Le groupe industriel pollueur Altéo, attaque pour vol de bauxite à Gardanne, les associations citoyennes manifestent à Paris.
Un peu comme dans une mauvaise série américaine où le coupable se prétend victime, le groupe Altéo a porté plainte le 28 février 2019 contre les militants de l’association citoyenne ZEA, pour vol de bauxite. Une mascarade visant à « continuer à polluer », tel que la considèrent les infatigables militants de ZEA, qui intensifient le combat et dénoncent une véritable bombe à retardement organisée depuis plus d’un siècle par l’usine d’alumine, dont l’activité contamine l’air et a déjà entraîné le rejet en Méditerranée de 20 millions de tonnes de boues rouges, chargées en métaux lourds. Il suffit de traverser la ville minière, pour apercevoir les particules fines et constater aujourd’hui encore, jusque dans les chaumières, les effluves persistantes de traitements passés ou présents, à l’arsenic, au mercure, au titane ou à l’uranium, utilisés par le groupe industriel.
Historique
A sa création (1893), l’entreprise « Aluminum Péchiney » a été un des fleurons de l’industrie française avant de faire l’objet de plusieurs OPA (Offre Publique d’achat) dès 2001, et de devenir la propriété d’Altéo, groupe côté en bourse, leader mondial dans la production d’alumine de spécialité. La bauxite, importée depuis plusieurs années de Guinée, y est traitée selon le procédé Bayer, par dissolution du minerai à la soude concentrée à chaud, avant la récolte d’alumine ou d’oxyde d’aluminium. La poudre blanche qui résulte, sert notamment à la fabrication de smartphones (vitres), écrans LCD,batteries, carrelages, etc.
Mange garri, une décharge à ciel ouvert
Niché sur les collines entre Gardanne et Bouc Bel Air, le site de stockage et de traitement Mange garri, dévoile dès le premier coup d’oeil, un paysage apocalyptique étalé sur 148 hectares. A ciel ouvert, les stocks de résidus de bauxite sont toxiques et s’envolent au moindre frémissement d’air. Depuis l’arrêté préfectoral de janvier 2016, interdisant tout rejet en mer de déchets solides, les stocks à terre ne cessent de croître. Ils sont ainsi passés en un an, de 700 800 tonnes (2014/2015) à 1 317 943 tonnes (2016), anéantissant le proche environnement et recouvrant les terres nauséabondes et stériles du pH de soude (13-14) qui représente plus du double du seuil toléré par un animal (8).
Les effluents, liquides désormais, qu’Altéo déverse en mer, contiennent également un cocktail bien dosé en silice, titane, aluminium et hydroxyde de fer. Ainsi, au coeur du parc national des Calanques, via une canalisation de plus de 50 km de long (dont 7,7 km sous la mer) à 320 mètres de profondeur dans le canyon de Cassidaigne, ce sont au total 32 millions de tonnes de boues qui ont été déversées dans la Méditerranée, soit 20 tonnes d’arsenic, 2 millions de tonnes de titane, 66 000 tonnes de chrome, 1 700 tonnes de plomb, du vanadium, du mercure…
Quelles décisions face à l’urgence de l’environnement ?
Si l’arrêt total des rejets, solides, dans la Méditerranée, a été décrété officiellement le 1er janvier 2016, un arrêté préfectoral courant sur 6 années supplémentaires autorisait pourtant Altéo à exploiter le pipeline sous terrain, pour rejeter ses résidus liquides. Une décision qui avait provoqué l’indignation d’une grande partie de la population environnante et entraîné une division au sein du gouvernement socialiste de l’époque, notamment entre la ministre de l’écologie Ségolène Royal, opposée à cet arrêté et le Premier ministre Manuel Valls, décideur ultime. Les collectifs citoyens, unis, avaient lancé alors un recours, finalement entendu par la justice qui a décidé en 2018, de réduire de deux ans le délai initial de 6 ans, en l’inscrivant dans « une mise en conformité avec les normes environnementales ».
Mais aujourd’hui, la mobilisation demeure, portée par le même collectif d’associations, de citoyens et d’élus politiques écologistes. Les réfractaires à l’activité d’Altéo, déplorent des fonds marins dévastés, aux déchets remontant toujours par les courants à la surface de l’eau. Tout comme, ils réclament l’arrêt de stockage à Mange garri, devenu une gigantesque décharge contaminante.
Le 12 février dernier, plusieurs militants de l’association ZEA, manifestaient devant le ministère de l’environnement à Paris, dans une scénographie qui a nécessité le déversement de plusieurs tas de bauxite. En cause, un discret projet d’Altéo qui souhaiterait multiplier par 3 la surface du bassin n°7 à Mange garri, comme le déplore le fondateur de ZEA, Olivier Dubuquoy: « Alors que l’autorisation de stockage des boues rouges toxiques de l’usine de Gardanne à Mange garri doit prendre fin en 2021, date à laquelle le site atteindra sa capacité maximale de stockage (350 000 tonnes supplémentaires par an), Altéo demande un agrandissement de la zone dès 2019 et un nouvel arrêté pour poursuivre le stockage au delà de 2021 ».
