Depuis le discours de Macron à L’ONU le 22 Septembre, 158 pays sur les 193 membres de l’ONU reconnaissent l’État de Palestine, dont la France enfin (mais sous conditions). Elle devient ainsi le 157e État à reconnaître celui de Palestine. Elle fait aujourd’hui partie des « 81 % des membres des Nations unies » qui ont fait ce choix. Mais du côté de Gaza qu’est-ce que ça change dans la vie quotidienne des Gazaoui.e.s ; reconnaître un État palestinien est-ce, comme l’écrit le journaliste Rami Abou Jamas, encore à Gaza, « reconnaître quelqu’un qui est en train de mourir ?
Dans la semaine qui a suivi Abu Amir, notre correspondant de l’UJFP à Gaza nous a envoyé deux textes d’analyse « de ce simple geste symbolique ou formel » dont nous livrons des extraits.
« Cette reconnaissance ne peut être perçue comme un simple geste symbolique ou formel ; elle reflète des mutations politiques et géopolitiques profondes dans le système mondial, ainsi qu’une prise de conscience croissante que la poursuite de l’occupation israélienne n’est plus acceptable ni viable au regard des normes internationales et des droits de l’homme. (…)
Depuis la proclamation d’indépendance palestinienne en Algérie en 1988, plus de 130 pays ont reconnu la Palestine comme un État indépendant. Cependant, l’Europe et les États-Unis ont longtemps hésité, insistant sur le principe selon lequel la reconnaissance devait être l’aboutissement de négociations directes entre Palestiniens et Israéliens. Cette position a offert à Israël une grande marge de manœuvre pour retarder le processus de paix, tout en poursuivant la colonisation et en maintenant l’occupation sans réelle responsabilité. Mais les récentes reconnaissances par des pays européens centraux tels que l’Espagne, l’Irlande, la Norvège, et l’intention de pays comme la France ou la Belgique d’envisager cette étape, représentent un tournant majeur. Elles proviennent de l’intérieur même du bloc occidental, historiquement perçu comme un soutien fidèle d’Israël. (…)
La dernière guerre contre Gaza a marqué un point de rupture dans l’opinion publique mondiale. Les images atroces des victimes civiles, en particulier des femmes et des enfants, ont poussé de nombreuses sociétés occidentales à exiger de leurs gouvernements des positions plus fermes contre Israël. Les massacres, largement documentés, ne peuvent plus être justifiés par le discours de la “légitime défense”. Après trois décennies de négociations vaines, il est devenu évident qu’Israël n’a aucune intention de permettre l’émergence d’un véritable État palestinien. Au contraire, l’expansion des colonies et l’annexion progressive des territoires visent à anéantir cette perspective. Ainsi, certains pays considèrent la reconnaissance de la Palestine comme un moyen de rétablir un équilibre politique et d’opposer un contrepoids aux politiques israéliennes.
À mon avis, ces reconnaissances ne constituent pas une fin en soi, mais le début d’un tournant historique. Le monde commence à réaliser que la négligence prolongée de la question palestinienne menace la stabilité régionale et mondiale. De plus, grâce aux réseaux sociaux, les peuples ne permettent plus à leurs gouvernements de manipuler la vérité. Cependant, il faut rester attentif au fait qu’Israël pourrait réagir par une escalade militaire ou politique pour entraver ce processus, voire tenter d’entraîner la région dans des affrontements plus larges afin de détourner l’attention des pressions internationales. (…)
Quel scénario ?
Scénario positif : les reconnaissances s’étendent à la majorité de l’Europe, ouvrant la voie à une campagne internationale visant à traduire Israël devant la Cour pénale internationale.
Scénario négatif : Israël réussit, grâce à son influence aux États-Unis, à bloquer toute nouvelle dynamique politique, et le statu quo perdure avec des flambées récurrentes de violence.
Scénario intermédiaire : les reconnaissances se poursuivent mais demeurent largement symboliques, tant qu’elles ne s’accompagnent pas de mesures concrètes comme des boycotts ou des sanctions.
