À la suite du premier texte Les blessures et les douleurs de Gaza, le journaliste a demandé à Abu Amir un témoignage plus personnel sur sa propre vie quotidienne. Il nous a semblé important de publier l’entièreté de son texte réduite à une ou deux phrases dans l’article paru dans Libération.
Qui suis-je ?
Au milieu de ces décombres, parmi les bruits de bombardements et les maisons effondrées, permettez-moi de dire quelques mots sur moi-même… non pas comme un étranger qui raconte un drame de l’extérieur, mais comme l’un des enfants de cette plaie ouverte.
Je suis un homme palestinien, de Gaza, j’ai dépassé la cinquantaine. Je ne suis pas un chiffre dans une statistique, ni un titre dans un rapport journalistique, mais une âme qui a vécu cet endroit avec toutes ses douleurs. Je vis au centre de la bande de Gaza avec ma famille, là où le mot « calme » n’a plus de sens, là où la sérénité est un luxe inaccessible, dans un tourbillon quotidien de peur, d’anticipation et de survie.
Je suis coordinateur pour l’organisation UJFP — un nom qui est bien plus qu’un acronyme ; c’est la main qui tente d’essuyer une larme, d’apporter un repas, de planter une graine de résilience au cœur de ce long siège. J’œuvre dans le domaine humanitaire et agricole, je veille sur ce qu’il reste de la terre, je reste à l’écoute des battements du peuple, de ses douleurs, de ses besoins, de ses petits rêves qui n’ont pas encore été anéantis.
Je suis indépendant, je n’appartiens à aucun parti politique, parce que je n’ai trouvé dans la division que déception supplémentaire. Je crois que la libération ne se construit pas seulement avec des cris ou des balles, mais par la conscience, la connaissance, l’éducation et la paix civile. Oui, à une époque de chute collective, je continue de croire que le mot est plus puissant que l’obus, et qu’un enfant qui lit un livre est le début d’un État indépendant, et non d’un État fondé sur la ruine et la discorde.
J’ai souvent dû fuir avec ma famille, nous avons été déplacés plusieurs fois : d’une maison à une tente, d’un quartier à des ruines, d’une paix fragile à une peur absolue. Nous avons goûté à l’amertume de voir une mère porter ses enfants en pleine nuit noire, cherchant une vie qui ne nous a jamais été accordée, et à l’amertume de voir les portes des écoles se refermer, pendant que celles de la faim s’ouvrent. Chaque fois, nous avons tenté de recommencer, comme des réfugiés dans notre propre patrie, portant ce que nous pouvions sauver, quelques objets et des photos rescapées des bombardements.
Je ne suis pas un héros, je ne me prétends pas pur. Mais j’essaie d’être humain. J’essaie de planter un arbre sur une terre minée, d’enseigner à un enfant sous une tente, de donner une dose de médicament dans un camp sans électricité. Je ne suis pas une exception, mais juste un homme parmi des centaines de milliers à Gaza, vivant la misère comme une routine quotidienne, résistant non pour vaincre, mais simplement pour vivre.
Nous, à Gaza, n’avons pas été créés pour le confort… mais pour tenir bon, pour lutter, pour construire un souffle de vie à partir des cendres.
Vous me demandez : ai-je du temps pour le repos ?
Non, le repos ne nous a pas été donné.
À Gaza, le repos est un rêve ajourné, parfois même interdit. Nous n’en connaissons ni la forme, ni le goût, ni même l’ombre. C’est un luxe qui n’a pas sa place parmi les ruines, le sang, et l’attente interminable de la mort. Le repos, ce n’est pas seulement s’allonger sur un lit en sécurité, mais être sûr que le toit ne s’effondrera pas sur toi, que tes enfants ne hurleront pas en pleine nuit à cause d’éclats tombés sur leurs fenêtres, que tu te lèveras le matin et retrouveras ta maison telle que tu l’as laissée la veille. À Gaza, ce privilège n’existe pas.
