La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine – et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier », alerte le nouveau et historique rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Créé en 2012, l’IPBES est un organisme intergouvernemental, qui regroupe plus de 130 pays, et fournit des évaluations sur la biodiversité comme le fait le Giec sur le climat. Le rapport est le résultat de trois ans de travail par 145 experts, issus de 50 pays. C’est le premier rapport complet sur l’état mondial de la biodiversité.

« Les preuves accablantes contenues dans l’évaluation globale publiée par l’IPBES et obtenues à partir d’un large éventail de domaines de connaissance, présentent un panorama inquiétant », a déclaré le président de l’IPBES, Sir Robert Watson. « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ».

« Le rapport nous dit aussi qu’il n’est pas trop tard pour agir, mais seulement si nous commençons à le faire maintenant à tous les niveaux, du local au mondial », a-t-il ajouté  « Grâce au « changement transformateur », la nature peut encore être conservée, restaurée et utilisée de manière durable – ce qui est également essentiel pour répondre à la plupart des autres objectifs mondiaux. Par «changement transformateur », on entend un changement fondamental à l’échelle d’un système, qui prend en considération les facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris en termes de paradigmes, objectifs et valeurs.

Les États membres de la plénière de l’IPBES ont reconnu que, par sa nature même, un changement transformateur peut susciter une opposition de la part de ceux qui ont des intérêts attachés au statu quo, mais également que cette opposition peut être surmontée pour le bien de tous.

Le rapport d’évaluation mondiale sur la biodiversité et les services écosystémiques est le document le plus exhaustif réalisé à ce jour. Il s’agit du premier rapport intergouvernemental de ce type. Il s’appuie sur l’évaluation historique des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment) de 2005 et introduit de nouveaux moyens pour d’évaluation des preuves.

Élaboré par 145 experts issus de 50 pays au cours des trois dernières années, avec des contributions additionnelles apportées par 310 autres experts, le rapport évalue les changements au cours des cinq dernières décennies et fournit un aperçu complet de la relation entre les trajectoires de développement économique et leurs impacts sur la nature. Le document propose également un éventail de scénarios possibles pour les décennies à venir.

Basé sur une revue systématique d’environ 15 000 références scientifiques et sources gouvernementales, le rapport s’appuie aussi (et pour la première fois à une telle échelle) sur les savoirs autochtones et locaux, et aborde en particulier les questions concernant les peuples autochtones et les communautés locales.

« Les contributions apportées par la biodiversité et la nature aux populations sont notre patrimoine commun et forment le plus important ’filet de sécurité’ pour la survie de l’humanité. Mais ce filet de sécurité a été étiré jusqu’à son point de rupture », a déclaré la professeure Sandra Díaz (Argentine), qui a co-présidé l’évaluation avec les professeurs Josef Settele (Allemagne) et  Eduardo S. Brondízio (Brésil et États-Unis). « La diversité au sein des espèces, entre les espèces et celles des écosystèmes, ainsi que de nombreuses contributions fondamentales qui proviennent de la nature se dégradent rapidement, même si nous avons encore les moyens d’assurer un avenir durable aux êtres humains et à la planète.»

Le rapport estime qu’environ 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, notamment au cours des prochaines décennies, ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité.

Depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d’au moins 20 % en moyenne. Plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33 % des récifs coralliens et plus d’un tiers de tous les mammifères marins sont menacés. La situation est moins claire pour les espèces d’insectes, mais les données disponibles conduisent à une estimation provisoire de 10 % d’espèces menacées. Au moins 680 espèces de vertébrés ont disparu depuis le 16ème siècle et plus de 9 % de toutes les races domestiquées de mammifères utilisées pour l’alimentation et l’agriculture avaient disparu en 2016, et 1 000 races de plus sont menacées.

« Les écosystèmes, les espèces, les populations sauvages, les variétés locales de plantes et les races locales d’animaux domestiques diminuent, se réduisent ou disparaissent. Le tissu vivant de la Terre, essentiel et interconnecté,  se réduit et s’effiloche de plus en plus », a déclaré le professeur Settele. « Cette perte est la conséquence directe de l’activité humaine et constitue une menace directe pour le bien-être de l’humanité dans toutes les régions du monde. »

 

Une plantation de durian, une culture jugée responsable de vagues de déforestation massive, à Raub, en Malaisie, le 19 décembre 2018. (MOHD RASFAN / AFP)

 

Pour accroître la pertinence politique du rapport, les auteurs de l’évaluation ont classé, pour la première fois à une telle échelle et sur la base d’une analyse approfondie des données disponibles, les cinq facteurs directs de changement qui affectent la nature et qui ont les plus forts impacts à l’échelle mondiale. Les facteurs responsables sont, par ordre décroissant : (1) les changements d’usage des terres et de la mer ; (2) l’exploitation directe de certains organismes ; (3) le changement climatique ; (4) la pollution et (5) les espèces exotiques envahissantes.

Le rapport souligne que, depuis 1980, les émissions de gaz à effet de serre ont été multipliées par deux, provoquant une augmentation des températures moyennes mondiales d’au moins 0,7 degré Celsius. Le changement climatique a déjà un impact sur la nature, depuis le niveau des écosystèmes jusqu’à celui de la diversité génétique – impact qui devrait augmenter au cours des décennies à venir et, dans certains cas, surpasser l’impact dû au changement d’usage des terres et de la mer et des autres facteurs de pression.

