Juste avant Noël, pendant que les sapins clignotent et que les colis s’entassent, La Poste a offert aux Français un cadeau parfaitement dans l’air du temps : une cyberattaque d’ampleur inédite.


 

Depuis le lundi 22 décembre, une large partie de ses services en ligne est devenue inaccessible. Digiposte et Colissimo jouent à cache-cache, le site officiel souffle le chaud et le froid, et l’usager découvre que même le courrier peut désormais « buguer ».

Comme souvent, le discours se veut rassurant. La Banque Postale assure que l’essentiel tient bon : les distributeurs crachent encore des billets, les cartes bancaires continuent de biper docilement, et si l’authentification forte a disparu, un SMS fera très bien l’affaire. Les données clients ne seraient pas compromises. Le numérique, nous dit-on, est solide, fiable, maîtrisé. Il suffit juste d’attendre que ça remarche.

La cause officielle ? Une attaque par déni de service distribué (DDoS), autrement dit un embouteillage numérique volontaire, orchestré avec des moyens techniques qui ne relèvent clairement pas du loisir du dimanche. Plus de vingt-quatre heures après, l’assaut faiblit peut-être, mais il tient suffisamment longtemps pour rappeler une évidence : nos services essentiels reposent sur des infrastructures aussi sophistiquées que vulnérables.

Année de l’instabilité numérique généralisée

La Poste n’est d’ailleurs qu’un épisode de plus dans une année 2025 particulièrement généreuse en cyberattaques. Hôpitaux ralentis, réseaux de transport désorganisés, administrations rendues inaccessibles, opérateurs énergétiques brièvement aveuglés : le numérique a multiplié les démonstrations de force. À chaque fois, la même chorégraphie bien rodée : interruption, inquiétude, puis conférence de presse au ton apaisant. « La situation est sous contrôle », traduction contemporaine de « circulez, il n’y a rien à voir ».

Sauf que l’impact, lui, est très concret. Soins retardés, démarches impossibles, entreprises à l’arrêt, citoyens dépendants d’applications soudain muettes. Mais tant que les flux financiers continuent de circuler et que les indicateurs restent présentables, la panne est reléguée au rang de désagrément temporaire.

Qui contrôle le système, qui en dépend

Derrière ces incidents à répétition se dessine une réalité politique rarement assumée. La numérisation totale n’est pas qu’un choix technique : c’est un choix de pouvoir. Ceux qui conçoivent, administrent et sécurisent les systèmes — grandes entreprises technologiques, opérateurs privés, États — détiennent désormais les leviers du fonctionnement quotidien. Les autres, la majorité, se contentent d’en être les usagers captifs.

Quand tout fonctionne, cette dépendance est invisible. Quand tout s’arrête, elle devient brutale. Impossible de poster un colis, d’accéder à ses documents, parfois même de gérer son argent autrement qu’à travers une interface défaillante. La promesse d’efficacité se transforme alors en injonction à la patience : attendez, le système redémarre.

Le capitalisme numérisé, efficace mais fragile

Depuis des années, le capitalisme s’est réorganisé autour de la numérisation intégrale : automatisation, centralisation, dématérialisation. Moins de coûts, plus de vitesse, une traçabilité parfaite. En contrepartie, une fragilité structurelle rarement débattue. Plus un système est concentré, plus il est rentable — et plus il devient une cible idéale.

Les attaques de 2025 montrent que cette fragilité n’est plus théorique. Elle est devenue un mode de fonctionnement normalisé. Et face à cela, le discours politique reste étonnamment constant : renforcer la cybersécurité, investir dans des solutions techniques, sans jamais remettre en question la dépendance totale au numérique ni l’absence d’alternatives réelles hors ligne.

Rassurer pour ne pas gouverner autrement

L’attaque contre La Poste agit ainsi comme un révélateur. Elle montre que dans un monde numérisé à l’extrême, la panne n’est plus l’exception, mais une variable intégrée. Et surtout, elle révèle une ligne de fracture : d’un côté ceux qui maîtrisent les systèmes et parlent de « résilience », de l’autre ceux qui les subissent et doivent simplement attendre.

À force de tout confier au numérique, on a peut-être gagné en rapidité ce que l’on a perdu en souveraineté et en autonomie collective. Le plus ironique, finalement, c’est que dans cette société ultra-connectée, quand tout s’arrête, il ne reste qu’une consigne très analogique : patienter. En silence. Jusqu’à nouvel ordre.