La chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca a condamné jeudi le journaliste qui avait couvert la contestation sociale et les manifestations dans la région du Rif. Il est accusé de ne pas avoir dénoncé un crime contre la sécurité de l’Etat.
La sentence est lourde. Hamid El Mahdaoui (photo RSF), directeur du site d’information Badil avait été arrêté en juillet 2017 dans la ville marocaine d’Al Hoceïma, alors qu’il couvrait un rassemblement du mouvement populaire du Hirak, qui a agité la province du Rif en 2016-2017. Hamid El Mahdaoui passera les trois prochaines années en prison. Ce verdict, sévère, est à l’image des peines infligées jeudi aux leaders de la contestation sociale qui avait donc agité le Maroc en 2016 et 2017. Au total, 53 personnes ont été condamnées à des peines allant de un à vingt ans de prison.
Pendant près de neuf mois, le fondateur de Badil a été auditionné aux côtés des militants du mouvement Hirak. Mais en début de semaine, son cas a été mis à part et jugé séparément des autres détenus. Il était poursuivi pour «non-dénonciation d’une tentative de nuire à la sécurité intérieure de l’Etat». Sa condamnation à trois ans de prison ferme est une surprise pour Amnesty International.
Selon Yasmine Kacha, chercheuse pour Amnesty et directrice du bureau Afrique du Nord à Reporters sans frontières, cette nouvelle montre que la situation au Maroc est «extrêmement difficile pour les journalistes». «Lorsqu’il a été annoncé que son dossier était séparé des autres jugements, on s’attendait à ce qu’il soit libéré, reconnaît la chercheuse. Il est maintenu en détention à l’isolement depuis bientôt un an, il a mené plusieurs grèves de la faim et on le condamne pour avoir parlé au téléphone et avoir reçu des appels de sources potentielles. C’est le choc.»
Echanges téléphoniques
Journaliste reconnu, Hamid El Mahdaoui a révélé plusieurs affaires de malversation et de corruption. Il a notamment mis en lumière la torture et la mort de l’activiste Karim Lachqar dans un commissariat en 2014. Il avait été condamné à quatre mois de prison pour diffamation.
Le 20 juillet 2017 à Al Hoceïma, fief de la révolte, Hamid El Mahdaoui est arrêté par la police en compagnie de leaders et membres de la contestation rifaine. Il fait l’objet d’une première condamnation à trois mois de prison ferme et 20 000 dirhams (soit 1 800 euros) d’amende pour «incitation d’individus à commettre des délits par des discours et des cris dans des lieux publics». Une affaire d’échanges téléphoniques ne fait qu’aggraver la situation du journaliste. On l’accuse alors de non-dénonciation d’un crime portant atteinte à la sûreté de l’Etat.
Sept conversations téléphoniques sont dans le viseur de la justice marocaine. Les échanges ont lieu entre Hamid El Mahdaoui et Ismaïl Bouazzati, un ressortissant marocain originaire de la province d’Al Hoceïma et basé à Amsterdam. Au téléphone, l’homme fait part de son souhait d’introduire des armes et des chars d’assaut au Maroc. Entendu face au juge Ali Tarchi le 12 février, Hamid El Mahdaoui se défend en expliquant n’avoir rien caché aux autorités. Il déclare même avoir jugé les propositions de son interlocuteur «complètement insensées».
Une condamnation pour l’exemple
Jeudi 27 juin, lors de l’audience du journaliste, le tribunal a refusé que les enregistrements téléphoniques soient réécoutés. Pour Pierre Vermeren, historien et spécialiste du Maghreb, «cette condamnation vise les journalistes marocains mais elle est aussi un message clair adressé aux journalistes qui rentrent en contact avec des ressortissants basés dans des pays étrangers. Des pays en désaccord avec la politique du Maroc, comme les Pays-Bas.» En 2016, alors que la contestation gagnait la région, le régime a attisé la théorie du complot et de l’ingérence de ressortissants étrangers dans la révolte. «Cette décision donne du crédit à la thèse du complot étranger avancée par l’Etat et les journaux officiels pendant les manifestations du Rif», précise l’historien.
Lorsque Mohammed VI s’assoit sur le trône du royaume en 1999, le monarque avait affirmé «qu’il ne pourrait y avoir d’essor et de développement pour l’avènement d’une presse de qualité sans l’exercice de la liberté d’expression.» Pour Pierre Vermeren, la condamnation de Hamid El Mahdaoui et de six autres journalistes et citoyens est une preuve supplémentaire que le pouvoir est aux mains de «l’appareil sécuritaire. Il contrôle aussi bien la justice que la ligne à suivre vis-à-vis des médias. Les forces sécuritaires ne s’occupent plus des anciennes promesses du roi».
Les meneurs de la contestation, Nasser Zefzafi, Nabil Ahmjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid ont quant à eux écopé de vingt ans de prison. Deux ans après la mort de Mohcine Fikri, le poissonnier broyé dans une benne à ordure alors qu’il tentait de sauver sa marchandise, qui avait déclenché des émeutes dans le Rif, le sort réservé à Hamid El Mahdaoui a valeur d’intimidation pour les journalistes du pays.
Source Libération 29/06/2018