Madrid par Nicolás Pan-Montojo
C’est officiel, l’incapacité de la gauche espagnole à trouver un accord pour former un gouvernement a finalement abouti à une nouvelle élection programmée en novembre prochain. Le PSOE (centre gauche) de Pedro Sánchez a tenté d’assoir sa victoire aux législatives en avril dernier tout en ne souhaitant pas dépendre de Podemos (gauche radicale). Les 123 sièges du PSOE représentent le meilleur score de la gauche espagnole depuis plus d’une décennie mais n’assurent pas de majorité et le pari de Pedro Sánchez semble risqué.
Après quatre élections en quatre ans, le phénomène de lassitude est palpable chez les citoyens espagnols. De fait, la rupture entre les deux partis de gauche peut jouer contre le président en fonction. Elle rend possible le retour d’un gouvernement de droite, avec le risque d’une entrée des néo franquistes de Vox dans le Conseil de Ministres.
La clé est à chercher dans la mobilisation citoyenne. S’il y a un fort taux d’abstention les possibilités de la droite se multiplient, mais si la participation est stable les nouvelles élections pourraient dresser un tableau très similaire à celui des législatives d’avril et obliger les politiciens à se mettre d’accord. Ce scénario est une constante politique en Espagne : plus l’abstention est grande, plus il y a de chances que la droite gagne. Face aux enjeux en présence, la gauche s’est montré incapable de dépasser ses différents pour constituer une force. Donc, même si pour l’instant les sondages n’annoncent pas de bousculement politique, tout dépendra de la mobilisation citoyenne.
Pour le politologue Pablo Simón, ce contexte laisse planer de grandes incertitudes mais on peut anticiper deux tendances : l’échec entérine d’une part, une concentration vers la bipartition (gauche droite) de l’Espagne, et d’autre part, une augmentation de l’abstention. Selon Pablo Simón, c’est ce dernier élément qui reste le plus difficile à calibrer dans les enquêtes. Un risque de taille dont la responsabilité devra être assumée par la gauche qui a opté pour une stratégie à risque souligne le politologue : « Lorsqu’un match doit être rejoué, celui qui a une deuxième chance est celui qui a perdu la première fois ».
Presque tous les instituts de sondage observent ces tendances de concentration bipartite et d’abstention : en ces derniers mois de doutes sur l’issue déterminante des élections, le PSOE et le PP (droite) sont remontés dans les sondages augmentant les intentions de vote en leur faveur de quelques points, alors que Podemos enregistre un léger recul (quelques dixièmes). Vox descend aussi légèrement (un point) mais c’est surtout Ciudadanos (le parti de centre droit), qui est passé de 15,9 % à 13%, qui a le plus à craindre.
Le président de Ciudadanos (parti de la Citoyenneté), Albert Rivera, a enduré stoïquement pendant cinq mois la pression externe et même une crise interne qui a fait sortir du parti les cadres les plus centristes, après avoir rejeté le soutien au candidat socialiste. Dans un mouvement de dernière minute, Rivera a proposé de retirer sa candidature en échange d’une alliance contre les indépendantistes. Cette stratégie n’a finalement abouti à rien si ce n’est de révéler la crainte du parti Ciudadanos face à cette nouvelle échéance électorale.
Cette baisse de Ciudadanos pourrait entraîner une hausse du PSOE, mais surtout la remonté durable du PP après l’échec cinglant enregistré en avril dernier. Les 66 sièges obtenus représentent le plus bas score historique de la droite espagnole depuis 25 ans. Selon Kiko Llaneras, analyste de sondages, l’une des clés des nouvelles élections sera la mobilisation par blocs idéologiques. La raison en est simple : comme très peu d’électeurs passent d’un parti à l’autre – à peine 7%, selon la moyenne des sondages – il sera essentiel de savoir qui va finalement voter. L’électorat de gauche semble plus vivant, mais cette situation pourrait être temporaire.
Le nouveau parti de gauche: “Más País”
C’est clair que l’ancien bipartisme en Espagne, où le centre droit et le centre gauche maintenait une alternance au pouvoir, est mort. Mais le multipartisme fait rage : pour les prochaines élections, aux cinq principaux partis va s’ajouter Más País, une rémanence de Podemos dirigée par l’ancien numéro 2 de Pablo Iglesias, Íñigo Errejón. Le nouveau chef de parti est conscient qu’il devra chambouler une partie du tableau électoral, celui de gauche, complètement divisé à la suite de l’échec des négociations entre Iglesias et Sánchez pour tenter de conclure un accord gouvernemental. Errejón semble vouloir trouver un espace entre les deux mais il est déjà clair qu’il est beaucoup mieux accueilli par le PSOE que par ses anciens compagnons de Podemos. Le président par intérim a exprimé sa sympathie pour la figure d’Errejón mais Iglesias, en revanche, a ignoré la candidature de son ami pendant des semaines.
Selon l’analyste politique Lluis Orriols, l’apparition de ce nouveau parti peut avoir trois effets. En premier lieu, il peut siphonner des votes qui appartenait principalement au PSOE ou à Podemos. Deuxièmement, il est très difficile de savoir comment le parti de Errejón va affecter la participation (il peut nourrir une indécision croissante, mais aussi peut-être réactiver une partie de l’électorat). Et, en dernier, “il pourrait nuire à la gauche dans la traduction des votes en sièges”.
“Notre système électoral est ainsi fait qu’une division du vote entre plusieurs partis de la même idéologie se traduit par une perte de sièges, contrairement à ce qui se passait quand il y avait un seul parti catch-all pour la droite ou la gauche (PSOE et PP)”, explique Orriols. C’est ce qui est arrivé à la droite après l’apparition de Vox. L’effet se produit surtout dans les petites provinces et c’est pourquoi il est peu probable qu’Errejón soit présent dans des circonscriptions où il y a moins de cinq sièges en jeu.
La vision des experts coïncident sur la nature “imprévisible” des nouvelles élections. Il faudra attendre novembre pour savoir si le pari de Pedro Sánchez se traduit par une avancée de la gauche espagnole ou restera dans les mémoires comme une grande erreur.