Depuis mai 2024, une des actions prioritaires des équipes soutenues par l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) dans les camps de déplacé.e.s à Gaza, c’est l’organisation régulière du soutien psychologique, notamment des femmes. Peut-on imaginer au XXIe siècle que c’est en luttant contre la malnutrition et la famine dues à un génocide qu’on restaure la dignité humaine ? Depuis début mars 2025 et la fermeture des points de passage pour l’aide humanitaire, c’est un défi que les équipes prennent à bras le corps. Résister même à la faim !


 

Cela fait environ un mois que les comptes rendus hebdomadaires des ateliers de soutien psychologique pour les femmes abordent et travaillent la question de la faim, de la malnutrition et du stade ultime la famine ; une compilation et des extraits de paroles et d’actions menées dont les thèmes sont «  Les femmes de Gaza nourrissent la faim par la patience », « Face à la rareté de la nourriture, protéger les enfants » et «  Malnutrition  » sont présentées ci-dessous :

  • « Au cœur de la tragédie qui assiège Gaza de toutes parts, où les repas sont devenus des vœux inaccessibles et où les soupirs des mères s’élèvent au-dessus du silence des tentes vides, une séance a été animée : Trente femmes du camp d’Al-Israa, au centre de Gaza, y ont participé. Des visages épuisés par la faim, des cœurs habités d’une patience que les mots peinent à décrire. Cette rencontre, une convocation collective d’une douleur si enracinée qu’elle ne se dit pas : elle se vit, jour après jour, bouchée après bouchée, larme après larme.

“Nous sommes ici pour parler de ce qui nous fait le plus mal, de ce que nous ne disons jamais… de la faim.

Une mère : “Une nuit très froide, nous n’avions qu’un demi-pain. Je l’ai partagé en quatre, et j’ai pris… l’air.

Une autre femme “Mon fils m’a demandé : ‘Maman, il y a du pain ?’ Je lui ai dit : dors, mon chéri, tu verras le pain dans tes rêves.” réalité quotidienne implacable.

Une participante a raconté le jour où elle a fait bouillir de l’eau, simplement pour faire croire à ses enfants qu’un repas arrivait. Elle a continué à faire bouillir l’eau jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement. Une autre a parlé d’une gomme à mâcher partagée entre trois enfants pour calmer leurs pleurs. “Même le goût est devenu un rêve.

Un autre moment fort a été l’activité “Le son de la faim”, où les femmes ont été invitées à décrire le son de la faim chez leurs enfants. L’une a dit : “Ce n’est pas un pleur, c’est une longue plainte, comme un sifflement de vent.” Une autre : “Mon fils ne pleure pas, il me regarde seulement. Ce regard crie sans bruit.” Ces mots brisaient le cœur, mais en même temps, semblaient rassembler les mères dans une étreinte invisible.

Cette séance a incarné une autre forme de résistance à Gaza : une résistance sans armes ni slogans, mais faite de mains qui vident des casseroles, de bras qui bercent des enfants affamés, et d’un courage muet qui façonne du pain spirituel pour éviter l’effondrement. Ce fut un espace de confession, mais aussi un espace de guérison — une façon de rappeler que la faim n’est pas qu’une question de nourriture, mais une bataille pour la dignité, un combat pour la survie, un repère humain qui devrait secouer les consciences du monde.

  • Au cœur du camp Al-Israa, au centre de Gaza, où les tentes s’entassent et où l’odeur étouffante de la poussière imprègne les moindres détails du quotidien, trente femmes déplacées se sont réunies dans une tente dédiée aux séances psychologiques et de sensibilisation organisées par les équipes de l’UJFP. La séance, intitulée « Comment protéger nos enfants face à la rareté de la nourriture et des ressources alimentaires », mêlant confidences silencieuses et recherche de solutions possibles sous la domination de l’impossible.

C’est la question quotidienne de leurs enfants : “Maman, y a-t-il à manger aujourd’hui ?

