foyer est une nécessité. Les résidents réclament au fond tout ce qui leur manque pour établir le contact avec le monde et leurs proches : une connexion internet, une télé, ne serait-ce que « pour voir les matches du Barça ou Real-Juve : parmi nous, il y a des Pakistanais, des Syriens, des Africains, des Asiatiques…On pourrait avoir des moments de partage mais on n’a même pas de télé ». Le foot comme langage universel, alors que d’autres voient en lui uniquement un « opium du peuple ». Pire, à cela s’ajoutent selon les témoignages des résidents, « des cafards et des punaises de lit » et l’absence de machine à laver. Les migrants demandent également « une formation en français et professionnelle : nous voulons faire quelque chose d’utile pour cette nation ».  Se rendre utile c’est aussi pour ces personnes demander à faire du bénévolat dans les associations caritatives, « mais seuls les Restos du Coeur nous ont acceptés » déplore un intervenant.

Si la « Maison de l’hospitalité » n’est pas la formule magique qui permettra de faire oublier les vécus douloureux, le désir de la voir naître est déjà investi de beaucoup de désirs, justement.  Dans l’atelier auquel a participé Salma, on l’ a même dessinée, au propre comme au figuré: un lieu qui accueille « migrants et pas migrants, Français et pas Français, un espace libre et gratuit où on n’est pas obligés de faire des démarches administratives, où on dit : « tu es le bienvenu, avec ou sans papiers ». Un lieu « où on partage les taches comme le ménage ou la maintenance, mais sans hiérarchie, où on n’exclut personne mais où on exclut des comportements, un lieu de bienveillance ». Salma propose d’en faire, expression arabe à l’appui qui signifie »maison de la sagesse », un espace « pour apprendre la culture des autres : la nourriture, la danse, le cinéma… ».

D’autres participant-e-s voient cette maison comme un lieu d’échanges, avec une dimension pratique, « pour nos frères qui ne savent rien des procédures ». On imagine (ou pas…) à quel point elles peuvent être longues et délicates, particulièrement pour les non-francophones. « Pourquoi ne pas développer un statut de « citoyen de Martigues » qui leur donnerait des droits, des facilités? » rêve à haute voix le rapporteur d’un autre atelier qui propose « une fête Oasis (Ndlr : pas les boissons fruitées) multiculturelle ».

Paroles de témoins

Dans cette mise en commun des expériences des personnes migrantes et des militants du Collectif, Jean-Pierre Lavallée voit l’illustration de « l’intelligence collective », et la possibilité de « réinventer une société, de réinventer le monde et ce n’est pas une formule. Aujourd’hui, si on veut arriver à faire face à l’immensité des défis, il faut qu’on se mette ensemble. On a été tellement habitués à faire des petites boîtes avec d’un côté les « nationaux », de l’autre les étrangers et même chez les étrangers on va différencier ceux qui ont des papiers, ceux qui sont demandeurs d’asile etc… ». « A Marseille, on a réussi à réunir dans notre réseau d hébergement solidaire des organisations, des paroisses, un petit groupe d’artistes, des jeunes anarchistes qui s’appellent « le Soviet »… » poursuit-il, « on arrive à travailler ensemble parce qu’on se pose d’abord la question « qu’est-ce qu’ on a à porter ? ».  Pour faire face à ce qu’il nomme « des lois de plus en plus injustes » et « au projet de supprimer l’aide médicale d’Etat » évoqué récemment par Emmanuel Macron lui-même qui fait le pari dangereux de remettre les questions d’immigration au centre du débat politique.

Faire avancer les politiques d’accueil

Pour faire avancer les politiques d’accueil, les collectivités locales peuvent être le bon levier. Malgré les difficultés, c’est un message positif que l’ancienne députée européenne Marie-Christine Vergiat transmet: « les tentatives de l’extrême-droite pour empêcher l’ouverture de lieux d’accueil se sont toutes soldées par des échecs ». Et ce même au Luc, un village du Var pourtant dirigé par un maire élu sous l’étiquette FN, où selon Jean-Pierre Cavalié « la pédagogie » a eu un effet positif : « des habitants disent: « on s’est rendus compte que ce sont des gens comme nous ». Pour Marie-Christine Vergiat, « l’intégration passe plus souvent par les collectivités que par les Etats, surtout avec les majorités qu’il y a actuellement dans beaucoup d’Etats européens ». 

La question de la désobéissance civile face à des lois injustes ayant été posée lors de cette journée d’échanges, le mot de la fin (si l’on peut dire) pourrait bien revenir à Georges Fournier, responsable local de la Ligue des Droits de l’Homme, faisant référence à l’action de Cédric Herrou dans la vallée de la Roya (06) : « ne croyez pas ce qu’on vous dit quand on vous dit « c’est illégal », essayez de dire ce que vous croyez ».

Le 3 octobre, lors de la première journée du congrès des villes accueillantes, 25 pays étaient représentés. L’explicite slogan de la manifestation, « No more bricks in the Wall » a du rappeler quelque chose aux amateurs de Pink Floyd…

N.P.

 


Notes :
(1) Pour en savoir plus : Fabienne Brugère, Guillaume Le Blanc : « La fin de l’hospitalité. L’Europe, terre d’asile ? » (Flammarion, 2017)


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