A Gaza depuis l’accord de paix, qui n’en est pas un, mais dont les effets manifestes signent un désintérêt progressif des populations sur la situation de détresse qui ne cesse de se perpétuer et qu’ Abu Amir décrit si bien en conclusion d’un de ses derniers textes le 19 Décembre.


 

« Avec toute l’ironie possible, le tableau reste inchangé : Israël poursuit ses violations, Washington poursuit son soutien, et le monde continue de publier des communiqués que personne ne lit, que personne ne croit, et qui ne changent absolument rien. »

A la lecture de ses écrits quotidiens notamment autour des compte rendus d’actions dans les camps et des rencontres permanentes avec les gazaoui.e.s auprès desquels les équipes ne cessent d’ intervenir un sentiment prend le devant de toute situation : celui de la peur. Pour la population au bout de plus de deux ans de génocide cette émotion est permanente, elle s’infiltre dans tous les moments de la vie et ombrage le corps et l’esprit sans répit. C’est à se demander quels sont les effets d’une telle émotion en continu sur l’être humain….A partir d’extraits de textes reçus cette fin de décembre Abu Amir décline précisément ce sentiment dans des situations toutes différentes .

« Sur le plan psychologique, les habitants du secteur traversent un état d’épuisement émotionnel et mental. La peur permanente, la perte de proches, l’incertitude quant à l’avenir et les nouvelles incessantes annonçant un possible retour de l’escalade à tout moment ont entraîné des niveaux de stress sans précédent. Les enfants, en particulier, souffrent de troubles du sommeil, de crises de panique, d’énurésie, et de longs silences précédant les larmes. Les centres de soutien psychologique qui existaient avant la guerre ont été détruits ou fonctionnent avec des capacités limitées, alors que les besoins n’ont jamais été aussi urgents. Dans chaque ruelle des camps temporaires, on peut lire l’épuisement sur les visages : yeux creusés, pas lents, corps affaiblis, voix éteintes cherchant une consolation dans un quotidien qui s’acharne à briser ce qui reste d’espoir. » 

Action éducative

 « Les enfants, en particulier, portent en eux des traumatismes profonds qui les accompagneront longtemps s’ils ne sont pas traités. Ces enfants, nés sous le blocus et ayant grandi au son des avions, dormant à la belle étoile, ont besoin aujourd’hui de bien plus qu’un morceau de pain ou une couverture. Ils ont besoin de retrouver la capacité de ressentir la sécurité. Que signifie l’enfance lorsque la peur devient la première langue qu’ils apprennent ? Que signifie l’avenir lorsqu’ils grandissent en redoutant chaque bruit fort, chaque mouvement soudain ? » 

Camp des pêcheurs

« Depuis des décennies, les pêcheurs de la bande de Gaza vivent sous un blocus étouffant imposé par la marine israélienne sur les zones de pêche et les routes de navigation. Au fil des années, ce blocus est devenu un fardeau qui pèse lourdement sur leur vie et les poursuit dans les moindres détails de leur quotidien. La mer n’est plus un espace ouvert comme autrefois, mais s’est transformée en un champ rempli de dangers, d’avertissements et de poursuites menées par des vedettes militaires. Malgré cela, avant la guerre, les pêcheurs continuaient à vivre avec beaucoup de patience et de défi. Ils s’appuyaient sur une vie marquée par l’austérité et entreprenaient des sorties de pêche périlleuses, souvent tard dans la nuit, se dissimulant dans l’obscurité de la mer, espérant qu’elle les cacherait aux yeux de la marine israélienne. Ils naviguaient avec peur, tenant leurs filets avec des cœurs tremblants, et revenaient chez eux avec ce que les vagues voulaient bien leur offrir : une maigre subsistance, mais suffisante pour apaiser la faim de leurs enfants qui attendaient derrière les portes ce que leurs pères rapporteraient de la mer. » 

