A Toulouse, un habitant de l’immeuble Messager s’est retrouvé enfermé dans sa cage d’escalier et sa voisine se retrouve « Sans domicile fixe ». L’immeuble est voué à la destruction par des pouvoirs publics qui ne s’embarrassent pas de méthodes extrêmes : l’entrave à la liberté de circulation des personnes et l’interdiction de jouir librement de son logement.


 

Le dimanche 27 juillet, Philippe (1) n’a pas pu aller chercher son courrier, car la porte de la cage d’escalier était fermée et dans l’obscurité. Alertée, sa sœur s’est déplacée pour constater que les accès à la cage de l’escalier 9 avaient été condamnés. Depuis la coursive, « je lui ai parlé à travers la plaque de zinc soudée. J’ai pu observer que toutes les cages d’escaliers de l’immeuble étaient condamnées et que, peut-être, d’autres personnes ont pu également se retrouver emmurées ».

Flambant neuf dans les années 70, l’édifice de quinze étages, réparti entre un bailleur social, propriétaire de 175 logements et de co-propriétaires privés (85 logements), a connu une détérioration progressive « volontaire » depuis l’entrée de l’immeuble dans le projet de rénovation urbaine, selon les co-propriétaires privés, rendant sans doute plus acceptable la démolition tant espérée par les décideurs du projet de renouvellement urbain. Il s’agit de la Préfecture, Toulouse Métropole, les Chalets (le bailleur) et le Conseil départemental de la Haute-Garonne, actionnaire majoritaire des Chalets.

Le Mirail, comprenant, notamment, les quartiers Bellefontaine et la Reynerie, est né de la volonté de l’architecte Georges Candilis et ses collègues, dans les années 60, de construire des logements beaux, lumineux, spacieux et traversants pour tout le monde, y compris les 260 appartements d’André Messager.

 

« Toulouse Métropole agit comme si c’était une entreprise privé »
Porte coursive exterieure esc 9 de l’immeuble.

Pour expliquer cet emmurement, les Chalets (le bailleur-NDLR) avancent qu’ils seraient venus accompagner des pompiers et de la police municipale à la recherche de traces de vie et qu’ils auraient sonné, en vain, au domicile de mon frère. Sauf que mon frère, qui sort rarement à cause de problèmes de santé, n’a jamais entendu la sonnette tinter », raconte Karine qui met en doute la véracité de la version du bailleur parce qu’il y a déjà eu un précédent dans le quartier. D’après l’Assemblée des habitants de la Reynerie, des locataires ont été aussi pris au piège au Grand d’Indy, un bâtiment dont la démolition est actuellement en cours.

« J’étais très en colère, car il s’agissait d’une mise en danger de la vie d’autrui. Heureusement que mon frère avait fait ses courses. C’est l’intervention d’un élu de l’opposition qui a fait débloquer la situation. »

Le lundi 28 juillet, lorsque Karine s’est présentée devant la porte d’accès à la cage d’escalier, celle-ci avait été réouverte. Son frère a été cloîtré pendant deux jours sans pouvoir sortir de chez lui. La sidération a laissé place à la rage. « C’est d’une violence inouïe, une atteinte à ma personne, s’indigne Philippe. C’est inconcevable de traiter les gens comme ça. Toulouse Métropole est censé être un organisme public qui touche de l’argent public, nos deniers publics, mais agit comme si c’était une entreprise privée qui dilapide l’argent public. »

 

Saura-t-on, un jour, qui a donné l’ordre de verrouiller la porte ?

Si le sentiment de colère a du mal à s’estomper, c’est que la visite de l’huissier en compagnie d’un représentant de Toulouse Métropole et de sept policiers municipaux, le jeudi 31 juillet, est encore imprimée dans sa mémoire et celle des personnes, solidaires, présentes à ses côtés.

D’abord, le mépris avec lequel s’est adressé l’huissier à Philippe ne passe toujours pas : « C’est vous ça ? » et la suffisance de la personne mandatée par Toulouse Métropole, visiblement agacée qu’on lui rappelle que Jean-Paul ne peut qu’être présent puisqu’il s’est retrouvé enfermé. « On n’est pas là pour ressasser ça. On vient juste constater que vous êtes toujours là ». Et on aurait eu presqu’envie de rire en entendant la question de l’huissier : « Vous êtes dans quel appartement ? Quel numéro ? » alors qu’il lui avait adressé une lettre à en-tête Toulouse Métropole, datée du 11 juillet et reçue le 17 juillet, signifiant la « prise de possession » du logement ce jeudi 31 juillet. Quand les soutiens de Philippe ont essayé de savoir qui était à l’initiative de l’enfermement par le verrouillage de la porte palière, l’homme de Toulouse Métropole a répondu : « Je pense que c’est une erreur mais ce n’est pas à moi de vous répondre. »

 

Anne est devenue une « sans domicile fixe »
Crédit photo Pablo Arce

Résidant au 13e étage de l’escalier 9, Anne a vécu un véritable cauchemar le jour où elle s’est retrouvée « Sans domicile fixe » suite à l’incendie du 21 juillet survenu dans sa cage d’escaliers. « J’avais commencé à faire les cartons, j’en étais au quarantième, j’y allais doucement parce que je pensais que j’avais le temps, le courrier de l’huissier me demandait d’évacuer au 31 juillet mon appartement. Les lances à eau des pompiers ont inondé mon salon, les cartons ont été mouillés. » Anne est partie avec deux pantalons, une robe et quelques affaires de toilette. « Je pensais pouvoir retourner chez moi, mais la porte a été scellée avec un verrou, j’étais effondrée », témoigne la septuagénaire devenue propriétaire en 2006 pour s’assurer « un toit sur la tête », « une sécurité pour la retraite ».

