Cédric Caubère, secrétaire général de la CGT 31, était partie prenante de la flottille internationale pour Gaza afin d’apporter une aide concrète et briser le blocus de l’enclave imposé par Israël depuis 2007. À son retour, nous lui avons posé quelques questions.


 

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous embarquer sur la flottille ?

C’est une décision de la Confédération de faire participer la CGT à la flottille comme un outil de mobilisation pour rompre le blocus de GAZA. Elle m’a donc proposé d’en être. Cette initiative concerne l’action syndicale, car c’est le même système qui exploite et opprime les travailleuses et les travailleurs en France même si c’est à une échelle, avec une intensité différente, qui massacre et qui tente de rayer les Palestiniennes et les Palestiniens de la carte.

 

Quelle a été votre préparation avant de prendre le large ?

Je suis parti de Catane en Sicile, d’autres sont partis de Barcelone, le reste de Tunis. Avec la Global Sumud Flotilla1, nous avons été préparés aux actions pacifiques non violentes, aux aspects juridiques et aux règles de sécurité sur les bateaux.

 

Comment avez-vous vécu ces jours passés à bord ? Dans quel état d’esprit étiez-vous ?

J’étais avec la délégation suisse « Waves of freedom », « Les vagues de la liberté ». Nous avons embarqué sur le Wahoo, c’est le nom d’un poisson. C’est un long voyage qui prend du temps, il y a eu des contretemps. On a passé deux semaines en Sicile et vingt-et-un jours en mer. À partir du moment où on est partis, on n’est plus jamais descendus du bateau. Un bateau de 15 mètres de long avec 9 personnes à bord. C’est un espace où l’intimité n’existe pas et où tout est plus compliqué qu’à terre. Les tâches quotidiennes prennent du temps : écrire, cuisiner. Il faut accepter les conditions de vie collective, car on est tous unis dans un but commun : faire sauter le blocus, ouvrir un couloir humanitaire et stopper le génocide.

 

On a pu voir des images de bateaux attaqués par Israël, qu’avez-vous ressenti ? De la peur, de l’angoisse ?

De la peur bien sûr. Quand on vit la chose en direct, sur le moment, on est très concentrés et on met en place les consignes de sécurité apprises. On était au cœur des bombardements en pleine nuit. Notre bateau n’a pas été atteint, mais à 80 mètres du nôtre, le mât d’un navire a été coupé en deux par une charge explosive. On était assis côte à côte sur le cockpit avec nos gilets de sauvetage et on regardait en espérant qu’ils ne toucheraient pas le jerricane de fuel et que personne ne tomberait à l’eau. Ça aurait pu être pire, heureusement il n’y a pas eu de morts ni de blessés. Quatre bateaux ont été gravement endommagés et n’ont pas pu repartir. On était aussi en colère car, à la limite des eaux territoriales européennes, Israël était en train de faire un bras d’honneur à l’Union européenne qui n’a pas réagi. Sous la pression de leur opinion publique, deux gouvernements au sein de l’Europe ont pris leurs responsabilités : l’Espagne et l’Italie2 en nous accompagnant pour nous protéger avec des frégates y compris la Turquie. Le gouvernement français n’a rien fait. Il s’est fendu d’un communiqué disant qu’il ne fallait pas aller à Gaza. Les médias français ont fait toute une campagne contre les drones russes en Pologne mais aucun n’a réagi contre les bombardements des drones israéliens. L’opinion publique a bien pris la mesure des choses.

 

Racontez-nous comment s’est passé l’arraisonnement du bateau et votre arrestation.

Suite aux bombardements au sud de la Crète, en Grèce, on a été accompagnés par des frégates italienne, espagnole et turque qui veillaient à nous protéger. À l’approche de Gaza, on a compris qu’on allait être interceptés. Dans la nuit de mardi 30 septembre à mercredi 1er octobre, un navire de guerre s’est approché de la flottille. Et à la tombée de la nuit de mercredi à jeudi 2 octobre, ils nous ont attaqués en nous aspergeant avec une lance à eau. À 4h30 du matin, le Wahoo a été intercepté. Une deuxième vedette militaire nous a menacés : il ne serait pas fait usage de leurs armes si on se montrait pacifiques. Ils nous ont attaché les poignets avec des menottes en plastique, mais, avant, on avait déjà jeté nos téléphones portables dans l’eau. Il a fallu huit heures pour atteindre Israël. Ils nous ont fait débarquer en nous jetant sur un parking assis sans bouger pendant trois heures au soleil. On nous a menacés, humiliés. Ceux qui avaient tenté de dissimuler keffiehs et pin’s pro-palestiniens ont reçu coups de pied et de poing. On a été fouillés et dépouillés de nos affaires. Après la procédure administrative, on nous a mis dans un fourgon cellulaire sans manger ni boire pendant 24 heures. On n’était plus menottés mais encadrés par un ou deux policiers. On est restés des heures dans le fourgon cellulaire, et au milieu de la nuit, on est arrivés à la prison de Ketziot en plein désert du Néguev3. On nous a mis dans une cage de triage, on était entre 150 et 200 personnes debout, c’est là que le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir est passé en disant : voilà comment on traite les tueurs d’enfants devant les caméras de la télévision israélienne. Nous étions treize dans une cellule avec huit lits et cinq matelas par terre, un petit lavabo et un WC, deux fenêtres à 2,50 mètres du sol, l’une donnait sur le couloir, et la porte avait un petit fenestrou par lequel passait la nourriture. Nous n’avons pas pu nous doucher pas plus que sortir pendant cinq jours. On a pu sortir au moment où on a vu le juge ou le consul de France. Le juge nous a annoncé qu’on était sous le coup de la loi immigration illégale et qu’on allait être déportés. J’ai dû signer un papier comme quoi j’allais être déporté. La déportation est le terme juridique employé par le juge.

