Lors de nombreuses conférence ou prises de parole Rima Hassan explique toujours que « C’est la question de la Nakba qui est structurante pour penser la Palestine et ses solutions politiques. Les réfugiés dans les camps vivent dans des espaces d’exclusion, de gestion des indésirables cela donne des générations de sacrifié.e.s et relève d’une épuration ethnique. »


 

Cette semaine ce sont trois textes qui détaillent, expliquent et nourrissent cette réflexion essentielle pour penser ce qui est en train de se passer et ne pas rester dans une impuissance tétanisante. Deux d’Abu Amir du 26 et 28 Août et le même jour le 28 comme en écho un texte de Mariam Abu Daqqa –militante du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), responsable d’associations de femmes prisonnières à Gaza toujours réfugiée au Caire (suite à son expulsion par le gouvernement français en novembre 2023).

Le coeur des deux textes d’Abu Amir raconte l’exode perpétuel de Gaza, une Nakba continue ; l’histoire d’un peuple à qui on a volé sa patrie

« Une fois de plus, Gaza revient sur la scène de l’exode, comme si l’errance avait été inscrite dans le destin éternel de ses habitants, un sort inéluctable dont nul ne peut se défaire. Comme si chaque famille palestinienne naissait déjà avec, dans sa valise, un billet pour un voyage forcé vers l’inconnu, un voyage qui commence par une course sous les bombardements et s’achève au bord d’une route, dans une terre vide, sans toit, sans mur et sans refuge…..

L’horizon qui se dessine n’est qu’un vide cruel, une étrangeté au sein même de leur patrie, un exil sans fin…..C’est une scène qui suscite à la fois douleur et colère, un exode collectif qui se répète comme si le temps s’était figé à l’instant de la première Nakba, quand les Palestiniens furent arrachés à leur terre. Aujourd’hui, la scène se rejoue à l’identique, mais dans une version plus sauvage, une version où Israël pratique une politique de terre brûlée sans retenue, faisant de l’exode un instrument d’extermination douce, une méthode pour déraciner les Palestiniens de leurs villes et quartiers, étape par étape, jusqu’à ce que toute la bande ne soit plus que ruines. Pourtant, malgré cette tragédie ouverte, l’exode demeure un témoignage de la résilience palestinienne, de leur capacité à rester en vie malgré toutes les tentatives d’anéantissement, de leur détermination à porter leur identité même en étant dispersés à ciel ouvert.

L’exode à Gaza n’est pas un simple déplacement d’un lieu à un autre : c’est une blessure ouverte dans l’âme palestinienne, une blessure qui ne cicatrise pas car elle se répète à chaque génération, une blessure qui fait du Palestinien un être exilé dans sa propre patrie, condamné à partir encore et encore. Chaque vague d’exode est une reproduction de la Nakba, un rappel que l’occupation ne se contente pas de la terre mais veut écraser l’homme lui-même, le réduire à un être brisé et sans abri. Mais la paradoxe est que cet exode répété n’a pas tué la cause, il l’a rendue plus présente et plus enracinée dans la conscience de chaque Palestinien. Car chaque voyage d’exode porte en lui une détermination : cette terre est la nôtre, quoi qu’ils fassent pour nous en arracher. »

« C’était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand les convois humains quittaient l’Europe, chargés des décombres des massacres et des persécutions, à la recherche d’un refuge sous un nouveau soleil. La Palestine, à cette époque, était une terre verdoyante, ornée d’oliviers, de blé et d’orangers, débordante de bonté et de générosité. Les Juifs arrivèrent sur cette terre comme réfugiés, entrant avec des visas palestiniens délivrés par les autorités du mandat britannique. Avec le temps, ils furent inscrits dans les registres officiels comme résidents, puis comme citoyens palestiniens.

Les Palestiniens les accueillirent à bras ouverts, partageant avec eux leurs maisons, les intégrant dans leurs marchés, cafés et champs. Jamais le paysan simple, ni le commerçant, ni l’imam n’imaginaient que ces « invités » portaient la trahison dans leurs bagages, et que ceux qui semblaient faibles et égarés deviendraient des envahisseurs armés.

Les années passèrent, et ceux qui étaient voisins formèrent des milices secrètes armées : la « Haganah », « Irgoun », « Lehi » et « Stern ». Ils s’entraînaient dans l’ombre, écrivaient la nuit des slogans sur la « terre promise ». Cette promesse n’était qu’un mensonge inventé : un récit selon lequel Dieu leur aurait promis cette terre il y a des millénaires, afin de couvrir leur vol et de justifier l’expulsion des Palestiniens de leurs foyers, comme si la révélation divine était devenue un outil au service d’un projet colonial.