Toutefois, la bataille ne se jouera pas seulement sur le plan politique : elle exige également une unité palestinienne interne, une résistance populaire sur le terrain et une détermination internationale à rejeter les politiques d’occupation. (…)
J’ai été profondément marqué par la phrase du Premier ministre espagnol Pedro Sánchez : “Si la reconnaissance de l’État palestinien est urgente, ce qui est encore plus urgent, c’est qu’il y ait un peuple palestinien qui l’habite.” C’est une phrase d’une grande force, car elle réorganise les priorités entre la légitimité de la carte et celle de l’être humain. Un État n’est pas seulement un nom inscrit aux Nations Unies ni des frontières tracées sur du papier, mais un système de vie dont la substance est composée d’êtres humains en sécurité, capables d’apprendre, de travailler, de se déplacer, de s’exprimer, de célébrer leurs fêtes et d’enterrer leurs morts dans la dignité. Sans cette condition humaine, toute reconnaissance internationale devient une sorte de don symbolique, incapable d’accompagner le Palestinien dans sa vie quotidienne, de le protéger d’une balle, d’abattre un mur ou de lui ouvrir un passage.
Ainsi, le véritable débat ne commence pas par “Faut-il reconnaître ?” mais par “Comment garantir la survie d’un peuple vivant sur sa terre ?” Ici se déploient des couches entremêlées de politique, de droit, d’économie et de société qu’il faut démêler :
Sur le plan politique, la reconnaissance de la Palestine s’est accumulée au fil des décennies mais elle est restée le plus souvent une reconnaissance sans outils concrets, car la réalité imposée sur le terrain — occupation prolongée et colonisation accélérée — a transformé la Cisjordanie en un archipel d’enclaves morcelées, gérées par des barrages, des restrictions de circulation et un système complexe de permis. Gaza, quant à elle, est assiégée et voit son cycle vital — électricité, eau, santé, éducation — continuellement épuisé, poussant les habitants à envisager l’exil ou l’impossibilité de bâtir un avenir. À côté, Jérusalem a été livrée à des politiques méthodiques de judaïsation : démolition de maisons, retrait de cartes d’identité, expansion des colonies, transformation de la structure physique et symbolique de la ville, réduisant la présence palestinienne tant matériellement que symboliquement. Tout cela ne sont pas des “détails”, mais des éléments d’un démantèlement silencieux de la démographie et du tissu social, qui, s’ils persistent, produiront au final un “État” sur le papier, sans peuple capable d’y résider de manière stable.
Sur le plan juridique, de nombreuses résolutions internationales consacrent le principe de la fin de l’occupation et du droit à l’autodétermination, mais elles sont restées dépourvues de mécanismes d’application. Cela signifie que la question soulevée par Sánchez pointe la faille entre le discours et l’action : comment transformer la reconnaissance en protection concrète ? Comment ériger une échelle d’outils : arrêt immédiat de la colonisation, interdiction de l’armement utilisé dans des violations documentées, conditionner les relations économiques au respect du droit international, soutenir les parcours de justice — de la compétence universelle à la Cour pénale internationale — afin que le droit ne soit pas réduit à des déclarations saisonnières ?
Sur le plan économique et social, on ne peut pas parler d’un peuple qui demeure si les conditions de vie sont grignotées chaque jour : terres confisquées, agriculteurs empêchés d’accéder à leurs champs, pêcheurs interdits de mer, marchés étouffés par les restrictions de circulation, chômage poussant la jeunesse à l’émigration, systèmes éducatif et sanitaire souffrant de maladies chroniques dues aux coupures, aux destructions et à l’hémorragie des compétences. La survie des gens n’est pas un slogan, mais un réseau de conditions tangibles allant de la sécurité personnelle à des opportunités décentes de travail et de créativité.
Sur le plan culturel et symbolique, préserver la mémoire, la langue, les programmes éducatifs et le récit historique est un acte existentiel. Effacer la narration d’un peuple facilite l’effacement de sa présence. À l’inverse, les arts, le cinéma, la littérature, l’archivage numérique et les initiatives éducatives ne sont pas des “luxes”, mais des instruments de résilience qui maintiennent le sens de l’appartenance et gardent l’image de soi présente dans le miroir du monde. Cela conduit au sens de la résistance civile quotidienne : une mère qui insiste pour envoyer son enfant dans une école sûre, un agriculteur qui plante ses oliviers sur une colline menacée de confiscation, une famille qui reconstruit sa maison pour la troisième fois, un étudiant qui documente par la recherche et le droit ce qu’il subit, une association locale qui répare ce que la politique a détruit, des sportifs et des artistes qui insufflent aux espaces publics le sens de la vie. Tous ces gestes sont des actes fondateurs d’un État construit de bas en haut, car la condition de l’État avant les ministères est l’existence d’un citoyen capable d’agir et de choisir.