Puis a suivi une activité interactive intitulée “Un repas avec le peu que nous avons”, où l’on a demandé aux femmes d’imaginer un plat pouvant être préparé à partir des rares produits disponibles comme les conserves, la farine ou les lentilles. Elles ont ensuite discuté de la manière de le rendre sain et sûr, échangeant des astuces simples pour conserver les aliments dans des contenants couverts, ou suspendre les sacs en l’air pour éviter leur détérioration. On y a expliqué l’importance de se laver les mains avec de l’eau, même sans savon, de nettoyer les ustensiles de cuisine à l’eau chaude si possible, et de ne pas laisser les aliments cuits à découvert.

L’animatrice a ensuite parlé de l’hygiène comme première ligne de défense, expliquant que les enfants souffrant de malnutrition sont plus vulnérables aux infections. La diarrhée, la fièvre et la toux ne sont pas de simples symptômes passagers, mais des signaux d’alerte que les mères doivent prendre au sérieux, surtout s’ils se répètent. Elle a insisté sur l’importance de demander des soins médicaux dès que possible, même si les moyens semblent inexistants.

Comment observer les signes de maladie chez les enfants : perte d’appétit, léthargie, sueurs nocturnes, jaunissement de la peau. Elle a insisté sur l’importance de se rendre à tout poste médical proche en cas de doute. Un échange d’expériences : les mères ont partagé leurs méthodes de conservation rudimentaires, la fabrication artisanale de savon ou encore le filtrage de l’eau à travers du tissu. Ces moments furent parmi les plus importants de la séance, car ils ont allié savoir pratique et force de solidarité.

  • Dans l’une des tentes du camp Al-Asdiqaa à Deir Al-Balah, vingt femmes déplacées se sont réunies pour une séance animée par les équipes de l’UJFP, intitulée “Malnutrition”.

La séance a commencé par l’activité “Dessiner la réalité”, où chaque femme devait dessiner ou écrire ce que représente l’alimentation dans sa vie aujourd’hui. Les participantes ont livré des dessins émouvants : un seul repas partagé entre quatre enfants, un morceau de pain sec, un enfant affamé dormant à même le sol. Après la discussion, un exposé simplifié a été présenté sur le concept de malnutrition, ses causes et ses trois types (émaciation, retard de croissance, carence en micronutriments), en mettant l’accent sur les signes visibles que les mères peuvent identifier, notamment chez les enfants de moins de cinq ans et parmi les femmes enceintes ou allaitantes.

La sensibilisation seule ne suffit pas. L’équipe a organisé une activité pratique intitulée “Un repas avec ce qu’on a”. La troisième activité, intitulée “Alimentation des nourrissons en situation d’urgence”, portait sur l’importance de continuer l’allaitement maternel, surtout en l’absence d’aliments prêts à consommer. Des méthodes simples de préparation de repas complémentaires avec de l’eau et de la farine ou des lentilles ont été présentées, ainsi que l’importance de l’hygiène pour prévenir la diarrhée, qui aggrave l’état nutritionnel.

En clôturant la séance, l’objectif n’était pas d’offrir une solution magique à un problème complexe comme la faim, mais d’allumer une bougie au cœur de l’obscurité, de dire aux femmes : “Vous n’êtes pas seules”, et de leur donner des outils de base pour comprendre ce qui se passe dans le corps de leurs enfants et dans le leur. Cette séance a réussi à créer un rare mélange de savoir et de solidarité humaine, transformant une tente modeste en espace de résistance, où l’on parle de faim, mais aussi de rires, de larmes, d’espoir et de détermination. »

Offrir un espace de libération émotionnelle sûre et d’apprentissage collectif redonne aux femmes des outils pour résister à l’effondrement, et leur rend un semblant de contrôle sur une réalité imposée par la violence et les bombardements. Au milieu du vacarme de la guerre et du silence du monde, de telles séances ne sont pas la fin de la faim, mais le début de la conscience.

Brigitte Challande

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.