Mais les Palestiniens étaient clairs : leur problème n’a jamais été avec la religion juive. Ils avaient vécu des siècles aux côtés des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans. Leur véritable problème était avec ceux qui venaient usurper leur terre, ceux qui voulaient les écarter et les transformer en étrangers sur leur propre sol. Leur problème était avec ceux qui brandissaient les armes face à l’enfant tenant son cartable, qui transformaient les mosquées, les églises en casernes militaires.

Puis vint l’année décisive : 1948. Deir Yassin, Tantoura, Haïfa, Jaffa… des noms transformés en larmes, et des larmes en Nakba. Plus de 700 000 Palestiniens furent déracinés de leur terre, expulsés vers l’inconnu. Ils emportèrent les clés de leurs maisons, espérant revenir, sans savoir que le monde entier conspirerait pour fermer ces portes à jamais.

Et la conspiration ne s’arrêta pas à la Nakba. Israël ne se contenta pas de ce qu’elle avait volé, mais dessina un plan clair : déplacer les Palestiniens étape par étape. Tantôt par les massacres, tantôt par des lois confisquant les maisons, tantôt par le mur qui déchire la terre, tantôt par les colonies qui poussent comme un cancer. Aujourd’hui, les dirigeants israéliens n’ont plus honte de leurs intentions : ils parlent ouvertement de nouveaux plans de « transfert », de la nécessité de déplacer les Palestiniens vers la Jordanie, l’Égypte ou ailleurs, comme si le peuple palestinien n’était qu’un pion sur un échiquier.

Les Palestiniens, eux, ne sont jamais restés silencieux. De la première Intifada à la seconde, des Marches du retour à la résistance de Gaza, ils n’ont cessé de répéter : « Nous sommes là ». Ils brandirent la pierre face aux chars, affrontèrent les balles avec leurs poitrines nues. Et à chaque génération née dans les camps, renaît le rêve du retour, comme si le sang palestinien portait une mémoire indélébile.

Mais le monde ? Le monde est resté spectateur. Les grandes puissances ont reconnu l’État dès ses premières heures, l’ont béni, soutenu avec de l’argent et des armes, puis ont fermé les yeux sur ses crimes. Lorsque les bombes s’abattaient sur Gaza, elles parlaient du « droit d’Israël à se défendre », tandis que des enfants étaient extraits des décombres. Lorsque des maisons étaient détruites à Jérusalem, elles signaient des contrats commerciaux et souriaient aux caméras.

Aujourd’hui, la scène est encore plus cruelle. Gaza étouffe sous un blocus implacable, ses enfants rêvent d’un verre d’eau potable et d’un médicament introuvable. Jérusalem est judaïsée pas à pas, les maisons confisquées sous prétexte de « lois sur les absents ». La Cisjordanie est morcelée par les check-points, les colonies s’élèvent, et le mur coupe les villages en morceaux. Les réfugiés demeurent dans leurs camps depuis 75 ans, rêvant d’une maison qu’ils n’ont vue que dans les photos de leurs parents et grands-parents.

Ce n’est pas une guerre de religion, contrairement à ce qu’on voudrait faire croire. C’est une guerre contre l’existence même, une guerre contre l’être palestinien parce qu’il dit : « Ceci est ma terre ». Le conflit n’est pas avec la Torah ni avec le judaïsme, mais avec une entité politique née de la tromperie et de la trahison, et qui vit du sang des autres.

Et la responsabilité ? Elle ne repose pas uniquement sur Israël. Le monde entier en porte la charge, car il a reconnu cette entité dès le départ, a légitimé son existence, et l’a laissée croître jusqu’à devenir un monstre insatiable. L’Europe, qui a exporté son problème en Palestine, porte la faute. L’Amérique, qui a fourni les armes, porte la faute. Et tous ceux qui se sont tus face aux massacres portent la faute.

La Palestine est devenue un miroir de l’humanité tout entière : celui qui se tient à ses côtés se tient du côté de la justice, et celui qui l’abandonne renonce à son humanité. Aujourd’hui, la Palestine n’est pas seulement une cause nationale, mais une cause morale, qui dévoile le mensonge et l’hypocrisie, et révèle comment la conscience mondiale peut être vendue à vil prix.

Et malgré toute cette injustice, le Palestinien demeure debout. Il garde toujours la clé de sa maison, continue de planter l’olivier dans l’espoir qu’il fructifie sur sa terre, continue d’écrire sur les murs des camps que le retour est un droit, et que, peu importe la durée de la blessure, elle finira par guérir.