Soutien psychologique

« L’équipe a commencé par expliquer la notion de « régulation émotionnelle », l’un des concepts les plus importants aidant la femme à réajuster ses émotions et à maîtriser ses réactions dans les moments de stress. Il a été souligné que la femme vivant dans un camp porte un stress double : elle gère son propre traumatisme tout en assumant la responsabilité d’atténuer la douleur de ses enfants, ce qui rend sa capacité à s’apaiser essentielle pour sa santé et celle de sa famille. « Mon corps est le miroir de mes émotions », qui a suscité une interaction notable. Les participantes ont été formées à identifier les zones de tension dans le corps, telles que les épaules, la mâchoire et les mains, et ont appris comment relâcher ces zones à l’aide de mouvements simples pouvant être réalisés en position assise, avant de dormir ou même sous la couverture pendant les nuits froides. Beaucoup de femmes ont exprimé une réelle surprise en découvrant que leurs tensions corporelles étaient directement liées à leurs émotions refoulées et à la peur qu’elles vivent depuis le début du déplacement. » …« Dès les premières minutes, l’émotion est apparue sur les visages des femmes, comme si leurs corps se souvenaient, pour la première fois depuis des mois, de ce que signifie ressentir le repos ou s’accorder un moment sans peur. Après l’exercice, l’une des participantes a murmuré que sa poitrine était devenue plus légère et qu’elle n’avait pas ressenti un tel relâchement depuis le début de la guerre. Une autre a ajouté que ce type d’exercices lui donnait le sentiment de conserver un contrôle sur son corps malgré le chaos environnant. Un large espace a ensuite été offert aux femmes pour exprimer leur réalité, dans un moment profondément humain et sincère. Elles ont parlé de leurs traumatismes, des mères qui pleurent en silence pour ne pas inquiéter leurs enfants, de leurs efforts constants pour afficher la force malgré la douleur, et des nuits sans sommeil, marquées par la peur de l’avenir. Cet espace est devenu un véritable exutoire, où les femmes ont senti que ce qu’elles portaient n’était pas un fardeau individuel, mais une expérience collective dans laquelle les cœurs se rejoignent avant les mots. » 

les équipes de l’UJFP affectées

« Les équipes humanitaires et de secours, qui tentent autant que possible d’alléger la souffrance, ont elles-mêmes besoin d’un soutien psychologique et social. Le travailleur humanitaire, qui entre de tente en tente, faisant face à des visages épuisés et des corps transis, porte avec lui le poids de l’expérience et rentre chaque nuit chargé d’images difficiles à supporter. Beaucoup travaillent sous une pression qui dépasse leurs capacités et ont besoin de programmes de soutien pour continuer à accomplir leur devoir. La guerre n’a pas seulement détruit les bâtiments ; elle a brisé les âmes et ébranlé tout ce qui était stable. »

« Au cœur de ce paysage complexe, on ne peut blâmer les habitants de la bande de Gaza pour aucun comportement ou position. Les pressions psychologiques et sociales qu’ils subissent dépassent les capacités humaines d’endurance, faisant de la simple résilience quotidienne un accomplissement humain en soi. »

Que ce soit lors des ateliers de soutien psychologique pour les femmes, lors des séances d’éducation pour les enfants, lors des distributions de vêtements ou de bâches pour les tentes ou lors des repas hebdomadaires la peur est ce qui lie et se lit aujourd’hui sur tous les visages des gazaoui.e.s . Comment continuer à maintenir l’esprit vivant, actif malgré le poids de la peur ?

Brigitte Challande

crédit photo ujfp Gaza

Avant de quitter cette page, un message important.

altermidi, c’est un média indépendant et décentralisé en régions Sud et Occitanie.

Ces dernières années, nous avons concentré nos efforts sur le développement du magazine papier (13 numéros parus à ce jour). Mais nous savons que l’actualité bouge vite et que vous êtes nombreux à vouloir suivre nos enquêtes plus régulièrement.

Et pour cela, nous avons besoin de vous.

Nous n’avons pas de milliardaire derrière nous (et nous n’en voulons pas), pas de publicité intrusive, pas de mécène influent. Juste vous ! Alors si vous en avez les moyens, faites un don . Vous pouvez nous soutenir par un don ponctuel ou mensuel. Chaque contribution, même modeste, renforce un journalisme indépendant et enraciné.

Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel. Merci.

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.