Et d’alerter : « Ce stockage à Mangegarri entraine de lourds impacts sur l’environnement et certainement sur la santé des riverains qui inhalent ou ingèrent les poussières de boues rouges chargées de métaux lourds, et à la radioactivité naturelle renforcée. Le site de stockage des boues rouges toxiques de Mange garri est a proximité de lieux de vie, d’écoles, d’un lycée, d’un centre aéré ». Olivier Dubuquoy précise, enfin : « Depuis la reconfiguration des territoires via la Métropole, cette décision ne dépend plus du maire de Bouc Bel Air mais du conseil métropolitain, il y a donc un risque et nous appelons les élus à exclure ce risque ».
Décès et pathologies des riverains
En effet, directement impactés, de nombreux riverains, sonnent l’alarme depuis longtemps, sans être réellement entendus.
Parmi eux, Abdellatif Khaldi vivait à quelques mètres de Mange garri. Il est décédé des suites de multiples cancers survenus, durant l’été 2018. Plusieurs maladies et pathologies ont également surgi chez d’autres riverains entraînant un combat au-delà de la maladie, celui d’avoir à prouver l’origine de leurs maux.
En face, les collectifs de citoyens indignés exigent une protection sanitaire par l’état et réclament, comme le rappelle ZEA : une mise en sécurité du site dans les plus brefs délais, l’arrêt de l’envol des poussières et de la contamination des eaux souterraines, la suppression des sacs d’alumine et de soude à Mange garri, la mise en place de barrières et clôtures sur le site, l’ouverture de plages d’information sur les risques liés aux eaux de forage (puits, potagers, etc.) et sur ceux liés à la consommation de champignons ou d’escargots. De même, les membres de ZEA demandent au plus vite « une véritable étude des conséquences de la pollution des boues rouges sur la santé » et soutiennent la réalisation d’une étude épidémiologique participative entre 2019 et 2020 qui sera menée par les habitants des territoires impactés et le Centre Norbert Elias de l’EHESS (EPSEAL).
Olivier Dubuquoy prévient : « La déshydratation des boues rouges, via des filtres presses par l’industriel, correspond à une volonté de trouver de nouveaux marchés pour vendre des boues rouges toxiques déshydratées renommées Bauxaline. Cette valorisation imaginée par ALTEO et son propriétaire, le fond d’investissement HIG Europe, pour se débarrasser de la pollution générée par leur activité est dangereuse car elle exposerait le plus grand nombre à ces pollutions ».
La plainte d’Altéo
Annoncée il y a deux jours, cette plainte est plutôt l’occasion pour l’association ZEA « de réaffirmer le bien-fondé et la légitimité » de son combat contre les pollutions causées par cette usine. Olivier Dubuquoy évoque : « Par cette tentative incongrue et désespérée, l’industriel cherche à discréditer les opposants à cette pollution qui dure depuis plus de 120 ans, mais la mobilisation ne faiblira pas et la justice ne se laissera pas abuser par ce procédé ». Dans ce cadre, les associations ZEA et Bouc Bel Air Environnement invitent toutes les personnes qui souhaitent mettre fin à ces pollutions, à participer à une marche* dans les collines de Mangegarri le 17 mars 2019.
La préfecture de Bayonne interdit la bauxaline
Pour l’heure, les décisions politiques relèvent avant tout de choix, déterminants pour la survie de l’environnement comme des êtres. Le 21 février dernier, la préfecture des Landes à Bayonne, alertée par Olivier Dubuquoy – lui même informé par un transporteur de bauxaline – décidait d’interdire illico l’utilisation de la Bauxaline (boues rouges) par l’entreprise CELSA . Une décision saluée par ZEA et les collectifs gardannais.
La question de la protection environnementale est d’autant plus urgente à l’heure où une sérieuse étude scientifique alerte sur « un effondrement total et irréversible des écosystèmes planétaires, d’ici à 2100 ». Selon les résultats apocalyptiques de cette étude, près de la moitié des climats seraient menacés de disparition et accélèreraient le déclin d’une biodiversité. Pour arriver à ces conclusions, 22 chercheurs issus d’une quinzaine d’institutions scientifiques internationales, prévoient que 12 % à 39 % de la surface du globe seraient remplacés par des conditions « qui n’ont jamais été connues par les organismes vivants ». Et, comme une nouvelle n’arrive jamais seule, ce changement brutal empêcherait les espèces et écosystèmes de s’y adapter.
H.B.
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Marche du 17 mars : départ à 10h depuis l’Ecole maternelle de La Bergerie, allée de Bel Ombre 13320 Bouc Bel Air.
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ZEA : www.zea.earth
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Pétition en ligne: www.change.org/p/boues-rouges-ni-en-mer-ni-à-terre
- Etude scientifique: Approaching a state-shift in Earth’s biosphere