C’est en dépositaire d’une mémoire collective et, animée du besoin de comprendre comme de transmettre que Mireille Provansal (Lippmann) a pu retracer les parcours singuliers de ses aïeux et livrer un ouvrage très documenté « Du Ghetto au Maquis », publié aux éditions Ovadia.

Durant six mois, la géographe, retraitée de l’enseignement supérieur, a dû rassembler, scruter le moindre document ou portrait, décrypter un foisonnant patrimoine d’archives et tout ce qui fait sens ou preuve dans son histoire familiale avant de se lancer dans l’écriture de ce récit.

Remontant le fil du temps, depuis la cinquième expulsion définitive des juifs de France en 1394 à laquelle échappa la terre lorraine de ses ancêtres, au ghetto de Metz au XVIIIème siècle, à l’émancipation offerte par la Révolution, à l’exode hors de la Lorraine annexée par l’Empire allemand en 1870 jusqu’à l’installation définitive de ses grands-parents à Nice en 1920… Poursuivant sur l’entre deux guerres, l’entrée en Résistance et la prise du maquis par son grand-père Jean, fusillé à la veille de la libération, le 30 juillet 1944 dans la haute vallée de la Bléone où il est depuis, commémoré en héros. Un des fils directeurs de cette longue histoire restant l’affirmation répétée du patriotisme, lié à la reconnaissance envers la France pour l’égalité donnée aux juifs en 1789.

Une chronique familiale en toile d’araignée, qui s’évertue à répondre d’abord, à la question essentielle de l’importance de l’héritage culturel et de sa transmission, notamment durant la 3ème République, époque où la judéité était ostracisée dans un contexte alors, de racisme, de censure, parfois même, d’auto-censure.

Mireille Provansal-Du ghetto au maquis
Mireille Provansal Du ghetto au maquis. Ed. Ovadia 2018

« On ne m’a jamais dit que j’étais juive », confie Mireille Provansal, baptisée catholique à sa naissance en 1946, ajoutant : « Il fallait que je renoue avec cette histoire qu’on me taisait, cet espèce de vide dû à la « non transmission » où il y avait ce héros qu’on fêtait à Nice mais pour moi ce n’était pas quelqu’un de chair et d’os. Donc, mon premier geste a été d’aller à l’endroit où il a été fusillé. Je suis allée à sa rencontre. J’ai retrouvé quelque chose d’imaginaire bien sûr, mais quelque chose qui était de l’ordre d’un grand-père disparu ».

Avant de mourir, son père Claude Lippmann, militant communiste plutôt taiseux, lui remet les correspondances enflammées qu’échangeaient amoureux, son grand-père et sa grand-mère, engagés dans la mouvance progressiste et inquiets de la montée du nazisme. Des échanges épistolaires captivants, entre celui qui partira en résistance dans le maquis, pendant que sa femme décédait d’un cancer à Nice, seule dans la douleur. « Là dessus, s’est greffé le déni permanent de ma mère qui m’expliquait : « Ton père n’est pas juif »… Je me suis alors posé la question, c’est quoi être juif ? Pourquoi tant de non-dits ? Mon père a alors eu cette ultime phrase : « Oui je suis juif, je suis fier et j’ai honte ». C’est sur cette parole poignante que j’ai commencé à travailler. J’ai lu plusieurs livre dont ceux d’Hannah Arendt qui évoquent cette fierté et cette honte, puis je me suis attelée à décrypter tous les documents transmis par mon père… », déclare la fervente défenseur des droits de l’homme, athée comme sa mère, qui parvient avec humilité et sens de la chronologie, à éclairer ce passé familial.

Dressant à chaque page le contexte historique, relatant le sentiment de «laideur des juifs» tel que le propageait le nationaliste antidreyfusard Edouard Drumont et tels que finissaient par le croire eux-mêmes certains juifs, citant la « passion antisémite » partagée par Maupassant, elle évoque aussi les débats qui entourent l’intervention discutée de son aïeul médecin du ghetto, Isaïe Ulman, auquel il aurait été fait appel lors de la maladie de Louis XV de passage à Metz en 1744.

Du minutieux livre de compte d’Elisabeth Lippmann (1847-1869) à la lettre de la « honte » en réponse au refus d’admission à l’université de Lyon de son propre père Claude Lippmann en raison des lois anti-juives de Pétain, le récit raconte le désir de reconnaissance et les difficultés de l’ intégration des juifs français depuis 200 ans.

Délivrant ici une mémoire muselée, Mireille Provansal, également responsable de la Cimade (Pays d’Aix), réussit à traduire l’ambivalence qui lui a pesée enfant, à renouer avec sa généalogie et à éclairer au-delà, sur les processus et désastres de toutes stigmatisations dans une société.

Un « témoignage rare et bouleversant (…) », tel que le qualifie en préface l’historienne Colette Zytnicki, un livre incontournable dans lequel l’auteure, à la plume vive et précise, met en lumière deux siècles de vie et invite à explorer un dialogue inédit avec ses ancêtres, à travers une histoire résolument inscrite dans l’universel.

Houda Benallal

« Du Ghetto au Maquis », Les éditions Ovadia 2018.

Rencontre dédicace par Mireille Provansal, le 24 janvier 2019 à la librairie Goulard, cours Mirabeau à Aix-en-Provence. Le 26 février au temple protestant d’Aix-en-Provence.

 

 

H.B
Journaliste de terrain, formée en linguiste, j'ai également étudié l'analyse du travail et l'économie sociale et solidaire. J'ai collaboré à différentes rédactions, recherches universitaires et travaillé dans divers domaines dont l'enseignement FLE. Ces multiples chemins ailleurs et ici, me donnent le goût de l'observation et me font aimer le monde, le langage des fleurs et ces mots d'André Chedid : «Cet apprentissage, cette humanité à laquelle on croit toujours».