À l’heure où la démocratie semble en perte de vitesse,

comment redonner de la valeur au débat public ?


Pour explorer cette question, altermidi a confronté les points de vue de responsables politiques, de praticiens, de chercheurs. À travers leurs regards, une même exigence qui se dessine : rendre aux citoyen.ne.s le goût du débat, la confiance dans les institutions et le sens du collectif. Une exigence qui suppose à la fois plus de vérité, plus d’écoute, et plus de courage politique.

 

 

Eric Piolle - Maire de Grenoble

Questions à Éric Piolle, maire de Grenoble

 

Percevez-vous, sur votre territoire, une montée de la défiance envers l’information institutionnelle ou les médias traditionnels ?

Oui malheureusement en tant qu’élus locaux, on ne peut que constater à la fois la défiance envers les médias traditionnels, l’information institutionnelle et les politiques en général. Les élus locaux, politiques les plus proches des habitant.e.s, bénéficient historiquement d’une meilleure confiance, mais on voit que ce lien s’érode de plus en plus. À force de détruire le langage, de mensonges jamais admis, d’une information qui va trop vite, des médias qui n’ont pas le temps de vérifier leurs sources et pas assez de moyens pour prendre le temps d’enquêter, une véritable crise de la confiance s’est instaurée et se creuse depuis plusieurs années.

On le voit dans les paroles des personnes que l’on rencontre, dans les courriers que l’on reçoit, sur les réseaux sociaux… Et cette défiance est instrumentalisée.

 

Pensez-vous que les réseaux sociaux facilitent ou appauvrissent le dialogue démocratique à l’échelle locale ? Pourquoi ?

Les réseaux sociaux sont un outil d’expression intéressants, ils permettent une communication plus directe, d’établir un lien avec le public, une forme de proximité. Ils permettent de transmettre directement une information, de valoriser l’action locale et de faire passer des messages sans le filtre médiatique.

Malheureusement, ils sont instrumentalisés par des personnes qui n’hésitent pas à mentir et à propager des rumeurs et fake-news. Rien qu’à Grenoble, on compte au moins 4 sites qui se font passer pour des sites d’informations, mais qui sont en fait des sites au service de la droite et de l’extrême droite locale, avec un partage fort de faits divers et la propagation de rumeurs et fausses informations. Sites qui sont déclinés sur les réseaux sociaux pour générer de l’engagement et démultiplier l’effet des rumeurs.

Ce genre d’agissement commence à l’échelle locale, passe par les stratégies nationales des médias d’extrême droite comme Cnews, Frontière, Valeurs actuelles ou Europe 1 pour ne citer qu’eux, et va jusqu’à des opérations de déstabilisation organisées par des États contre d’autres, je pense ici à la Russie qui a le même mode opératoire, avec des créations de faux sites d’information et une présence accrue notamment sur le réseau social X, dans le but de déstabiliser les démocraties occidentales.

 

Comment distinguez-vous, dans votre quotidien d’élu, les missions d’information du public et celles de communication politique ?

L’information au public porte sur les faits objectifs, la vie quotidienne, elle est de fait relativement neutre. La communication politique est la communication du politique, elle cherche à faire adhérer aux décisions sur le plan des valeurs, des idées, en incluant la mise en scène du politique, pour la ou le faire paraître sympathique, sérieux, engagé…

 

La communication politique est parfois perçue comme manipulatrice. Comment éviter qu’elle ne devienne un obstacle à la transparence et à la confiance ?

De la même façon que les réseaux sociaux, la communication politique permet de construire une image qui soit plus lisse, plus consensuelle, d’appuyer sur des qualités et de gommer des défauts. Mais ça n’est qu’une image, au quotidien, on est un humain comme les autres. Aujourd’hui, tout est communication, les caméras et les photos sont partout, dans nos poches et celles de toutes celles et ceux autour de nous. C’est une pression importante de savoir que l’on a pas droit au moindre écart. D’où un sentiment de fausseté qui peut venir d’un manque de spontanéité.

Pour que la communication politique cesse d’être accueillie avec méfiance et rejet, il est avant tout fondamental pour moi que les politiques, dans leur communication, arrêtent de mentir, et surtout, quand ils mentent et que leurs mensonges sont démontés, qu’ils admettent leurs torts, s’excusent et, si la gravité des faits le requiert, démissionnent.