Malgré ses relances pour savoir quand elle pourra rentrer chez elle, Anne n’obtient aucune réponse. « J’ai perdu cinq kilos, j’ai des crises d’angoisse et ai du mal à dormir. Heureusement que ma fille est sur Toulouse. Elle m’a réconfortée, j’ai pu passer quelques nuits dans sa maison. »

 

« Je vais devoir quitter cet appartement la mort dans l’âme »

Cette expropriation décidée d’en haut contre l’avis des co-propriétaires, qui ont bataillé durant dix ans pour sauver leur immeuble, met en lumière l’inhumanité des dirigeants des institutions qui passent par pertes et profits le sacrifice d’une femme, divorcée, aux petits moyens qui a investi durant deux décennies dans la pierre, son crédit prenait fin le mois prochain.

Et l’attachement d’un fils pour l’appartement de celle qui l’a mis au monde. « C’est la mort dans l’âme que je vais devoir quitter cet appartement. Ma mère l’avait acheté en 1979 parce qu’elle avait fait ses études à Toulouse dans les années 50. J’y ai vécu pendant dix ans. Avec mon frère jumeau, on est arrivé ici en 1981 pour faire nos études. Je vis cela comme un véritable abandon. Cet appartement sera toujours associé à ma maman qui n’est plus là depuis 2019 ».

Piedad Belmonte

(1) Le prénom a été changé.

Photo 1 l’immeuble Messager Crédit photo Pablo Arce

 

 


 

Rénovation urbaine. La question de l’indemnisation

Karine, copropriétaire d’un T6 en duplex dans l’immeuble André Messager, témoigne de ses attentes avant l’audience, en septembre 2025, concernant l’indemnisation devant le juge de l’expropriation. « Nous réclamons une indemnisation de 600 000 euros pour notre T6 afin de financer l’achat d’un logement équivalent. »

« Notre immeuble Messager est rentré dans un programme de l’Agence nationale de renouvellement urbain (ANRU). Le groupe des Chalets exerce plusieurs activités : bailleur social, syndic et promotion immobilière. Au niveau de l’immeuble Messager, le groupe est à la fois bailleur social et gestionnaire de copropriété. Les Chalets ont mandaté Urbanis (1) pour faire un diagnostic en 2008 de la copropriété en le présentant aux habitants (locataires et propriétaires) comme une enquête permettant d’améliorer leur quotidien et trouver des solutions pérennes aux problématiques rencontrées. Urbanis devait aider la puissance publique à intervenir pour améliorer l’habitat et le bâtiment. Mais, à mon grand étonnement, le rapport de cette enquête a mis l’accent sur l’aspect social des résidents et sur les problématiques déjà signalées par les habitants au bailleur qui n’a rien mis en œuvre pour y remédier. Sur la base de ce document, notre copropriété a été estampillée « fragile et dégradée » et est entrée, en 2010, dans le projet de rénovation urbaine de l’ANRU. »

L’appartement en duplex où vivait Karine et où vit encore aujourd’hui son frère, Philippe, fait 129 m2. Depuis 2019, Toulouse Métropole proposait une indemnisation de 1 200 euros/m2. Le jugement rendu en mai 2025 par le juge de l’expropriation maintient le même montant.

En septembre 2025, les copropriétaires, exproprié.e.s, ont rendez-vous pour une audience devant ce juge au sujet des montants fixés en mai dernier. Karine et Philippe espèrent obtenir gain de cause dans leur revendication d’une indemnisation à hauteur de 600 000 euros afin de pouvoir financer l’achat d’un logement équivalent à Toulouse. « C’est le prix de ce Duplex spacieux avec 6 pièces, bien placé à cinq minutes à pied de l’université Jean-Jaurès, à dix minutes du centre ville, à cinq minutes de la Rocade et bien desservi par les transports en commun : bus et métro. »
Karine a des arguments plaidant sa cause : « Depuis que l’immeuble Messager est rentré dans le projet de rénovation urbaine, le bailleur social les Chalets a obtenu une exonération de la taxe foncière alors que nous, les copropriétaires privés, sommes toujours assujettis à 1 600 euros de taxe foncière par an. »

Où ira vivre son frère Philippe ? « Mon frère a reçu une assignation lui donnant deux mois pour libérer les lieux. Étant donné qu’il a des problèmes de santé et de mobilité, il lui faut un appartement avec ascenseur et des transports en commun à proximité comme c’est le cas actuellement ».

(1) « Urbanis agit pour l’habitat digne et durable », peut-on lire sur le site internet. Depuis 1979, l’entité privée accompagne et conseille les acteurs publics dans leurs politiques d’amélioration de l’habitat privé et le parc immobilier dégradé.

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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin