Sculpture, peinture… La demeure des artistes François Sergio et Madeleine Molinier vient d’inaugurer sa salle d’exposition. « Un regard tourné vers le haut ».
Il y a beaucoup d’amis, d’artistes qui fréquentent ce lieu magique, blotti dans le parc d’Issanka près de Sète, mais il mérite d’être encore plus connu du public. Depuis le décès du sculpteur François Sergio en 2017, son épouse Madeleine Molinier, peintre et mosaïste, continue de faire connaître leur résidence artistique, qui est en fait leur demeure, installée dans ce site unique, non loin des sources éponymes, et de la Vène, le fameux ruisseau qui alimente en grande partie Sète en eau depuis 1862. Issanka est un lieu-dit qui fait partie des communes de Poussan, Balaruc, Gigean. C’est un lieu de fêtes, dont témoigne l’hymne occitan de La Fèsta de l’Issanka1, « Chagrin faï ta mala » [« Chagrin fait ta malle »], et qui garde le souvenir de celles du Parti Communiste, dans les années 80.
Une inauguration et une donation. 1 535 peintures et sculptures !

La maison de ce duo d’artistes est un lieu propice aux créations, aux ateliers. S’il n’y manquait qu’une salle d’exposition, c’est chose faite, elle a été aménagée : la « Salle Molinier » vient d’être inaugurée le samedi 3 mai, et c’est l’artiste Robert Combas qui a coupé le ruban, épaulé par l’autre artiste André Cervera, en présence du maire de Gigean Marcel Stoecklin, ainsi que de personnalités de la Ville de Sète et de la région. Y sont présentés de magnifiques tableaux et quelques sculptures, mais tout autour, dans les nombreuses pièces et les recoins du jardin sont exposées les œuvres de ce couple aux multiples talents. 1 535 au total ! Madeleine Molinier le dit très simplement : « C’est un lieu que tout le monde adore, où l’on aime venir, qui est plein de charme. » C’est son combat. Un an après le décès de son époux, Madeleine a entrepris de faire donation de la maison et de ses œuvres d’art à l’Agglomération de Sète, elle a donc réuni démarches notariales et rapport d’expertise, et son offre a reçu un accueil favorable, un engagement moral en 2020, le maire et président de l’Agglomération François Commeinhes (qui vient de démissionner) projetant une réunion du conseil communautaire. Comme elle l’a déclaré lors de l’inauguration, elle remercie pour son soutien l’Association des Amis de la Maison Musée Sergio Molinier qui s’est créée en 2022 : « Cela me tient debout. Mais maintenant je suis bloquée, sans une aide de personne, et c’est un investissement financier qui commence à m’épuiser. Pour cette cause-là je donne tous mes efforts, toute mon énergie. Il est important de garder cette ambiance artistique, ce foisonnement d’œuvres. » Sa grande maison, où les pièces sont autant de lieux d’exposition ouverts les uns sur les autres, a demandé pas mal de travaux, notamment l’aménagement de deux hangars pour créer de nouveaux espaces — « un an de folie ! ». Et elle avait décidé de ne vendre aucun tableau… Postulant parmi les candidats de la sélection « Maison des Illustres », le « musée » a été bien classé, mais finalement non retenu. Les gagnants ont été des projets concernant Jean Jaurès et Jean Moulin…
De Sète à Issanka, et de la mer vers le ciel

Issanka, c’est la jeunesse de l’artiste peintre. À 14 ans, profitant du vélo qui lui a été offert pour son Brevet, elle y fait des escapades avec des amis, et grandit au cœur des joutes, car son grand-père Pierre Léon a été un des fondateurs de la Lance Sportive, en 1946*. Elle est sétoise, elle vivra d’ailleurs à Sète, en face de Monoprix, avec son époux, fréquentant toujours Issanka où habitent des amis. Mais le décès brutal de leur fils Jean-François, aquarelliste et photographe, les amène à tout quitter, et ils vont passer sept ans à la Martinique. S’ils rêvent d’un coin tranquille où revenir en vacances, ce sera Issanka, où ils s’installent finalement.
Les sculptures de François Sergio, dont on a célébré le centenaire de la naissance l’an dernier, ont marqué bien des lieux. Entre la mer et le ciel son imagination a travaillé à réunir verticalité et cosmogonie au fil de ses « 7 itinéraires » : pierre, métal, bronze, céramique, architecture, design et bois. On connait à Sète l’acrotère, « Les Météores » et la frise du Musée Paul Valéry, le clocher de Sainte-Thérèse, le monument Brassens, la fontaine de la Place Aristide Briand (qui ne sera pas réinstallée après les travaux…), « Le Colloque » au Palais consulaire, et aussi le bronze monumental du Palais des Congrès à La Grande Motte. On peut découvrir à Issanka les créations de ses diverses périodes, ses imaginaires, ses inventions enracinées et extraterrestres, arachnéennes et frémissantes, les expériences de ses « méandres cérébraux ». Robert Combas qui a été son élève comme Hervé di Rosa, garde l’image d’un professeur assez froid de prime abord, qu’il n’a vraiment connu que plus tard, mais il se souvient de toutes ces expériences, « dans une liberté évidente ».
Des projets et surtout des portes ouvertes