Dormons-nous ? Oui, mais pas comme dorment les êtres humains. Nous sombrons quelques minutes, jamais des heures. Nos têtes reposent sur des oreillers de peur, sur un sol qui tremble sous les frappes. Nous fermons les yeux sur le son des avions, et les rouvrons sur les explosions, ou sur les cris d’un enfant du voisinage qui a perdu sa mère dans un raid, ou sur les pleurs de notre propre enfant qui se réveille terrifié, car il ne croit plus que la nuit puisse s’achever sans tragédie.
Dans chaque maison à Gaza, quelqu’un dort avec un œil ouvert, fixé sur l’inconnu. Certains dorment avec leurs papiers d’identité dans un sac, prêts à fuir à tout moment. D’autres dorment tout habillés, ne sachant pas si on leur demandera de fuir en urgence. Le repos, pour nous, n’est pas un choix ; son absence est devenue une réalité imposée, une question existentielle qui revient chaque nuit : « Est-ce que je me réveillerai demain ? »
Même nos corps sont épuisés par l’alerte permanente, par les sursauts à chaque bruit, par les tremblements à chaque lumière dans le ciel. Nos enfants ont grandi trop vite, ils ne connaissent pas les jeux d’enfants, mais savent quelle est la cachette la plus sûre en cas de bombardement, comment se glisser sous une table, et où l’eau est cachée.
Nous ne savons pas quand nous nous endormons, mais nous savons que nous nous réveillerons… pas de notre propre volonté, mais à cause d’un bombardement qui fait trembler les murs, d’un cri d’alerte venant de l’extérieur, ou d’une nouvelle terrifiante chuchotée dans la nuit : une maison a été frappée, une famille a disparu.
Alors, ai-je du temps pour le repos ?
Non… Nous n’avons pas été faits pour le repos, mais forgés dans l’angoisse permanente, dans une vie qui creuse la pierre pour exister.
À Gaza, le repos est un mensonge, et la vigilance est une loi de survie.
UJFP… Un travail au cœur de l’enfer, une vie malgré la mort
À Gaza, où la mort ne laisse aucun répit, et où la vie se façonne à partir des cendres des maisons, nous avons commencé notre travail au sein de UJFP en 2017, comme quelqu’un qui tient une flamme au milieu d’une tempête. L’organisation n’était pas simplement une entité exécutant des projets, mais une main posée sur l’épaule du paysan, une lumière au bout d’un tunnel obscur, un espoir planté sur une terre épuisée par les bombes.
Soutenir les agriculteurs : reconstruire la vie à partir de rien
Depuis sa création, UJFP a accordé une importance particulière aux agriculteurs de toutes les régions de Gaza, en commençant par l’est de Khan Younès. L’objectif n’était pas seulement de rendre la terre productive à nouveau, mais de permettre à l’homme de retrouver sa terre avec fierté. Tout a commencé par le forage de puits à Khuza’a et Abou Taïma, ces villages rongés par la soif. Ensuite, des tours d’eau ont été élevées, des panneaux solaires installés sur les réservoirs, des canalisations tendues jusqu’aux maisons et aux champs, et une salle de réunion a été construite pour permettre aux agriculteurs de se retrouver, d’échanger, de se soutenir.
Mais le rêve ne s’est pas arrêté à l’infrastructure. UJFP a créé une pépinière agricole où les semis étaient distribués gratuitement, un par un, comme une promesse de vie nouvelle. Puis est venue l’usine de dessalement, pour fournir de l’eau potable dans un lieu qui ne connaissait que l’eau saumâtre. Il est alors devenu possible d’irriguer les terres, d’abreuver les gens, et même de remplir les bouteilles des écoles.
Une destruction totale… puis une renaissance depuis les décombres
Lorsque les flammes se sont abattues sur Gaza, rien n’a été épargné. Des missiles puissants ont réduit les infrastructures en poussière. Les puits ont été ensevelis, les tours effondrées, les panneaux solaires dispersés, et l’usine de dessalement réduite au silence. Tout est revenu à zéro, comme si des années de travail avaient disparu en un instant.
