jeudi 21 novembre 2024
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Fac de Montpellier : le doyen et des profs accusés

Évacuation violente de la fac de Montpellier : le doyen a démissionné


Plusieurs personnes ont été blessées (dont trois hospitalisées) dans la nuit de jeudi à vendredi lors de l’agression des occupants de la faculté de droit par un groupe d’homme cagoulés armés de bâtons et de tasers. L’inspection générale de l’Éducation nationale et de la recherche a été saisie.


Jeudi soir, à Montpellier, la journée de mobilisation contre le Plan étudiants se termine par l’occupation d’un amphithéâtre de la fac de droit et de sciences politiques, sise rue de l’École-Mage, en plein cœur de la vieille ville. En début d’après-midi avait commencé une assemblée générale, selon un communiqué de l’union syndicale Solidaires. L’AG s’est officiellement terminée vers 17 heures. Mais l’occupation a continué.

Que s’est-il passé dans la soirée ?

L’établissement est toujours occupé. Entre 23 heures et minuit, une bande d’individus armés de bouts de bois et de tasers – qui envoient des décharges électriques – font irruption par la porte haute de l’amphi. Plusieurs sont cagoulés. Dans de nombreuses vidéos partagées sur les réseaux sociaux, on les voit agresser les occupants de l’amphi pour les déloger.

On peut par ailleurs voir dans les vidéos des hommes en rouge, qui seraient les agents en charge de la sécurité incendie. On ne les voit à aucun moment s’interposer. Contactée, l’université explique qu’ils «assuraient l’évacuation de la faculté».

Libération a recueilli le témoignage de plusieurs personnes présentes au moment des faits. Celui de Marie (1) d’abord : «Des étudiants en droit contestaient la légitimité de l’occupation», à laquelle participaient des personnes extérieures à l’université. Selon elle, «vers 23 heures-minuit», plusieurs étudiants arrivent en haut de l’amphi : «Ils commencent à nous compter. Après ils sont sortis de l’amphi. […] Tout à coup, un mec est entré. Il y avait plusieurs gars, le premier qui est entré n’était pas cagoulé, c’était une armoire à glace. Le deuxième était plus jeune, il avait dans sa main une planche de palette avec des clous.»

Marie descend pour récupérer ses affaires, en se retournant elle découvre la scène : «L’amphi était plein de mecs qui frappaient au poing, à la planche, au taser. Je me suis précipitée vers la porte. La sécurité ne faisait rien. On est sorti de l’amphi, pour aller dans le hall. On a vu qu’ils descendaient les grilles de l’entrée. Quand les grilles ont été fermées, il restait des étudiants manifestants à l’intérieur de la fac. Ces gens-là se sont fait tabasser entre la grille et la porte de sortie.» Un témoignage accrédité par une vidéo publiée sur Facebook : on y voit un homme agressé entre la porte d’entrée de la fac et des grilles.

Bilan de l’expulsion : plusieurs blessés légers, dont trois ont été pris en charge par le Service départemental d’incendie et de secours et emmenés au CHU Lapeyronie de Montpellier. Les pompiers expliquent avoir été «appelés par la police aux alentours de minuit pour des échauffourées».

 

Le doyen mis en cause

Plusieurs personnes assurent que le doyen de la faculté de droit, Philippe Pétel, aurait ouvert la porte aux agresseurs. Ainsi, Octave, étudiant d’une autre faculté et membre du syndicat Solidaires : «Un peu avant minuit tout le monde est sorti de l’amphi, parce qu’on a vu des personnes tout de noir vêtues et [le doyen] Pétel, entrer par une porte [de l’amphithéâtre] qui était fermée.» Octave est catégorique : «C’est le doyen qui a ouvert la porte. Je l’ai vu de mes propres yeux. Ils sont entrés dans l’amphi, ont frappé les étudiants, moi j’ai pris deux coups à la tête, un dans le ventre, j’ai des marques aux visages et le nez qui saigne. La sécurité incendie n’a rien fait, elle les a laissés faire. Les hommes en noir étaient une dizaine, cagoulés.»

A lire aussi CheckNews | Le doyen de la fac de droit de Montpellier a-t-il fait rentrer des militants cagoulés pour tabasser les bloqueurs ?

En ligne, le témoignage de Léna a été partagé plusieurs milliers de fois, vidéo de l’évacuation à l’appui. Elle dit avoir été menacée depuis et ne souhaite pas répondre à nos questions. Mais dans son post Facebook, elle écrit : «Le doyen n’a pas autorisé la police à rentrer dans la faculté, pour arrêter les hommes qui ont envoyé trois étudiants à l’hôpital. Le doyen de la fac de droit, je l’affirme parce que je l’ai vu, a montré à ces hommes, dont il n’avait pas peur, les « cibles ». Des étudiants, des jeunes comme vous.»

Un témoin anonyme et qui souhaite le rester répond aux questions de Libé, au téléphone, par l’entremise de son avocate (qui dit avoir porté plainte en son nom) : «Le doyen a réuni autour de lui, à l’extérieur de l’amphi, les personnes opposées à l’occupation de la fac. Il les a fait rentrer par une porte habituellement verrouillée, qu’il a lui-même ouverte, en haut de l’amphi.» Selon ce témoin, les opposants à l’occupation s’immiscent dans la salle, doyen en tête, et comptent les occupants. Ils ressortent. L’avocate répète ce que lui dit son client : «Ensuite, il a fait sortir tous les anti-occupation. Et c’est là que les gros bras débarquent dans l’amphi, par la même porte, et foncent dans le tas des occupants.» Des personnes qui étaient présentes toute la journée sur les lieux pour protester contre l’occupation seraient venues avec ces «gros bras» pour faire évacuer les locaux. Deux d’entre eux ne portaient pas de cagoules et étaient armés de tasers selon notre témoin.

 

Des professeurs reconnus

Octave, de Solidaires, explique aussi à Libération : «Des étudiants en droit ont reconnu [parmi les individus violents] des professeurs de la faculté. Un professeur en droit civil et un professeur d’histoire du droit.» Deux chargés de TD ont également été reconnus.

Le témoin anonyme cité plus haut corrobore : «Il y avait plusieurs professeurs avec les personnes cagoulées. Ils portaient des cagoules, mais on les a reconnus parce qu’ils étaient habillés de la même manière que la journée.»Libération a essayé d’entrer en contact avec ces professeurs, qui n’ont pas donné suite.

Emma (1), étudiante d’une autre faculté montpelliéraine, qui a fui l’amphi au moment de l’évacuation, explique qu’après être sortie de la fac, «à l’intérieur il y avait le doyen de l’université, il y avait d’autres adultes, des profs, des chargés de TD, et les hommes cagoulés à l’intérieur. On les a vus faire des gestes de joie» (voir vidéo ci-dessous).

 

Quelle est la position de l’administration de la faculté ?

Le rectorat a eu connaissance des accusations contre le doyen et des professeurs. «Pour l’heure, nous traitons ces informations comme des rumeurs. Elles circulent sur les réseaux sociaux et sont invérifiables», nous fait savoir l’administration.

Dans un premier temps, le doyen de la faculté, Philippe Pétel a répondu à France 3, expliquant n’avoir «fait rentrer personne» : «Il y avait une bonne cinquantaine d’étudiants, ils ont voulu se défendre, je ne peux pas les en blâmer. Les étudiants en droit qui étaient là, ils étaient tous contre l’occupation […] Je suis assez fier de mes étudiants. Je les approuve totalement.» Une coupe réalisée au montage précède les dernières déclarations (qui concluent l’interview) : impossible donc de savoir précisément de quels étudiants Pétel est fier, et surtout pourquoi.

Le doyen a également répondu aux questions de Libération. Il évoque lui une «échauffourée», et pas du tout une agression à sens unique, même si les témoignages et les vidéos semblent indiquer l’inverse. Pour Philippe Pétel, les occupants étaient majoritairement des personnes extérieures à la faculté, venant d’autres établissements : «Certains ne posaient pas de problème, mais en revanche il y avait des violents. Vers minuit, l’échauffourée s’est terminée par l’évacuation. On a fini par fermer les rideaux de fer, les étudiants en droit sont restés à l’intérieur, les autres dehors.»

Il ajoute : «Parmi les personnes cagoulées, oui, c’est possible qu’il y ait eu un prof de droit. Les gens de la fac de droit défendaient leur fac.» Il nie toutefois avoir été présent sur les lieux de l’évacuation : «J’ai vu des cagoulés toute la journée mais je n’ai pas vu la scène dans l’amphithéâtre. Je ne suis pas à l’initiative de la venue de ces hommes en noir. On attendait la police.»

 

Plainte déposée, enquête ouverte

En milieu de journée ce vendredi, le ministère de l’Enseignement supérieur a publié un communiqué. La ministre Frédérique Vidal, «informée de l’intrusion» d’individus «encagoulés» dans la faculté, missionne l’Inspection générale de l’Education nationale et de la recherche (IGAENR) pour se rendre sur place dès lundi. Elle n’exclut pas d’engager des poursuites judiciaires.

Vendredi à la mi-journée, l’avocate Sophie Mazas a confirmé à Libération que plusieurs plaintes contre X pour violences volontaires ont été déposées à Montpellier par des personnes disant avoir été victimes des individus violents. Le président de l’université a également annoncé dans un communiqué porter plainte contre X.

D’après les informations de Libération, les étudiants qui occupaient l’amphi ont rencontré vendredi en fin de journée le préfet et la rectrice de l’Hérault. Ils demandent le renvoi du doyen, Philippe Pétel.

Plusieurs rassemblements ont été organisés au lendemain de l’évacuation dans la préfecture héraultaise d’abord, mais aussi à la Sorbonne, à Paris, ce vendredi à 19 heures.

 

EDIT: samedi 24 mars, par voie de communiqué, l’université de Montpellier annonce que son président a accepté la démission du doyen de la faculté de droit de Montpellier, Philippe Pétel. «Au regard des événements, M. Pétel a pris sa décision», commente l’université, qui assure ne pas avoir demandé au doyen de quitter son poste. «Les enquêtes pénale et administrative en cours devraient permettre d’en apprendre plus sur ce qu’il s’est passé», ajoute l’université de Montpellier, qui assure ne pas avoir d’informations sur la présence ou non de professeurs au moment des faits.

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.