L’exposition « Un air de famille » inaugurée aujourd’hui au MUCEM de Marseille est une aventure unique, du jamais vu, du jamais réalisé. Elle a puisé dans les réserves secrètes du musée, qui contiennent 350 000 objets d’art, et il a fallu plus de trois ans pour la préparer, des semaines pour la monter. Une création pleine de créations, d’objets… d’art.


 

Île d’art modeste et îlots pas seulement sétois

Herve Di Rosa, Jungle 2024 ©Adagp Paris 2025 P Schwartz.

Hervé Di Rosa souffle un peu depuis cette installation éreintante, avant l’inauguration. Le peintre sétois, sculpteur, céramiste, fondateur du Musée International d’Art Modeste à Sète, et académicien des Beaux-Arts (article du 1er août 2024), a eu accès à une vraie caverne d’Ali Baba, dont il a découvert les collections, afin de monter, avec le conservateur en chef Vincent Giovannoni et le directeur artistique Jean Seisser, l’exposition « Un air de famille ». Elle met en lumière des trésors oubliés, à travers des créations anciennes ou inédites liées à ces découvertes. 14 exactement ont été conçues spécialement pour l’événement. Pierre-Olivier Costa, président du Mucem, explique : « Hervé Di Rosa aime voyager mais n’aime pas les frontières. Il aime les maisons mais les préfère sans porte. Il aime les musées quand il participe à les désacraliser. Avec le Mucem, il est bien tombé ! » Le visiteur va de surprise en surprise. Mais quelles ont été les surprises de Di Rosa ? Qu’a-t-il trouvé ? On ne fera pas une visite guidée des 190 œuvres, dont 63 signées par l’artiste… C’est une errance, une traversée. Le Mucem accueille 15 « îlots », et cet « archipel » pensé par l’ami complice Jean Seisser débute par un stand « Sous l’eau », avec un poisson de manège et trois panneaux de vie sous-marine, réalisés au Cameroun. L’aventure se termine par « Poteries », des céramiques créées au Portugal, où vit actuellement l’artiste.

 

Armoires secrètes et jougs de liberté

Il ouvre des armoires, c’est important, car de ces trois meubles magnifiques — une armoire bretonne, une normande et une antillaise — sortent des centaines d’objets anciens et de petites figurines contemporaines, dont certaines comptent rejoindre l’effectif du Mucem, représentant les traditions populaires.

Louis Garde, « Hommage aux mineurs et trieuses ».

Des jougs de bœuf anciens, véritables sculptures de bois, se transforment en une impressionnante colonne vertébrale, et s’élèvent vers le ciel, jaillissant d’une vache en résine coupée en deux réalisée par Di Rosa. Souvenons-nous du procès de Brâncusi en 1927, lorsqu’un objet devient une œuvre d’art…

Incroyable témoignage, une maquette de mine de près de 5 mètres de long fabriquée par un ancien mineur, « Hommage aux mineurs et trieuses », est sortie de l’ombre et rencontre un diorama1 de quartier déshérité, œuvre d’Hervé et de son frère Richard.

Toute une légende se construit, au fil des traditions, d’un artisanat populaire. De grandes marionnettes siciliennes en tenue de combat partagent l’îlot « Opéra » avec cinq toiles, dont un triptyque d’après « La Bataille de San Romano » de Paolo Uccello. Di Rosa ajoute toujours ses souvenirs du monde, du Cameroun, du Vietnam, d’Afrique du Sud, et surtout une dizaine de ses fameuses céramiques portugaises qui sont sa passion depuis dix ans, une dizaine, réalisées pour l’expo’ dans la fabrique de renommée internationale Viúva Lamego — « une super usine », assure l’artiste.

Richard et Herve Di Rosa, « La vie des pauvres » © Adagp Paris 2025.

La ville de Marseille est hors musée, pourtant Marseille est dans l’expo ! De grands tableaux évoquent la cité, et « Les Marseillais » (en papier mâché !). Sans oublier « Les Visiteurs ». Comme un miroir. « J’avais envie de peindre le public », avoue Hervé Di Rosa. Il n’a pas oublié un hommage à Rudy Ricciotti, l’architecte du Mucem : quatre résilles offuscations en acier, à travers lesquelles on voit les peintures. Comme un autre regard.

Mélanger les univers, une vitalité nouvelle

Du passé au présent, deux incroyables trouvailles. Un limonaire (orgue de foire Gaudin), avec ses 105 touches et 1040 tuyaux, jamais montré, unique au monde… Sa résurrection est accompagnée des musiques du catalan montpelliérain Pascal Comelade et du marseillais Régis Campo — Victoire de la Musique catégorie compositeur, la semaine dernière. Autre exhumation, star du progrès technique d’antan, un lave-linge à manivelle chauffant au charbon, évidemment entretenu jadis par une bonne à tout faire ! Il est escorté de robots du Cameroun.

La céramique, actuelle passion d’Hervé Di Rosa, qui vit à Lisbonne et œuvre dans un immense atelier © V. Di Rosa.

Il souffle en douce un air de famille. Une escale « Canardière », pour ce type de fusil de chasse de près de 4 mètres de long, invite les jolis oiseaux de bois sculptés par le papa Marius Di Rosa, pêcheur et chasseur de Sète. Ces « appelants » n’attirent pas que le regard des canards. « C’est un nouveau genre d’expo’, et une vraie installation, explique Hervé Di Rosa.  Cela donne à chaque objet une nouvelle signification. C’est comme en immersif, mais sans image, avec une idée d’enchâssement ».

« L’Étranger » est un des derniers îlots, une tête en bois conçue avec un maître tailleur du Cameroun et surmontée d’une céramique fragile et imposante réalisée au Portugal. « Une ponctuation finale, propose le créateur. Mélanger les univers, c’est l’avenir, ici et ailleurs. Le contraire de ce qui se passe actuellement dans le monde. Les œuvres sur le constat du monde actuel ne sont pas très utiles, et on est tous témoins. Il faut retrouver une énergie, une vitalité nouvelle pour ne pas finir asphyxié, un souffle pour ne pas mourir. 0n est menacé par le sérieux ».

Sérieux nécessaire, mais aussi humour des rapports différents au sujet de l’art. Ce que le visiteur comprendra ? « On ne comprend rien peut-être… mais cela donne la pêche, assure Hervé Di Rosa. C’est du jamais fait, le Mucem ouvre ses portes, comme toujours ! » Inventer une nouvelle beauté, donner au modeste sa valeur, à travers croisements et métissages, c’est un voyage pour tous et surtout pour chacun.

Michèle Fizaine

 


« Un air de famille ». L’enchâssement selon Hervé Di Rosa :

« Présenter un objet d’art populaire à côté d’une œuvre d’art contemporain, cela a déjà été fait. J’ai donc pensé que l’enchâssement pouvait me permettre de créer une œuvre nouvelle à partir de deux œuvres existantes. Je ne sais pas si j’ai réussi, c’est assez expérimental !

Les œuvres que j’ai créées pour cette exposition sont comme des socles réunissant une sculpture ou une peinture de moi et des objets des collections du Mucem. Je les enchâsse. Comme le bijoutier enchâsse les pierres précieuses dans la bague en or. Ce sera en quelque sorte un jeu de piste pour les visiteurs qui essaieront de retrouver les corrélations, car il y a certes un air de famille entre mes œuvres et les objets du Mucem, mais il est parfois lointain…

J’ai conçu cette exposition pour un public non féru d’art contemporain ».

 


 

Exposition « Hervé Di Rosa Un air de famille » :
du 12 mars au 1er septembre 2025,
au Mucem J4, promenade Robert-Laffont, à l’entrée du Vieux Port.
Ouvert de 10h à 18h tous les jours sauf le mardi.
11 € (réduit 7,50 €, famille 2 adultes et 5 enfants 18 €).
04 84 35 13 13. mucem.org

Découvertes entrée libre :
– le 12 mars Portes Ouvertes, de 16h à 21h,
visites avec Hervé Di Rosa et Vincent Giovannoni, concerts avec l’accordéoniste Théo Ould et le groupe Pleasures ;
– le 28 mars à 19h, Mucem (re)Mix, visite et soirée étudiante avec JOUBe, Gonzy et Carlala ;
– le 17 mai, Nuit Européennes des Musées avec une classe du collège Longchamp.

Photo 1 : Le Mucem ouvre ses portes sur « Marseille », toile d’Hervé Di Rosa (2024).

Notes:

  1. Un diorama est un dispositif de présentation par mise en situation ou mise en scène d’un modèle d’exposition.
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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.