Mais pendant la dernière trêve, alors que les gravats étaient encore chauds, UJFP est retournée au travail. Certains puits ont été réparés manuellement, un grand bassin d’eau a été construit à Khuza’a, redonnant vie à des zones privées d’eau depuis des mois. L’usine de dessalement a été partiellement remise en service, permettant à nouveau à l’eau potable de couler timidement vers les réservoirs. Les terres n’ont pas pu être irriguées correctement à cause des nouveaux déplacements, mais à Deir al-Balah, les semis ont de nouveau été distribués… comme si l’organisation faisait fleurir des cœurs verts sur les cadavres des terres.
L’éducation… une lumière au milieu des ruines
Les enfants de Gaza n’ont pas seulement perdu leurs écoles… ils ont perdu leurs rêves. L’éducation est devenue un luxe, et une chaise d’écolier un rêve inaccessible. C’est pourquoi UJFP a créé des centres éducatifs alternatifs, dans des tentes et des espaces temporaires, pour des enfants dont les écoles ont été englouties sous les décombres. L’objectif n’était pas seulement de leur enseigner, mais de leur rappeler qu’ils restent des enfants, et non des chiffres dans les statistiques des morts.
Dans ces centres, les lettres sont enseignées avec patience, les sourires dessinés avec des crayons souvent brisés. Des livres ont été distribués, des sacs offerts, des petites cours ont été aménagées pour jouer… car un enfant à Gaza a besoin de rire, ne serait-ce qu’une seule seconde.
Le soutien psychologique… réparer les cœurs brisés
Les femmes de Gaza ne pleurent pas seulement leurs enfants, mais aussi leurs maris, leurs maisons, et jusqu’à leurs traits dérobés par la peur. UJFP ne les a pas laissées seules. L’organisation a commencé à proposer des séances de soutien psychologique dans les camps de déplacés, tenues sous des tentes qui ne protègent pas de la pluie, mais qui ouvrent des cœurs fatigués à la parole.
Des femmes de tous âges se sont réunies en cercles, racontant d’une voix tremblante comment elles ont fui sous les bombes, porté leurs enfants vers l’inconnu, comment elles passent leurs nuits sans toit ni chaleur. Des ateliers ont aussi été organisés pour les hommes – ceux qui ne pleurent pas devant les caméras, mais qui s’effondrent chaque soir en silence.
Et les enfants ont eu leur part. Des activités ludiques leur ont été offertes, ils y ont dessiné des maisons épargnées par les bombes, des cieux sans grondement, et écrit des souhaits simples : « Je veux dormir sans avoir peur. »
L’aide alimentaire mobile : nourriture et consolation
À Gaza, il n’y avait pas seulement une absence d’électricité ou d’eau, mais aussi de nourriture. En pleine famine, UJFP a mis en place un centre de distribution de repas chauds, là où vivent les familles d’agriculteurs. La nourriture avait le goût de la dignité. Elle était offerte avec des paroles bienveillantes. Nous suivions les agriculteurs là où ils se déplaçaient, et lorsqu’ils décidèrent de retourner chez eux, nous avons déplacé notre centre de distribution avec eux, pas à pas.
Notre travail n’a pas été limité aux agriculteurs. Nous avons aussi aidé des patients en insuffisance rénale à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, leur fournissant des repas, des fruits, et des bouteilles d’eau, lorsque cela était disponible.
Les repas n’étaient pas seulement faits pour nourrir : ils étaient un moyen d’atteindre les familles, de prendre de leurs nouvelles, de savoir qui avait besoin de médicaments, de couvertures… ou simplement d’une étreinte silencieuse.
Gaza ne meurt pas… elle lutte pour respirer
Gaza n’est plus tout à fait vivante… mais elle n’est pas morte. Dans chaque projet lancé, dans chaque repas distribué, dans chaque fleur surgie des ruines, il y a une petite histoire de victoire. Il y a un peuple qui ne connaît pas la résignation. Il y a des hommes, des femmes, des enfants… qui apprennent à créer des miracles.
À Gaza, nous n’attendons plus personne… nous construisons la vie de nos propres mains.