Enfin, il est intolérable que des personnes élues pour représenter les intérêts du peuple représentent d’autres intérêts, que ce soit des intérêts financiers personnels et/ou ceux des ultra-riches, des patrons des grandes entreprises. C’est ce mensonge originel qui est, je le pense, à la base de l’érosion du lien de confiance entre les citoyen.ne.s et les hommes et femmes politiques.

 

À votre avis, le mensonge en politique est-il perçu comme plus fréquent aujourd’hui ? Quelles en sont, selon vous, les causes et les conséquences ?

Le mensonge en politique a toujours existé, du nuage de Tchernobyl qui s’est arrêté aux frontières à Cahusac qui n’a pas de compte en suisse, en passant par la maladie de Mitterand et les voyages payés en cash de Chirac. Des mensonges qui pouvaient être fatales pour une carrière politique et qui devait au moins donner lieu à des excuses publiques. La différence aujourd’hui, ce que les chercheurs et chercheuses appellent l’air de la post-vérité, c’est que des politiques, même pris la main dans le sac, n’admettent plus leurs mensonges, on le voit avec Marine Le Pen et le RN dont les preuves de détournement de fonds européens sont accablantes mais qui préfèrent remettre en cause l’impartialité de la justice plutôt que s’excuser et revoir le fonctionnement de leur parti ; ou Bayrou qui modifie sa version plusieurs fois sur l’affaire glaçante de violences sur enfants et de pédocriminalité à Bétharram et préfère accuser les lanceurs d’alerte et les témoins que d’admettre sa culpabilité et de démissionner. Sans parler de Dati qui menace en direct les journalistes qui la questionne sur ses affaires potentielles de corruption, ou Sarkozy multicondamné, qui continue de mentir sur ses affaires.

Macron est aussi accusé d’avoir détruit le langage, d’utiliser des mots avec une forte charge symbolique ou scientifique et de les vider de leur sens, afin de tromper les Françaises et les Français. On l’a vu avec la planification écologique, son « je ne suis ni de droite ni de gauche » qui était en fait un « je suis très de droite », le « grand débat » lors des Gilets Jaune qui s’est avéré être un « grand “Cause toujours tu m’intéresses” », la gestion de la crise du covid, etc.

Aujourd’hui, on n’arrive plus à se retrouver sur des faits, des bases communes admises comme vraies. La majorité des médias appartiennent à des milliardaires dont certains comme Bolloré ou Stérin, pour ne citer qu’eux, se sont radicalisés et, surfant sur le racisme, le sexisme et la lgbtphobie de la société, promeuvent une idéologie d’extrême droite fondée sur la peur et les discriminations, pour qu’une partie des Français réclament et votent pour une restriction de leurs propres libertés et l’autoritarisme d’État.

En parallèle, pour des raisons budgétaires, on assiste depuis de nombreuses années à une explosion de la médiatisation des faits divers, pourtant beaucoup moins nombreux qu’il y a 30 ans, mais qui permettent de générer de l’audience et de l’engagement sans réel travail journalistique, donc à moindre coût. Cette multitude et le bourrinage des médias bolloréens veulent nous noyer dans un sentiment d’insécurité qui permet de désigner des boucs-émissaires et d’attenter aux libertés publiques sans que la société réagisse. Alors que toutes les statistiques à long terme montrent que les violences sont en diminution constante depuis 400 ans, et que les homicides ont été divisés par deux en 30 ans en France, ce voyeurisme morbide risque aussi de nous faire perdre notre lucidité face aux évolutions récentes qui méritent pourtant diagnostic et plan d’action à la hauteur.

La conséquence, c’est que pour une grosse partie des Français.es (comme les Américains qui ont passé une étape supplémentaire) la vérité ne compte plus, seul compte ce à quoi ils et elles ont envie de croire. Ainsi qu’une défiance et une lassitude, avec des politiques qui seraient « tous pourris ». La réélection de Trump, malgré ses 30 000 mensonges recensés lors de son premier mandat, devrait nous terrifier.

Tout cela est non seulement délétère mais d’une dangerosité extrême pour le débat public et nos démocraties, donc pour notre avenir et celui de nos enfants.

 

Quelles formes de polarisation ou de tensions identitaires avez-vous constatées dans les débats publics locaux (réunions, réseaux sociaux, etc.) ?

