Dans les deux propositions de loi contre la manipulation de l’information, discutées ce jeudi 7 juin au Parlement, plusieurs amendements proposent une « labellisation » ou « certification » des médias par l’Etat. Entre excès de zèle et amateurisme, certains députés semblent bien décidés à apposer un sigle sur les sites Internet français…
« Information 100% certifiée par l’Etat français« . L’éventualité de ce label vous interroge, où vous met carrément mal-à-l’aise ? L’énoncé est évidemment provocateur, mais il semble que les parlementaires LREM et MoDem souhaitent souscrire à une formule de ce type. Car la loi contre les fausses informations, examinée à partir de ce jeudi au Parlement, est truffée d’amendements prônant la « labellisation » ou la « certification » des sources d’informations. Comme lorsqu’un label est présent pour indiquer la provenance d’un fromage, les députés souhaiteraient pouvoir doter les sites Internet et autres organes de presse d’un sigle permettant leur identification. Faire la part des choses, en somme, entre les sites d’informations fiables, qui diffusent de vraies infos, et les autres. Selon certains députés, ce label devrait être distribué par rien de moins… que l’Etat lui-même.
Ces amendements sont multiples : au moins cinq d’entre eux tentent d’inscrire l’existence d’un label dans la loi. Un groupe issu de la majorité La République en marche réclame ainsi la création d’une « obligation de signalétique » qui doit permettre d’identifier quels sont « les sites de confiance » et ceux « de moindre crédibilité« . Ces bons et mauvais points devraient être distribués selon des « modalités » et des « critères » qui « seront définis par décrets« , c’est-à-dire directement… par la puissance publique ! Pour compléter ce contrôle, les députés proposent même une « procédure de labellisation certifiée » qui serait « confiée au Conseil supérieur de l’audiovisuel » (CSA). Actuellement, le rôle de cet organisme est de garantir l’exercice de la liberté de communication à la télévision et à la radio.
Derrière la « bonne intention »…
Si cet amendement était adopté, il reviendrait donc à l’Etat de déterminer quel site d’actualité – et donc qu’elle information – est suffisamment fiable pour obtenir son label. Il n’en a pas fallu davantage pour que, sur Twitter, plusieurs journalistes s’indignent, en appelant à la douloureuse figure de Big Brother, ou d’un nouveau ministère de la Vérité. « C’est un problème, vous ne pouvez pas confier un impératif de certification au CSA, déplore Patrick Eveno, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information. Dans un état libre de droit, il ne lui revient pas de trancher ce qui est fiable de ce qu’il ne l’est pas en matière d’informations sur Internet« .
Pour contrer cette critique, d’autres députés se défendent de vouloir labeliser l’information… tout en proposant de délivrer « une signalétique visible et appropriée des contenus publiés par des services de presse en ligne« . « Ce n’est pas un label. Il s’agit simplement d’un signe qui pourrait permettre aux lecteurs de s’y retrouver dans les sites qu’ils visitent et qui serait valorisant pour les journalistes« , se défend auprès de Marianne la députée MoDem Sophie Mette, assurant aussitôt « avoir eu une très bonne intention » en proposant ce texte.
… un label indirectement remis par l’Etat
Avant même l’ouverture des discussions au Parlement, son amendement d’origine a été directement escamoté. En cause, la présence d’un élément particulièrement saisissant, qui avait déjà suscité l’ire, indique-t-on au MoDem, de « plusieurs personnes, plusieurs journalistes« . Dans cette première version, les députés centristes proposaient que cette fameuse « signalétique » soit délivrée par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). Aujourd’hui, cette dernière a un rôle essentiellement fiscal : elle reconnaît quelles publications bénéficient des avantages postaux et fiscaux attribuées à la presse. C’est elle, aussi, qui attribue leur carte presse aux journalistes français. Bien qu’elle constitue une autorité administrative indépendante, son président et certains de ses membres sont nommés par un arrêté du ministre chargé de la Communication.
Là encore, en proposant que le choix d’un sigle revienne à la CPPAP, les députés MoDem suggéraient donc, en somme, que l’Etat français identifie quelles sources d’informations étaient crédibles, et quelles autres ne l’étaient pas. « Ça a été mal perçu mais il s’agissait bien d’une maladresse, indique-t-on. Nous l’avons rectifiée en indiquant simplement qu’il fallait une signalisation. Nous voyons bien le problème que proposerait une attribution d’un sigle par l’Etat« . Et au MoDem d’ajouter, très mal-à-l’aise : « On vous assure que nous n’avons jamais eu l’intention de labelliser l’information« . De quelle manière serait alors défini le fameux sigle de bonne conduite médiatique, si aucun organisme public ne s’en mêle ? « Nous n’y avons pas encore vraiment réfléchi, concède Sophie Mette, un peu confuse. Peut-être que l’amendement ne sera pas adopté, alors il est encore trop tôt pour y penser ! »
Un label pour « exercer un vrai contrôle déontologique »
Après quelques hésitations, la députée finit par lâcher une idée, celle d’une commission extérieure à l’Etat, constituée de professionnels des secteurs des médias : « Rien n’est encore écrit, précise-t-elle. Tout est encore possible et ouvert, en tout cas en ce qui concerne cette proposition ! » Une idée qui rejoint notamment celle de Reporters sans frontière, qui réclamait, début avril, la création d’un label européen pour faire le tri entre les vraies et les fausses informations : « Ce serait une bonne idée pour permettre une certification des méthodes production de l’information« , se réjouit Paul Copin, juriste de l’association. RSF imagine pour sa part un système de labellisation qui rejoindrait celui des autres industries, passant par exemple par l’Association française de normalisation (AFNOR) : « Cela nous d’avoir permettrait une garantie de fiabilité« , poursuit-il.
Mais pour Patrick Eveno, aucune des solutions proposées aujourd’hui en matière de certification ne fait l’affaire : « On est en train de construire une vraie usine à gaz, regrette-t-il. Les propositions de Reporters Sans Frontières ou celle des députés ne sont pas les bonnes, pour la simple raison qu’elles demandent d’exercer un contrôle a priori, sur un contenu qui n’a pas encore été produit. C’est absurde ! »