Encore quelques échos de festival et c’est déjà parti pour de riches vocalises automnales. Les opéras du Sud préparent leur rentrée, la saison commence un peu partout et les maisons lyriques ont à cœur de poursuivre leurs exploits malgré les coupes budgétaires alarmantes.
Ce week end le rideau se lève tout de suite au Capitole de Toulouse avec « Thaïs » de Massenet, très attendu car rarement donné. Le metteur en scène Stefano Poda promet une « magie visuelle », et il reprend sa création de 2008 au Teatro Regio de Turin, un univers grandiose, impressionnant où la dimension symbolique est privilégiée. En 1894 cet opéra avait suscité pas mal de polémiques, le sujet étant jugé sulfureux : un conflit entre christianisme et paganisme… À Alexandrie, au IVème siècle, le moine Athanaël entreprend de convertir Thaïs, courtisane adulée et prêtresse de Vénus. Mais elle meurt comme une sainte et c’est lui qui se perd. C’est une œuvre… culte ! Notamment la célèbre « Méditation de Thaïs », une des solos les plus célèbres écrits pour le violon.
Thaïs, jusqu’aux larmes
Si la version de 2008 a fait l’objet d’un DVD, ses moulages géants d’oreilles et de seins n’avaient pas laissé indifférent, et la recréation de « Thaïs » au Capitole sera à coup sûr étonnante. On peut aussi compter sur le chef Hervé Niquet, qui va diriger Chœur et Orchestre National du Capitole. Spécialiste du répertoire français, maître du Concert Spirituel, et un des fondateurs du Palazetto Bru Zane, il a, depuis 1987, fait découvrir nombre d’œuvres à l’opéra de Montpellier, et au Festival de Radio France (encore cet été).
On attend beaucoup des deux formidables prises de rôle. Le célèbre baryton Tassis Christoyannis incarne le religieux vaincu par la passion, et Rachel Willis-Sørensen relève le défi d’un rôle qui offre une beauté mélodique et sensuelle. La soprano américaine au timbre très personnel a beaucoup travaillé ce discours musical si touchant : « Le principal défi vocal est de trouver le juste équilibre : la partition comporte des notes aiguës optionnelles très impressionnantes, mais qui nécessitent de maintenir une certaine légèreté dans le registre grave. Je dois déterminer ce qui convient le mieux à ma voix : privilégier ces notes aiguës spectaculaires ou favoriser la richesse de la déclamation dans le médium ». Mais elle s’attache beaucoup au caractère de la courtisane : « La valeur d’une personne transcende son apparence », dit-elle, évoquant l’air célèbre du deuxième acte : « Quand elle se regarde dans le miroir avec désespoir, elle a peur de perdre ce qu’on lui a toujours dit être sa seule valeur. Ce que lui révèle Athanaël – et c’est là toute l’ironie – c’est qu’elle possède une âme éternelle bien plus importante que son enveloppe charnelle ». Emotion garantie.
Montpellier, un univers vériste
A Montpellier c’est un double succès qui est attendu début octobre ! « Cavalleria Rusticana » de Mascagni et « Pagliacci » de Leoncavallo sont souvent donnés en diptyque, mais sont tout à fait relus. L’idée est née à Toulon, en juin 2024, et c’est tout un monde qui a été mis en scène par Silvia Paoli. Elle l’avait installé dans l’amphithéâtre de plein air de Châteauvallon et l’Opéra Berlioz va maintenant accueillir sur scène ce monde vériste très réaliste, un univers de marginaux, de SDF, avec street art, tags et graff. Un lien très fort est établi entre les deux œuvres, le contexte social est privilégié. Clocharde, poubelles, grillages, jeunes défoncés, créatures marginales. Cette vision lyrique n’a pas fait l’unanimité à Toulon, mais l’Opéra de Montpellier n’en est pas à sa première « Soupe Pop » – on pense à la création de Marie-Eve Signeyrolle en 2016 !

Œuvre-phare du vérisme, « Cavalleria Rusticana » représente toutes les traditions de l’Italie, et la Calabre de « Paillasse » ajoute ses traditions mélodiques et dramatiques, moins faciles parfois que celles de l’œuvre jumelle. On dirait le Sud… Trahisons, jalousies, violences : l’Orchestre de Montpellier va réviser ses classiques sous la direction de Yoel Gamzou, maestro décoré d’Awards et aussi compositeur, et le Chœur de l’Opéra retrouve un répertoire connu, inauguré à Toulon ! Reste à découvrir une distribution qui rassemble une dizaine de jeunes chanteurs de renommée internationale qui se partagent les rôles des opéras, et donnent une cohésion à cet univers misérable.
Silvia Paoli reconnaît s’être beaucoup engagée pour créer ce monde… détruit. Avec la passion qui la caractérise : « Je cherche la chair, le fond qu’il y a dans les mots, dans l’action ». Et si pour elle mort et jalousie représentent bien l’Italie, elle s’attache surtout à la pauvreté actuelle : « On cherche toujours à mettre à part la pauvreté… Dans le vérisme on parle du pauvre. Actuellement on va perdre l’humanité. On est toujours absorbé par soi-même, on n’a plus de compassion, on n’a plus de regard vers les autres. Pour moi, le monde c’est partager ! Et je veux montrer cette part du monde qu’on ne veut pas voir ! » L’opéra ouvre les yeux.