Les pires tensions identitaires, ça a été je pense lorsque l’on a changé le règlement des piscines en 2022 pour permettre à toutes et tous de choisir son maillot de bain, que ce soit pour raison de santé, de pudeur, de religion, etc. On savait qu’il y aurait des remous, mais un tel déferlement médiatique, de haine et de racisme, c’est stupéfiant. Sans revenir sur le fond du sujet, toute l’attention s’est portée sur les personnes qui cumule la double « faute » d’être à la fois une femme, et de confession musulmane pratiquante. Cette attention médiatique s’est cumulée en milliers de commentaires hargneux sur les réseaux sociaux, de courriers, de mails, allant parfois jusqu’aux menaces de morts.

 

Quelles initiatives pourraient aider à redonner de la valeur à la parole publique et à encourager un débat local plus respectueux et informé ?

Je pense que les citoyennes et citoyens ne sont pas assez armés pour reconnaître les manipulations et les mensonges. On n’apprend pas à l’école à trier et comparer les sources, à distinguer une étude scientifique biaisée, à faire le tri entre les médias. À l’heure des réseaux sociaux, de la vitesse extrême de l’information, il est vital que les citoyennes et citoyens d’aujourd’hui et de demain, soient éclairé.e.s et en mesure de faire la différence entre le mensonge et la vérité, entre l’émotionnel et le raisonnable. Cela devrait être enseigné dès la primaire.

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) et le gouvernement ont le pouvoir d’interdire des chaînes de télévision et de radio : et si on commençait avec celles qui sont multicondamnées pour injures à caractère racial ou provocation à la haine ? Il est simplement incompréhensible que l’on laisse le racisme et le sexisme fleurir sur l’espace médiatique quand on se prétend attaché à la démocratie.

Enfin, il est nécessaire de redonner une vraie place aux citoyennes et citoyens dans la vie politique. Les conventions citoyennes sont une bonne initiative, pour peu que l’on tienne ses engagements à appliquer les mesures plébiscitées par les citoyennes et citoyens.

 

Souhaitez-vous que votre collectivité joue un rôle plus actif dans la revitalisation du débat public ? Et si oui, sous quelle forme ?

À l’échelle de Grenoble, nous avons mis en place plusieurs démarches pour renforcer la participation des habitant.e.s au débat public : le budget participatif, qui existe désormais dans de nombreuses villes, les chantiers ouvert au public, où les habitant.e.s proposent des idées pour leur quartier et les mettent en œuvre avec les services de la ville, ou encore un dispositif de médiation d’initiative citoyenne.

La médiation d’initiative citoyenne nécessite 50 soutiens, elle propose un espace de dialogue entre porte-paroles d’une interpellation, élu.e.s et technicien.ne.s référent.e.s. Suite à cette rencontre, la Ville étudie les pistes de solution possibles et approfondit le problème avant de faire un retour lors d’une seconde rencontre auprès des porteurs de pétitions pour stabiliser les points d’accord ou de désaccord ainsi que les engagements de la Ville. Enfin, un compte-rendu validé par l’ensemble des parties est publié en ligne et envoyé à l’ensemble des soutiens de la démarche. En cas de désaccord persistant, les porte-paroles peuvent poursuivre leur mobilisation et déclencher un atelier et/ou une votation d’initiatives citoyennes. Les objectifs sont de mobiliser les Grenoblois.es, garantir l’égalité d’accès, accompagner les citoyen.ne.s dans leur démarche d’interpellation, proposer un dialogue constructif, garantir une forme de redevabilité et de transparence et ajuster l’action publique.

Lors de la crise du covid, nous avons aussi mis en place une convention citoyenne pour assurer la transparence et l’inclusion des Grenoblois.es au niveau local. Grenoble Alpes Métropole a de son côté lancé une convention citoyenne climat métropolitaine.

Je suis convaincu que nous pouvons, à tous les niveaux, redonner de l’espace aux habitant.e.s pour faire naître une véritable culture de la participation et de l’investissement dans la politique locale et nationale.

 

À lire aussi dans le numéro d’été 2025 d’altermidi#Mag1 les témoignages de Marc Sztulman, conseiller régional Occitanie en charge du numérique et de l’IA, Benoît Payan, maire de Marseille, Audrey Richard-Ferroudji, déléguée régionale de la Commission nationale du débat public, Anne-Françoise Volponi, chercheure associée au C.N.R.S, coordinatrice de recherche du laboratoire citoyen PASSIM.

Notes:

  1. Disponible en kiosques dans le Sud de la France, ou par abonnement.
Avatar photo
Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.