Et dans chaque main qui travaille, dans chaque œil qui veille, dans chaque enfant qui rit malgré la mort, une voix s’élève :
« Nous sommes là… et nous le resterons. »
Cher Samuel,
Je sais très bien que je ne suis pas l’élément central de cette équation, ni le pivot autour duquel tourne la vie. Je ne suis qu’un homme parmi plus de deux millions de personnes dans la bande de Gaza, partageant douleur et survie, et peut-être y en a-t-il beaucoup qui souffrent bien plus que moi. Néanmoins, je vais te répondre, car ta question ne me concerne pas uniquement, elle concerne le visage brisé de Gaza que je porte dans les moindres détails de ma vie quotidienne.
Après de longs mois de déplacements forcés répétés, à la suite des ordres d’évacuation émis sans relâche par l’armée israélienne, je suis enfin retourné chez moi. Cette maison que j’avais toujours rêvé de voir comme un refuge sûr est désormais habitée par la peur et l’angoisse. Une maison à deux étages, où je vis avec ma famille, et où réside également la famille de mon frère. Rien n’est plus comme avant, sauf les murs silencieux qui ont gardé l’écho de nos prières et des cris de nos enfants.
Depuis les premières heures du matin, je commence ma journée d’un pas lourd et l’âme chargée, me dirigeant vers les tentes éparpillées aux abords des villes détruites — à l’est de Khan Younès, en passant par les environs de Deir al-Balah et Nuseirat, jusqu’au nord de la bande de Gaza. Là, des milliers de déplacés vivent sous des toiles usées qui ne protègent ni du froid ni de la chaleur. Je ne me rends pas dans un lieu de travail ordinaire, je ne m’installe pas derrière un bureau ou devant un ordinateur. Je circule entre la douleur et les larmes, entre la peur et l’espoir, de tente en tente, tentant d’être une part de l’humanité qui subsiste encore au milieu de ces ruines.
Chaque matin, j’emporte avec moi mes feuilles, mes stylos et mes préoccupations, et je me rends dans les lieux soutenus par l’organisation UJFP : des centres éducatifs provisoires qui accueillent des enfants dont le chemin vers l’école a été brisé, des ateliers de soutien psychologique destinés à apaiser des femmes épuisées par des guerres sans fin, et des points de distribution alimentaire devant lesquels hommes, femmes et enfants font la queue du lever du jour jusqu’au crépuscule, dans l’espoir d’un repas qui calmera, au moins pour un moment, la faim dévorante.
Là-bas, dans les recoins de ces tentes, je vois des scènes que les caméras n’enregistrent pas. Une petite fille qui tremble à chaque bruit, et une psychologue qui lui murmure : « La peur est naturelle, ma petite, tu n’es pas seule. » Une mère qui pleure en essayant de calmer son fils qui se réveille en hurlant chaque nuit, hanté par le bombardement. Un vieil homme debout dans la file d’attente, dont les yeux disent ce que la langue ne peut exprimer. Je les écoute… non pas parce que j’ai des solutions, mais parce qu’ils ont besoin qu’on les écoute, besoin d’un espace pour parler, pour se confier, pour crier parfois sans crainte.
Je passe de tente en tente, de camp en camp, sans moment de répit ni de calme, uniquement des visages épuisés et des cœurs en quête de soutien — même si ce soutien n’est qu’une oreille attentive. Certains racontent la perte, un adieu sans corps, une mère ayant enterré son enfant de ses propres mains. D’autres parlent
de la faim, de la maladie, d’un rêve simple : dormir sans peur. Et chaque histoire que j’entends s’installe dans mon cœur et ne le quitte plus.
À la fin de la journée, je rentre chez moi. Je me débarrasse de la poussière du jour et me dirige vers mon petit bureau. Je m’assois pour écrire, non pas sur moi-même, mais sur eux. Ceux qui m’ont fait confiance et m’ont permis de porter leurs douleurs au monde. J’écris pour porter leurs histoires, pour qu’elles ne soient pas oubliées, pour qu’elles ne disparaissent pas, pour que le monde sache qu’ils étaient là… et qu’ils résistent toujours. Leurs voix ne me quittent pas, même dans mon sommeil. Leurs visages m’accompagnent dans mes rêves, et leurs cris me réveillent la nuit, alors je recommence à écrire.