En dépit des progrès réalisés pour conserver la nature et mettre en œuvre des politiques en faveur de celle-ci, le rapport met aussi en évidence que les trajectoires actuelles ne permettent pas d’atteindre les objectifs mondiaux visant à conserver et exploiter durablement la nature. Les objectifs pour 2030 et au-delà ne pourront être atteints que par un changement transformateur dans les domaines de l’économie, de la société, de la politique et de la technologie. Avec seulement quatre des vingt objectifs d’Aichi pour la biodiversité présentant des progrès réels dans leurs déclinaisons, il est probable que la plupart d’entre eux ne seront pas atteints d’ici l’échéance de 2020. Les tendances négatives actuelles concernant la biodiversité et les écosystèmes vont freiner les progrès en vue d’atteindre les objectifs de développement durable dans 80% (35 sur 44) des cas où les cibles ont été évaluées ; en particulier ceux liées à la pauvreté, la faim, la santé, l’eau, les villes, le climat, les océans et les sols (ODD 1, 2, 3, 6, 11, 13, 14 et 15). La perte de biodiversité est donc non seulement un problème environnemental, mais aussi un enjeu lié au développement, à l’économie, la sécurité, la société et l’éthique.

« Pour mieux comprendre et, plus important encore, pour s’attaquer aux principales causes des dommages causés à la biodiversité et aux contributions apportées par la nature aux populations, nous devons comprendre l’histoire et les interconnections mondiales qui existent entre les facteurs indirects complexes de changement démographiques et économiques, ainsi que les valeurs sociales qui les sous-tendent », a déclaré le professeur Brondízio. « Les principaux facteurs indirects comprennent l’augmentation de la population et de la consommation par habitant ; l’innovation technologique, dont les dommages causés à la nature ont diminué dans certains cas tandis qu’ils ont augmenté dans d’autres; et, de manière critique, les questions de gouvernance et de responsabilité. Une tendance qui émerge est celle dite de l’interconnectivité mondiale et du « telecoupling ». Dans ce cas, l’extraction des ressources et leur production ont lieu dans une partie du monde, mais servent souvent à satisfaire les besoins de consommateurs éloignés, qui vivent dans d’autres régions

D’autres résultats majeurs du rapport sont à prendre aussi en compte :

  • Les trois quarts de l’environnement terrestre et environ 66 % du milieu marin ont été significativement modifiés par l’action humaine. En moyenne, ces tendances ont été moins graves ou évitées dans les zones qui appartiennent à ou sont gérées par des peuples autochtones et des communautés locales.
  • Plus d’un tiers de la surface terrestre du monde et près de 75 % des ressources en eau douce sont maintenant destinées à l’agriculture ou à l’élevage.
  • La valeur de la production agricole a augmenté d’environ 300 % depuis 1970, la récolte de bois brut a augmenté de 45 % et environ 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non renouvelables sont maintenant extraites chaque année dans le monde  – quantité qui a presque doublé depuis 1980.
  • La dégradation des sols a réduit de 23 % la productivité de l’ensemble de la  surface terrestre mondiale ; une partie de la production agricole annuelle mondiale, d’une valeur marchande pouvant atteindre 577 milliards de dollars US, est confrontée au risque de disparition des pollinisateurs et de 100 à 300 millions de personnes sont exposées à un risque accru d’inondations et d’ouragans en raison de la perte d’habitats côtiers et de leur protection.
  • En 2015, 33 % des stocks de poissons marins ont été exploités à des niveaux non durable ; 60 % l’ont été au niveau maximum de pêche durable, et seulement 7 % à un niveau inférieur à celui estimé comme étant durable.
  • Les zones urbaines ont plus que doublé depuis 1992.
  • La pollution par les plastiques a été multipliée par dix depuis 1980 ; environ 300-400 millions de tonnes de métaux lourds, solvants, boues toxiques et autres déchets issus des sites industriels sont déversés chaque année dans les eaux du monde, et les engrais qui arrivent dans les écosystèmes côtiers ont produit plus de 400 « zones mortes» dans les océans, ce qui représente environ 245.000 km2, soit une superficie totale plus grande que le Royaume-Uni.
  • Les tendances négatives de la nature continueront jusqu’en 2050 et au-delà, dans tous les scénarios politiques explorés dans le rapport, sauf dans ceux qui proposent un changement transformateur – cela en raison de l’impact qu’aura l’augmentation du changement d’usage des terres, l’exploitation de certains organismes et le changement climatique, toutefois avec des différences significatives selon les régions.

Le rapport présente également un large éventail d’exemples d’actions en faveur du développement durable et les trajectoires pour les réaliser dans des secteurs tels que l’agriculture, la foresterie, les écosystèmes marins, les écosystèmes d’eau douce, les zones urbaines, l’énergie, les finances et bien d’autres. Le document souligne combien il est important, entre autres, d’adopter une gestion intégrée et des approches intersectorielles qui prennent en compte les compromis entre la production alimentaire et celle de l’énergie, les infrastructures, la gestion de l’eau douce et des zones côtières, ainsi que la conservation de la biodiversité.

En vue de créer une économie mondiale durable, l’évolution des systèmes financiers et économiques mondiaux a également été identifiée comme un élément clé des politiques futures plus durables. Elle s’éloigne du paradigme actuel trop limité de la croissance économique.

« L’IPBES présente aux décideurs une base scientifique fiable, les connaissances et les options stratégiques pour qu’ils les analysent », a déclaré la Docteure Anne Larigauderie,  secrétaire exécutive de l’IPBES. « Nous remercions les centaines d’experts, issus du monde entier, qui ont donné de leur temps et partagé leurs connaissances pour aider à combattre la disparition des espèces, des écosystèmes et de la diversité génétique – une menace véritablement mondiale et générationnelle contre le bien-être humain. »