Mercredi 18 mars 5h20. Marianne a vomi cette nuit. Je l’ai vu faire en cachette après s’être gavée de chocolat. Hier, après avoir pris connaissance de son horoscope, elle a passé sa journée à concocter des plats avec un regard jovial. Dans la soirée, elle a commandé sur internet une chienne caniche noire avec de la laine qui flotte autour de son corps. Je redoute l’arrivée de cet animal sans doute autant que le chat qui se penche par la fenêtre par curiosité. Lui aussi n’en revient pas.
J’ai des idées noires. Pour tuer le temps, la radio nationale nous conseille de lire. Je tombe sur un article de la revue Multitude* écrit en 2000 qui parle du rôle joué par l’incarcération de masse et des moyens utilisés pour parvenir à assurer la gestion économique d’un tel système. Je ne résiste pas à l’envie d’en partager quelques extraits. Aux État-Unis, on comptait à l’époque plus de deux millions de prisonniers. « La paupérisation extrême de certains pans de la société américaine et l’ancrage d’une culture de la violence ont incité le système judiciaire à remplir mécaniquement les prisons par une application stricte de la loi. Le thème de la sécurité est devenu un enjeu électoral majeur dans un pays où les votants se déclarent satisfaits du mode d’organisation économique. Les élus particulièrement concernés ont pris des mesures exceptionnelles de contrôle des populations pour parvenir à diminuer considérablement le taux de criminalité (…) L’objectif d’une chute de la criminalité est désormais un référentiel prépondérant pour les tenants d’une politique sécuritaire en Europe. De nombreux responsables et leaders d’opinion appellent à s’inspirer de « l’expérience américaine » pour gérer les quartiers en difficulté. » On trouve toujours une bonne raison pour mettre les gens en prison, mais désormais il semble que nous sommes passé à une autre échelle. Nous n’étions jamais allés si loin. « Le cas américain présente une spécificité nouvelle car l’évolution conjointe de l’incarcération et de la criminalité n’est plus vérifiée. En fait, cette voie introduit un glissement inquiétant dans l’utilisation gouvernementale de la prison : celle-ci n’a plus pour objectif officiel de réintégrer les personnes dans un contrat social mais vise à écarter sur le long terme une part croissante de la société jugée comme définitivement irrécupérable. »
Cette situation inédite nous réserve bien des surprises… Comment s’est opéré ce glissement ? Je me retiens par le collier. J’évite de faire part de mon agacement à mes proches qui s’accommodent pour l’instant du confinement en y trouvant des éléments logiques. Lorsque je les entends louer l’esprit de responsabilité qu’il nous revient d’adopter en se conformant strictement aux mesures d’exceptions par solidarité, je leur en veux à tort, de leur peureuse honnêteté. Par respect pour mes semblables, il me revient de participer au rituel faute de pouvoir contrecarrer sa puissance. Je n’ai plus besoin de sommeil. J’hallucine dans cette obscurité qui abolit formes et couleurs. Furtivement j’ai vu Christophe Castaner en bébé volant. Il a traversé la chambre, chevauchant un phallus ailé tel un chapeau de Mercure. Tout cela m’inquiète.
Jm
* https://web.archive.org/web/20201001180058/https://www.multitudes.net/L-exploitation-carcerale-au-coeur/