 

Les dockers italiens du Collectif autonome des travailleurs des ports, affilié à l’Union syndicale de base, ont lancé, le 2 octobre, une grève générale nationale pour soutenir Gaza et en finir avec la collaboration économique et militaire de l’Europe avec Israël, cette action vous paraît-elle possible en France ?

Nous étions en visio’ avec les dockers et les différents syndicats partie prenante de la flotille. Chaque organisation syndicale a eu des stratégies différentes. Le capitaine de mon bateau était un militant de l’Union maritime d’Australie. Moi, j’y était au titre de la CGT4, il y avait également de nombreux syndicalistes espagnols et un représentant des dockers de Gênes sur l’un des bateaux. La stratégie de la CGT est de jouer la carte de l’unité syndicale au niveau européen pour obliger les pays à prendre des mesures contraignantes envers Israël, c’est-à-dire des sanctions. On s’est félicités parce que la mobilisation a abouti à la reconnaissance par la France de l’État de Palestine. Mais, sans mesures contraignantes, ça veut dire que le génocide continue, également la violence des colons contre la population palestinienne dans les territoires occupés. On réclame la fin de l’accord d’association économique et commercial entre l’Union européenne et Israël. On a des positions communes avec les syndicats espagnols et belges. Au niveau de la Confédération européenne des syndicats, ça avance petit à petit, on part de loin parce que tous les syndicats ne sont pas sur la même longueur d’onde. Ici, nous avons une expression commune CGT-CFDT-FSU-SUD. Les Allemands sont très frileux. Quand la mobilisation internationale est forte, ça fait bouger les positionnements.

 

Quels enseignements tirez-vous de cette expérience solidaire envers le peuple palestinien ?

Entre le moment où on est parti de chez nous, où la flottille s’est mise en place, notre emprisonnement et notre retour, la question de la résolution du conflit a avancé vers la paix. La pression internationale de plus en plus forte a contraint Israël à stopper sa guerre et à libérer les prisonniers politiques palestiniens. La flottille a fonctionné comme un catalyseur important de la mobilisation qui s’est accrue dans le monde. Le conflit israélo-palestinien est particulièrement emblématique des politiques impérialistes du capital. Aujourd’hui, ce n’est pas fini. Même s’il y a le cessez-le-feu, l’ouverture du couloir humanitaire n’est pas résolue. On attend d’avoir des certitudes pour voir si la paix est effective. La paix semble s’imposer comme la solution la plus rationnelle.

 

Ils-elles étaient quatre toulousain.e.s à se joindre à la flotille pour Gaza : Cédric Caubère et Camille Serrano pour la CGT 31, François Piquemal député (LFI-NFP) de la 4e circonscription de la Haute-Garonne et Khaled Benboutrif, médecin urgentiste.

 

Propos recueillis par Piedad Belmonte

 

 

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Notes:

  1. La flotille baptisée « Global Sumud flotilla » a regroupé plus de quarante bateaux transportant des parlementaires, des juristes, des syndicalistes et des militant.e.s vers Gaza. Son objectif : apporter une aide humanitaire et briser le blocus illégal maritime de l’enclave.
  2. Le gouvernement espagnol, avec à sa tête le Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez, a soutenu l’action de la Global Sumud (Résilience en arabe) flotilla tandis que le gouvernement italien, avec sa cheffe Giorgia Meloni, était opposé à la flottille.
  3. L’ONG israélienne de défense des droits humains B’Tselem a publié un rapport sur la prison de Ketziot intitulé « Welcome to hell » (Bienvenue en enfer). Les Palestiniens incarcérés la qualifient d’« enfer carcéral ». Des milliers d’entre-eux-elles, de tous âges, connaissent une détention arbitraire et brutale, mauvais traitements, torture et même agressions sexuelles.
  4. En juin dernier, les dockers CGT du port de Marseille-Fos avaient refusé de charger, sur un navire à destination d’Israël, un conteneur rempli de composants militaires et en avait bloqué deux autres. Il s’agissait de pièces pour fusils-mitrailleurs fabriquées par l’entreprise marseillaise Eurolinks. Dans un communiqué, le syndicat alertait qu’il ne voulait pas « participer au génocide en cours orchestré par le gouvernement israélien ». Il y a cent ans, le 12 octobre 1925, près de 1 million de travailleuses et de travailleurs étaient en grève contre la guerre coloniale du Rif (nord marocain) à l’appel du Parti communiste, de la CGTU et de l’ARAC (Association républicaine des anciens combattants). La solidarité internationaliste-anticolonialiste, par la grève générale, est une première dans l’histoire du mouvement ouvrier.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin