Des nouveautés mettent en avant les rappeurs sétois, dont les styles sont maintenant connus. Des projets actuels, à Sète, Montpellier et Mèze, les 10 et 12 avril.


 

L’identité du rap sétois est reconnue, avec son histoire où Demi Portion joue un rôle important, avec son lieu de naissance et de vie, les ateliers de La Passerelle. Inscrit dans la ville de Sète, il rayonne largement dans la région, en France et à l’étranger. Trois grands moments cette semaine.

 

À Sète, Hiris2 monte sur scène avec Audace

HIRIS2. Après « H2O », Bastien refait surface, avec ses remontées, son rire.

Il est à nouveau en train de « vivre ses rêves ». Il se prépare. Pour la première fois Hiris2 va monter sur scène, et il y pense depuis dix ans. Sophie, la patronne de l’Audace à Sète, l’accueille pour une scène ouverte, et ce sera « du rire aux larmes ». On va retrouver l’ambiance de ses deux albums,  Atypique, son identité perso — « une partie de mon âme » —, et H2O, son abysse aquatique, titre envisagé dès l’âge de 14 ans. Le premier comptait 11 titres, et le second, publié en 2023, en compte le double. C’était un projet ambitieux, qui a demandé trois ans de travail. Une quête intérieure : « Je me noyais dans la dépression… Il fallait un exorcisme. C’est comme une grande plongée introspective, et il faut remonter à la surface. Il y a des remontées avec du rire, pour “respirer” comme sur la pochette ! »

Bastien Julien, alias Hiris2, est déjà sur un prochain album, prêt à renouer avec son enfance — avec l’humour qui le caractérise. Ce sera Just kidding (Je plaisante), et il envisage des changements d’écriture — « en attendant d’être immature ». Sa folie des mots était fabuleuse, la quête d’Hiris2 était un projet assez sophistiqué, des textes très riches, pas de « blanc », rien à chanter pour un public. Une autre écriture commence : « Je cherche des trucs plus entêtants, plus agréables, de l’émotion. » Petit clin d’œil : « C’est super important pour un borderline ! »

Il a touché le fond, le rap en « immersion », soutenu par le champion de joutes et prof’ de plongée Aurélien Evangélisti, qui l’a aidé dans ses apnées sétoises. Nouvelle étape, après le fond de l’eau, c’est la montée sur les tréteaux. Faire sa sortie sur scène, Bastien y songeait bien sûr car il a fait pas mal de théâtre d’improvisation, tout jeune, avec la compagnie « Ah bon » de Thomas Andro : « Avec l’impro’ on apprend beaucoup ! » La création ne lui a jamais fait défaut, c’est son côté rap à tout ! Il a beaucoup à dire, a tourné pas mal de vidéos, notamment sur Sète, et surtout deux films sur ses voyages à Saint-Jacques de Compostelle, en 2013, présentés au festival du court métrage. Devenu bénévole à la ludothèque de Sète, il a pu se reconstruire, avec un réseau d’amis, et des jeunes qu’il prépare actuellement pour le championnat régional Ludisport des jeux de société. Il a tourné une page.

C’est l’heure d’occuper la scène et il est heureux : « C’est du jamais fait, comme une revanche. En tant qu’Hiris2 je n’ai pas eu de public, pas de scène. Mais dès que je suis monté, cela m’a frappé tout de suite, c’était une évidence, un rêve de gosse. » Pour changer, pour respirer : « Bouger la tête et s’éclater ! ».

 

À Montpellier, Apéro-Jazz et ses merveilles

Bon anniversaire, Apéro-Jazz !

Apéro-Jazz est de retour, et il présente jeudi, au Salon des Indépendants, le premier volet d’une trilogie, attendu à minuit sur toutes les plateformes (un vinyle suivra peut-être). Cette soirée de sortie présente donc Apéroland, un univers onirique assez sombre inspiré par Alice au pays des merveilles. On attendait la suite de Les souris dansent de 2022, mais il va encore surprendre. Il explique : « C’est à peu près la même démarche, je ne rappe pas à l’ancienne. On sort toujours du rap classique, mais les sonorités sont plus dans la techno britannique, step*, et beaucoup de mix. » L’univers de Lewis Carroll reste énigmatique.

Dans ce monde que cherche-t-on ? « J’essaie de suivre en musique le fil des samples* du conte, qui sont lus, explique Pablo Bousquet, alias Apéro-Jazz. Il y a plein de messages cachés, j’aime beaucoup. C’est un univers psychédélique assez dark. J’ai commencé ce projet il y a près de trois ans. C’est très éclectique, il y a sept morceaux et cela part dans tous les sens. Il peut y avoir un feu d’artifice de son, ou quelque chose d’introspectif, du style club, et un storytelling* ».

La suite du triptyque est en cours : « Je veux quelque chose de moins sombre, et il y a plus de sons chantés. C’est un parcours initiatique, il n’y a pas de cohérence dans les morceaux sur Alice, chacun peut comprendre la chose à sa manière et c’est assez mystérieux. » Le dernier moment de l’EP, intitulé Bernard Pivot, peut être librement interprété, et les passages choisis du conte ne sont pas les plus connus. La chenille compte beaucoup pour Alice, comme le montre la pochette de l’album réalisée par Lola et Lucas.

Ses fans ont su attendre. Pendant des mois Pablo a beaucoup travaillé, mais en studio, et s’il n’a rien révélé, c’est qu’il a voulu découvrir, passer du côté obscur, se professionnaliser comme technicien du son ou chargé de régie. Il a continué à bosser à Planca Prod avec les rappeurs montpelliérains Loïs Hammel et Bonobo, une famille dans ce studio. Sans oublier ses expériences de figurant au cinéma, pour M6, TF1.

Tout conte fait… ce 11 avril est une fête, le jour anniversaire des 30 ans de Pablo ! Le moment de faire le point, s’il ne change pas : « Je veux garder la même démarche, écrire à l’instinct, selon l’inspi’ qui vient. Je ne peaufine pas, je ne reviens pas sur mon idée, si j’hésite, je conserve l’instinct. » Et s’il change, c’est qu’il invente : « J’ai trouvé que j’étais un peu trop influencé par l’écoute du rap, alors j’ai écouté pas mal d’autres musiques, des variétés françaises, de la techno, du reggae. Je ne veux pas ressembler aux autres. Mon écriture, c’est l’inspi’ de ma vie, de ce que je ressens : egotrip*, punchlines*, petites vannes. Le rap est devenu lisse… Moi, je peux être irrévérencieux, provocateur, insolent. Sans tomber dans le racisme ou la misogynie, mais toujours d’accord pour faire des blagues ! » Il jette un coup d’œil en arrière : « Ma vie, c’est la jeunesse, les bêtises, il faut en parler. On n’est pas parfait, on doit être honnête et transparent ».

 

À Mèze, le rap de Petitcopek réunit tous les âges

Après « Côté passager », Petitcopek sur la route, vers Mèze

Ils sont potes depuis longtemps et sont réunis par ces soirées : c’est à Mèze que Petitcopek va occuper la scène samedi, mais il sera aussi au Salon avec Pablo. Ils partagent bien des événements, le Demi Festival et le Bataclan l’an dernier avec Demi Portion. Le dernier album de Lorenzo Cianni, alias Peticopek, a fait un malheur lors de sa sortie en novembre dernier, car Côté passager a invité de nouvelles sonorités, de la bossa nova brésilienne, de la cumbia colombienne. Petitcopek est toujours prêt pour d’autres traversées, d’autres ateliers, à La Passerelle ou ailleurs, à Juvignac, à Mèze… Il sera présent sur l’album de l’Hexaler, Matière grise, qui sortira le 9 mai, et dont on peut déjà découvrir des extraits.

Depuis janvier Lorenzo figure dans le volume 2 des Figures singulières, publié par l’écrivain Laurent Cachard (Éd. L’An demain). Celui-ci, qui établit « une contre-sociologie », lutte contre le « stéréotype des néo-Sétois », faisant le portrait de 25 Sétois et Sétoises remarquables, dont Demi Portion dans le tome 1 (il y aura encore deux tomes). Le chapitre très complet sur Petitcopek détaille tout le parcours et l’identité « singulière » du rappeur, auteur d’Enfant de Sète, super clip et morceau qui a largement dépassé les 30 000 écoutes. Lorenzo illustre ce que l’écrivain appelle « la polysémie des Sétois d’aujourd’hui ».

Avec les Itinérances du Festival de Thau, Lorenzo termine, samedi, une autre aventure, avec de nouveaux potes. Il a été chargé d’une action, lauréate du projet culture du Crédit Agricole, pour organiser les ateliers d’écriture « Y a pas d’âge » en février-mars : un Chantier Jeunes d’Implication Locale destiné à créer une chanson et un clip, avec la Mission Locale d’Insertion des Jeunes du Bassin de Thau, mais aussi un projet intergénérationnel car il a accueilli les résidents de l’EHPAD Le Clos du Moulin de Mèze. Les juniors ont exploré toutes les étapes de la création d’un titre musical : écriture, enregistrement, mise en scène et tournage du clip. Et les seniors se sont chargés de la transmission d’anecdotes musicales d’une époque à une autre ! À découvrir très vite.

Le rap serait donc… un jeu de société, une affaire familiale, un enjeu culturel. Brassens n’est pas passé par Sète pour rien, Paul Valéry non plus. Il y a dans les inspirations sétoises un bonheur des mots qui témoigne d’une curiosité pour les musiques, la peinture, le cinéma, et bien d’autres domaines. Sans en faire une culture savante, l’habileté littéraire des rappeurs, qui se rit des termes, des syllabes et des sens, jongle avec des étymologies incroyables, des métriques risquées, des figures de style audacieuses, mérite d’être entendue, et comprise dans ses émotions. Le rap sétois invite, cette semaine !

Michèle Fizaine

*Lexique rap : egotrip, processus qui flatte une personne ; punchline, phrase percutante destinée à toucher l’auditeur ; sample, portion d’enregistrement destinée à être utilisée ; step, style aux sonorités cadencées ; storytelling, histoire racontée sur plusieurs couplets.

HIRIS2, scène ouverte « Viens au talent, viens à l’Audace ! », jeudi 10 avril à 20h, à L’Audace, 27 avenue Victor Hugo à Sète. Entrée libre.

Apéro-Jazz, Apéroland, Release Party, avec guests (Veutré, Loïs Hammel, Bonobo, Petitcopek, Sim et Nevé), jeudi 10 avril à 20 h, au Salon des Indépendants, 4 rue Lunaret à Montpellier. Prix libre.

Petitcopek, les Itinérances du Festival de Thau 2025, mercredi 12 avril à partir de 19h, à la salle Jeanne Oulié de Mèze (concert à 20 h). Bar et restauration. 15 € (11 € en prévente, gratuit pour les moins de 12 ans).

Photo 1 Apéro-Jazz, au Demi Festival 2023.

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.