Mozart et Verdi voyagent… retour aux Trois Grâces
La suite des programmes réserve des surprises. Il y a du Mozart dans l’air. « Don Giovanni », en octobre, à Avignon, une production mise en scène par Frédéric Roels et dirigée par Debora Waldman, réunit une belle distribution : Armando Noguera, Gabrielle Philiponet, Lianghua Gong, Mischa Schelomianski, Anaïk Morel… Ce sera un des événements de cet automne, sachant que le Capitole de Toulouse propose fin novembre sa propre coproduction mozartienne, mise en scène par Agnès Jaoui. Elle sera donnée en mai à Montpellier.

Si l’opéra de Marseille démarre fort en novembre, c’est avec un « Falstaff » plein d’humour, une réelle bouffonnerie verdienne, production donnée à Lille en 2023, dans une mise en scène couronnée par la critique, signée Denis Podalydes, avec des costumes de Christian Lacroix, et c’était Tassis Christoyannis, justement, qui incarnait un énorme bibendum, dans un univers d’hôpital, plein de surprises. Place cette fois au baryton Giulio Mastrototaro, et au chef Michele Sponti qui va mener Chœur et Orchestre de l’Opéra de Marseille. De quoi patienter avec bonheur en attendant de retrouver un autre « Falstaff », montpelliérain cette fois, celui que le Covid avait interdit au public en 2020. Les rares invités autorisés avaient pu découvrir la satirique mise en scène de David Hermann et la formidable interprétation du baryton Bruno Taddia. Ravis de le retrouver en janvier, avec le chef « montpelliérain » Michael Schønwandt, de retour à la baguette. Dans l’opéra de Verdi, « Tout le monde n’est que farce ». Succès garanti !
Michèle Fizaine
Contacts, horaires :
Capitole de Toulouse : « Thaïs » de Massenet du 26 septembre au 5 octobre, « Don Giovanni » de Mozart, du 20 au 30 novembre. 10 à 128 €. opera.toulouse.fr
Opéra de Montpellier : « Cavalleria rusticana » de Mascagni et « Pagliacci » de Leoncavallo, du 3 au 5 octobre. 27 à 83 €. opera-orchestre-montpellier.fr
Opéra d’Avignon : « Don Giovanni » de Mozart, du 10 au 14 octobre. 8 à 79 €. operagrandavignon.fr
Opéra de Marseille « Falstaff » de Verdi, du 9 au 15 novembre. 11 à 69 €. opera-odeon.marseille.fr
Post scriptum, à portée de voix
En annexe à l’opéra on partage des voix avec des festivals qui ont bien du mal à survivre… Deux concerts seulement cette année aux Voix de Maguelone : le 28 septembre à 17 h, on retrouve le contre ténor Yann Golgevit dans un programme étonnant et varié, « Vivaldi et Legrand-Barbara ». Et les moines tibétains de Guytö viennent le dimanche suivant déployer leur chant diphonique. En octobre c’est du côté du Pic Saint Loup que se croisent musique ancienne et chant avec, le 11, Rolf Lislevand aux instruments à cordes pour un programme baroque puis le 12 « Terra Mater, Voyage onirique a cappella » chanté par Les Itinérantes et la Maîtrise de l’IRVEM dirigée par Bertille de Swarte. Après une conférence consacrée à la polyphonie médiévale par Gisèle Clément, le 15 à Montpellier, la mezzo Fiona McGown partage « Folk Songs » avec Margaux Blanchard à la viole et Sylvain Sartre à la flûte, et en conclusion on fête les 1000 ans de Saint-Martin de Londres avec « Musique à Notre-Dame », interprétée par l’Ensemble Pérotin le Grand.
Contacts : compagnonsdemaguelone.org, musiqueancienneenpicsaintloup.com
Photo 1. A Toulouse, la passion est victorieuse dans « Thaïs », une approche symbolique et sensuelle (Turin 2008). Crédit Photo Ramella e Giannese
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