Dans ce cadre, dire que “la reconnaissance de l’État est importante” est juste mais incomplet, à moins d’ajouter : “et il est encore plus important de protéger ses habitants.” La protection n’est pas une métaphore, mais un ensemble de politiques mesurables : cessez-le-feu permanent garanti par un contrôle international, levée du blocus et ouverture de passages humanitaires et commerciaux stables, démantèlement des restrictions à la circulation pour reconnecter la géographie palestinienne économiquement et socialement, gel complet des colonies puis démantèlement de leurs résultats illégaux, protection de Jérusalem et de ses habitants contre l’ingénierie démographique, lancement systématique de programmes de reconstruction avec une infrastructure résistante aux chocs, compensations justes, soutien direct aux secteurs de la santé, de l’éducation, de l’eau, de l’énergie en dehors de toute politisation, autonomisation des municipalités, universités et organisations indépendantes, car elles sont proches du peuple, plus aptes à transformer le financement en services, enfin une responsabilisation juridique sérieuse pour toute violation, quel qu’en soit l’auteur, afin que la règle morale retrouve son sens : la vie des êtres humains avant tout.
Au niveau international, les responsabilités sont partagées : l’Europe, qui parle le langage des valeurs, est appelée à transformer son discours en outils — conditions dans les accords, révision des chaînes d’approvisionnement, refus des faits accomplis imposés par la force. Les États-Unis, avec leur influence militaire et diplomatique, peuvent transformer de faibles freins en véritables arrêts s’ils le veulent. Quant au monde arabe et islamique, sa responsabilité est de dépasser le cercle des déclarations pour apporter une protection économique, juridique et une coordination politique qui traite de la division et renforce les institutions civiles. Le Sud global, lui, possède une expérience historique dans l’affrontement des logiques de domination, expérience qui peut être traduite en alliances et nouvelles approches. Enfin, la société civile mondiale — campagnes de boycott, universités, syndicats, municipalités, églises et associations professionnelles — constitue le bras le plus flexible pour transformer l’empathie en comportements influents et durables.
À l’intérieur de la maison palestinienne, la condition “d’un peuple qui habite l’État” ne se complète qu’avec un contrat social solide : un État de droit transparent, des institutions de services efficaces, une lutte contre la corruption, une gestion unifiée des ressources, l’autonomisation des jeunes et des femmes, et un consensus politique qui place les divergences dans un cadre démocratique pacifique empêchant la division de se transformer en incapacité structurelle.
En somme, l’idée est simple et profonde à la fois : oui, nous avons besoin de la reconnaissance de l’État palestinien, mais elle restera une étape incomplète tant qu’elle n’est pas précédée et accompagnée d’une reconnaissance évidente du droit d’un peuple entier à demeurer sur sa terre, à vivre dans la dignité, la liberté, la sécurité et les opportunités. Un État, une carte ayant un sens que lorsqu’il est rempli par des êtres vivants capables de rêver. La reconnaissance n’a de valeur que lorsqu’elle se traduit par un système de protection, des parcours de justice et des conditions de vie tangibles. Répondre à l’appel de Sánchez passe donc par un changement de cap mondial, de la question de la légitimité symbolique à celle de l’existence concrète : comment arrêter l’effacement de l’homme et comment construire les conditions de sa survie ? Lorsqu’une réponse pratique sera trouvée à cette question, la reconnaissance politique deviendra une conséquence naturelle, et l’État palestinien ne sera plus une promesse différée mais une maison ouverte à ses habitants, une maison qu’ils savent être la leur parce qu’ils y vivent, y plantent du jasmin à leurs fenêtres, et enseignent à leurs enfants que la justice n’est pas un texte lointain, mais un pain quotidien façonné de droit, de dignité et de responsabilité partagée. »
La reconnaissance de la Palestine par Macron, c’est un État sans aucune souveraineté, sans aucune réalité, ça n’a aucun sens. Ce qu’on demande, c’est des sanctions et l’arrêt du génocide !
Brigitte Challande