De nouveaux Ateliers Portes Ouvertes ont été organisés en ce début mai, et il y en aura d’autres le 15 août pour l’anniversaire de François, en septembre pour les Journées du Patrimoine, en octobre pour les ateliers d’Occitanie. Une vidéo de l’inauguration a été enregistrée, et le film de Lucie Cros, « De la mer aux étoiles » (2024), qui a accompagné récemment une conférence de Sylvie Lagnier, docteure en histoire de l’art et enseignante aux Beaux-Arts de Sète, sera bientôt rediffusé. Il retrace la vie de ce couple mythique.
Madeleine Molinier, qui va bientôt fêter ses 90 printemps, est très attachée à l’accueil des jeunes, des enfants des écoles, de ceux qui sont en situation difficile (santé ou placement), et s’en est beaucoup occupée à Poussan pendant quatre ans, réunissant jusqu’à 65 élèves. L’artiste a toujours eu la vocation d’enseigner, de partager, de transmettre. Elle a débuté à Paris auprès d’enfants en « maison à caractère sanitaire », puis elle a enseigné à l’école Paul Bert de Sète pendant dix ans, où elle avait une bonne quarantaine d’élèves. Pour elle un poste a été créé en Martinique, ensuite elle est devenue formatrice, a rayonné à travers la France et le monde, entre ateliers et conférences. Elle se consacre aussi à l’invention de contes pour enfants, a écrit L’imagination à la une pour les enseignants, Le réveil de la Montagne Pelée pour les petits de 6-8 ans.
Habile dans toutes les techniques, fervente de couleurs, de collages, de reprises et d’invention, Madeleine a arrêté de peindre après la mort de François, mais elle a continué de créer, notamment des mosaïques, des reliquaires. Elle travaille actuellement sur un grand tableau, un retable de 2,80 sur 1,20 m. Avec toujours autant d’ouverture, d’énergie et d’inspiration. « C’est le travail d’une vie consacrée à l’art », avoue-t-elle sans ambages, reconnaissant à François « un regard tourné vers le haut ». Un regard partagé.
Michèle Fizaine
* Ses nombreux tableaux sur les joutes ont toujours eu un grand succès. L’an dernier elle a signé l’affiche de la Saint-Louis, qui a fait l’objet d’une polémique car la mairie a choisi un tableau qui avait fait l’affiche d’un tournoi en 1999… (Lire les joutes s’affichent pour la Saint-Louis 2024 »)
Maison-atelier des Sergio Molinier, 287 rue du parc d’Issanka 34560 Poussan, Hérault. O6 84 85 55 08
Notes:
- La Fèsta de l’Issanka Chagrin), chagrin, fai ta mala… Quand lo cant de la cigala A l’epòca de St Clar Vos ditz fasètz vòstra mala Anatz vos a l’Issanka Assetats dessús l’erbèta Totes en cur cantaretz, Aquel bèl refrin de Cetta Que tot lo pòble a aprés : Chagrin, chagrin, fai ta mala Nautres nos volèm amusar Déjà canta la cigala Aicí la fèsta de l’Issanka. Traduction : La Fête de l’Issanka Chagrin, chagrin, fais ta malle Quand le chant de la cigale À l’époque de Saint Clair Vous dit de faire votre malle, Allez tous à Issanka. Assis dessus l’herbette Tous en chœur vous chanterez Ce joli refrain de Cette Que tout le monde a appris : Chagrin, chagrin, fais ta malle, Nous voulons nous amuser ; Déjà chante la cigale Voici la fête d’Issanka.