C’est la « promesse du sang », une promesse qui ne vient pas du ciel mais des sacrifices des mères, des enfants et des martyrs. Une promesse qui dit que la terre n’appartiendra jamais à l’usurpateur, peu importe le temps qui passe, et que le retour n’est pas un simple rêve, mais un destin que le Palestinien écrira de son sang, génération après génération, jusqu’à ce que la Palestine revienne à son peuple et que le droit retrouve sa place. »


Texte de Mariam Abudaqqa, 28 Août :

« Dites-nous ce que nous devons faire ? Et que devez-vous faire pour votre humanité……

Ce qui se passe à Gaza n’est pas une guerre contre le mouvement Hamas comme le prétend l’occupant, mais une agression généralisée qui vise les civils, enfants et femmes, journalistes, secouristes et médecins, protégés par le droit international, et qui sont pourtant tués et emprisonnés sans pitié.

L’occupant détruit les maisons, mais ces belles maisons étaient-elles des casernes militaires ? Le lecteur ignore peut-être que plus de 80 % de nos maisons ont été rasées.

Dites-moi, mes amis : quel est le crime des jardins et des bibliothèques ? Quelle est la faute des rues, des lampadaires, des feux de signalisation, des terrains de sport et des arbres ? Quelle logique peut justifier la destruction de tous les aspects de la vie à Gaza ?

Netanyahu dit qu’ils n’affament pas Gaza, alors qui bloque l’approvisionnement en nourriture, en eau et en médicaments ? Qui empêche les hôpitaux d’être approvisionnés en carburant ? Qui prive les gens des éléments les plus fondamentaux de la vie ? Qui empêche l’entrée des produits d’hygiène et de nettoyage ? Si ce n’est pas l’occupation, est-ce le diable qui est responsable de toute cette destruction ?

Aujourd’hui, ils disent au monde qu’ils ne veulent pas que nous nous déplacions vers le sud de la bande de Gaza, déjà surpeuplée. Alors pourquoi tuent-ils des passants à chaque minute, détruisent-ils des maisons, font-ils sauter les infrastructures, prennent-ils pour cible les éboueurs et bombardent-ils les réservoirs d’eau ?

Croyez-moi, mes amis, ils ne font pas la guerre aux combattants, mais à tout un peuple. Où pouvons-nous aller ? Que pouvons-nous faire ? Attendre la mort en silence, regarder nos enfants mourir de faim, puis courir comme des rats d’une tente à l’autre à cause des obus et des roquettes, comme si nous n’avions aucune valeur ?

Ô monde silencieux, ô régimes impuissants, Israël continue de nous détruire et de nous tuer comme s’il était un dieu qui n’a de comptes à rendre à personne, qui ne triomphe que sur le sang des enfants. Dites-nous ce que nous devons faire ? Et que devez-vous faire pour votre humanité, pas la nôtre ?! »


Ne pas céder à l’impuissance, politiser l’impuissance 

C’est une réflexion développée par Simon Assoun militant de Tsedek lors de l’université d’été décoloniale

Politiser l’impuissance c’est se reconnaître dans le désespoir même comme point de départ non pour s’y complaire mais pour ouvrir un possible : c’est une méthode. Nous sommes des vaincus provisoires. Il ne s’agit pas d’avancer mais de stopper le temps de l’interrompre et d’abord se souvenir, chercher dans les ruines du monde. Savoir naviguer dans la défaite, la mémoire est un lieu de position stratégique située dans le présent. Notre seule arme c’est la lucidité de notre impuissance consciente et notre mémoire. Gaza c’est l’endroit du point d’interruption du discours progressiste occidental, l’endroit où les catégories politiques s’effondrent (la paix, la démocratie….). Gaza exige le frein, c’est une mémoire vive, nous devons choisir notre camp dans la mémoire c’est une guerre de récits.

Brigitte Challande

Avant de quitter cette page, un message important.

altermidi, c’est un média indépendant et décentralisé en régions Sud et Occitanie.

Ces dernières années, nous avons concentré nos efforts sur le développement du magazine papier (13 numéros parus à ce jour). Mais nous savons que l’actualité bouge vite et que vous êtes nombreux à vouloir suivre nos enquêtes plus régulièrement.

Et pour cela, nous avons besoin de vous.

Nous n’avons pas de milliardaire derrière nous (et nous n’en voulons pas), pas de publicité intrusive, pas de mécène influent. Juste vous ! Alors si vous en avez les moyens, faites un don . Vous pouvez nous soutenir par un don ponctuel ou mensuel. Chaque contribution, même modeste, renforce un journalisme indépendant et enraciné.

Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel. Merci.

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.