C’est ainsi que je vis, et ainsi que je résiste. Non pas avec des armes, mais avec des mots, avec ma présence, et en prêtant l’oreille à une douleur que le silence ne peut contenir.
Quant à la nourriture, la situation est plus que douloureuse. La plupart des habitants, moi y compris, dépendent des conserves que nous avions stockées avant la fermeture des passages frontaliers, ou des rares aides distribuées par les centres qui ferment eux aussi peu à peu, faute de provisions. La faim, Samuel, n’est plus une exception, c’est devenu la norme.
Quant à la maladie, c’est un autre chapitre. J’ai été malade à plusieurs reprises depuis le début de cette guerre. Mon asthme s’est aggravé à cause de la poussière et de la fumée des explosions, et je souffre désormais de spasmes nerveux persistants, notamment à la jambe gauche. Ma femme, elle, fait des crises de fibrillation cardiaque qui la terrifient : son cœur s’emballe, elle s’endort en pleurant et se réveille en tremblant. Et pourtant, nous nous considérons comme chanceux. Car il y en a qui ont perdu leurs membres, d’autres leurs êtres chers, et d’autres encore souffrent en silence sous les décombres.
Je vais te raconter un incident que je n’oublierai jamais. Une nuit, j’ai reçu un appel m’annonçant que la maison de ma fille avait été bombardée. Il était dix heures du soir. Le ciel était rempli de drones « quadcopters » qui tiraient sur tout ce qui bougeait. Je n’ai pas réfléchi. Tout ce que je voulais, c’était la rejoindre. J’ai sauté dans ma voiture et roulé à toute vitesse. Je ne sais pas comment j’ai survécu. En arrivant, il y avait des ambulances partout. La maison était en ruines. Mes jambes m’ont lâché. Mon fils, à mes côtés, hurlait le nom de sa sœur. Les minutes passaient comme des siècles. Un jeune homme s’est approché, s’est présenté et m’a dit que la famille avait été transférée à l’hôpital, et qu’ils étaient en vie.
Ne me demande pas comment j’ai conduit jusqu’à l’hôpital. Je n’ai pas éteint le moteur, je n’ai pas fermé les portes, j’ai couru comme un fou. Là-bas… je les ai retrouvés. Couvertes de poussière blanche, leurs yeux hagards, mes deux petites-filles me regardaient comme pour comprendre ce qui venait de se passer. J’ai serré ma fille contre moi pendant qu’elle pleurait sans pouvoir s’arrêter. J’ai appris plus tard que la force de l’explosion les avait projetées du deuxième étage vers l’extérieur… et qu’elles avaient miraculeusement survécu.
Un autre soir, à la fin du Ramadan, ma femme préparait le repas du suhoor1 lorsqu’une explosion proche a retenti. Elle s’est écroulée de peur en fuyant pour se cacher et s’est gravement blessée au nez et à la bouche. Malgré le vacarme incessant des bombardements, je l’ai conduite moi-même à l’hôpital. Les routes étaient désertes, le ciel grondait au-dessus de nos têtes. On lui a recousu ses plaies, et nous avons passé la nuit à l’hôpital, trop effrayés pour rentrer.
Voilà mon expérience, Samuel. Et ce n’est qu’une goutte dans l’océan de souffrances. Je connais des pères qui n’ont pas pu transporter leurs enfants blessés, des mères qui ont attendu en vain des secours. Je connais ceux qui sont morts sur la route, faute de soins. Je connais ceux qui attendent encore une mort lente, faute de médicaments ou de respirateurs.
Je ne suis pas une exception. Je n’écris pas ces mots pour attrister quiconque ni pour susciter la pitié. Je les écris parce que tu m’as posé la question, et parce que le monde doit savoir que cette guerre n’a pas seulement détruit des maisons, mais aussi des âmes…
Et ce qui en reste tente encore de s’accrocher à la vie, envers et contre tout.
Avec toute mon affection
Un homme de Gaza
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