Au nom de la lutte contre les « fausses nouvelles », l’Égypte se prépare à brider fortement la liberté d’expression des utilisateurs de réseaux sociaux.
Ce projet de loi approuvé le 10 juin dernier en première lecture vise principalement les médias égyptiens, mais aussi les sites personnels, les blogs individuels ou les comptes de particuliers sur des réseaux sociaux, et notamment tous les internautes qui seraient suivis par plus de 5 000 abonnés.
Le texte n’attend plus qu’une dernière approbation du Parlement avant sa promulgation par le président Abdel Fattah al-Sissi. Selon les articles qui la composent, cette loi offrirait au Conseil supérieur égyptien de régulation des médias, le pouvoir discrétionnaire de suspendre ou bloquer n’importe quel compte en cas de « publication ou diffusion de fausses informations ou incitation à la violence ou à la haine ».
Arrestations
Ces derniers mois, les services de sécurité ont procédé à des arrestations de dissidents, blogueurs, journalistes et internautes accusés « d’appartenir à une organisation terroriste » ou de « diffuser des fausses nouvelles ». Parmi les personnes arrêtées figurent le blogueur Waël Abbas, ou encore un humoriste sur YouTube, Chadi Abouzeid.
Cette fois, « on va considérer les propos tenus sur les réseaux par de simples citoyens comme des fausses nouvelles », s’inquiète Mohamed Abdelsalam, directeur de l’unité de recherche de l’AFTE, l’Association pour la liberté de pensée et d’expression.
Le nouveau rapport qui vient d’être publié par l’ONG détaille l’état d’avancement de la censure sur Internet dans le pays. « Le problème est que le gouvernement n’explicite pas ce que serait la nature de ces fausses nouvelles », commente Gamal Eid, avocat spécialisé dans la presse et directeur du Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme.
Liberté de la presse au plus bas
Selon de nombreux activistes, cette nouvelle loi ne servirait qu’à légitimer des pratiques déjà existantes. Ce que récuse Ossama Heikal, le président de la commission des médias au sein du Parlement égyptien, arguant que certains comptes électroniques hors contrôle, « atteignent une diffusion plus grande encore que certains journaux » du pays. Et d’ajouter : « Nous ne sommes pas la première nation à aller dans cette direction. »
L’Egypte figure à la 161e place sur 180 pays du classement 2018 de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse. Ce lundi, quatre ONG, dont la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, sont allées plus plus loin, en dénonçant dans un rapport commun le commerce depuis 2013 de technologies de surveillance de masse de la France vers l’Egypte qui, selon elles, ont conduit à l’arrestation de dizaines de milliers d’opposants ou de militants dans le pays.
Dominique Desaunay