Dans la semaine, la Défense civile palestinienne dans la bande de Gaza a annoncé que ses équipes ont récupéré 162 corps de Palestiniens sous les décombres des maisons et des bâtiments ciblés par l’occupation israélienne dans diverses zones de la bande depuis le cessez-le-feu de dimanche dernier.


 

« La période de la mort est finie, commence celle de la non-vie », écrit le journaliste Rami Abou Jamous, qui est toujours à Gaza avec sa famille et tient un journal de bord publié sur le site d’Orient XXI1 depuis fin février.

Les violations israéliennes du cessez-le-feu continuent
Mercredi 22 janvier, des vedettes militaires israéliennes ont ouvert le feu sur la côte de Gaza-ville. Au cours des dernières 24 heures, de mercredi 22 à jeudi 23 Janvier, 54 corps et 19 blessés sont arrivés dans les hôpitaux, à la suite d’agressions israéliennes rapporte le journal palestinien Imemc News. Il s’agit là d’agressions qui continuent à être perpétrer, mais il y a aussi un certain nombre de victimes se trouvant sous les décombres et sur les routes, et que les ambulanciers et les équipes de la défense civile ne parviennent toujours pas à atteindre.

Une trêve très fragile
Pour les citoyen.ne.s de Gaza, cette période de répit est accompagnée de nombreuses incertitudes liées à l’ampleur des destructions dans la bande de Gaza et aux dernières déclarations des responsables israéliens et américains.

Les gazaoui.e.s qui sont retourné.e.s à Rafah, occupée depuis le mois de Mai par l’armée israélienne, témoignent d’une destruction totale avec impossibilité de reconnaître quoique ce soit comme espace d’habitation. Il n’y a plus que des décombres, même pas des carcasses de bâtiments car les israéliens ont bombardé puis aplati les zones, et les rues ont disparu, on n’y trouve que des squelettes….

De nombreuses déclarations en Israël critiquent l’accord et appellent à un retour à la guerre. Le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, ont voté contre l’accord lorsque le cabinet de sécurité israélien l’a approuvé le 17 janvier. Bien que leurs votes n’aient pas affecté la décision, M. Netanyahou craint la conclusion de la première phase, car M. Smotrich a conditionné son soutien à un retour au combat après la première phase ou à sa démission du gouvernement.

Les récentes déclarations de Donald Trump, qui ne cesse de répéter qu’il soutient résolument Israël, témoignent de ses doutes sur la durabilité et la solidité de l’accord. Le président américain soutient par ailleurs — cela faisait partie du deal — l’opération militaire israélienne menée dans le camp de Jénine en Cisjordanie depuis quelques jours qui a fait plusieurs morts et blessés. Il a annulé les sanctions prises par Biden contre les colons israéliens violents, colons dont la brutalité est en en roue libre depuis le 7 Octobre 2023.

Toute cette atmosphère concordante de déclarations et d’agressions militaires en Palestine et récemment au Liban nourrit les incertitudes des gazaoui.e.s qui sont en droit de se demander : Israël reprendra-t-il la guerre à Gaza après avoir récupéré ses otages ?


Témoignages de nos correspondants

Un retour des déplacé.e.s qui se fait dans le chaos le plus total :

Abu Amir, notre correspondant de l’ UJFP à Gaza écrit dans un de ses textes quotidiens :

« Dès les premières heures du cessez-le-feu, les Palestiniens ont commencé à revenir dans les zones qu’ils avaient été contraints de quitter en raison de l’agression, en particulier dans les régions orientales du sud de la bande de Gaza et dans le sud de la ville de Rafah. Bien que les habitants se réjouissent de la fin de l’effusion de sang, le choc a été insupportable lorsqu’ils ont découvert l’ampleur des destructions infligées à leurs maisons et à leurs quartiers.

Rafah et le nord de la bande de Gaza semblaient, pour les habitants de retour, avoir été ravagés par un ouragan. Beaucoup ne pouvaient même plus reconnaître l’emplacement de leurs maisons, réduites à des décombres. Dans les régions des agriculteurs d’Abu Taima et de Khuza’a, la catastrophe a été encore plus accablante. Plus de 70 % des maisons ont été complètement détruites, tandis que les autres ne sont plus habitables. Ces scènes déchirantes ont poussé des centaines d’agriculteurs à laisser leurs familles dans des camps, tandis qu’ils cherchaient désespérément un endroit où s’installer, où déplacer leurs proches.

Il est clair que la joie qui a envahi la bande de Gaza avec le début du cessez-le-feu ne durera pas longtemps. La dure réalité vécue par les habitants, confrontés à la destruction de leurs maisons et à la perte de leurs moyens de subsistance, rendra la vie quotidienne extrêmement difficile. Une aide humanitaire et une reconstruction seront indispensables pour alléger les souffrances, mais cela ne suffira pas à effacer les profondes cicatrices laissées par l’agression. »

Le 22 Janvier, Marsel notre autre correspondant à Gaza de l’association Ibn Sina écrit le retour chez soi dans l’hiver de la destruction de Gaza, et on peut comprendre cette nécessité de voir de ses propres yeux le désastre, la disparition de son « chez soi » .

« Imaginez… Dans l’hiver mordant de Gaza, les personnes déplacées qui retournent dans leurs villes dévastées se lancent dans un voyage sans fin et pénible à pied le long de la rue Al-Rasheed. Les familles marchent les pieds gelés, peut-être pieds nus, le corps fatigué par le froid glacial, tandis qu’elles portent leurs enfants et les restes de ce qui a survécu de leurs âmes et de leurs corps épuisés. Les enfants se déplacent en silence, tremblant de froid, tandis que les mères tentent de les réchauffer avec des couvertures en lambeaux, et les pères poussent de petits chariots portant le peu qui leur reste de vie. »

Dans le défi que représente la situation à Gaza, le travail des équipes continue

Les équipes s’adaptent, transfèrent leurs activités en fonction des possibilités de retour mais elles maintiennent les ateliers de scolarisation et de soutien psychologique et surtout la distribution alimentaire trois fois par semaine ainsi que les initiatives «  Hiver à l’abri ».

« Ce qui est remarquable, c’est qu’en presque 500 jours de violence inouïe, la société palestinienne ne s’est pas délitée. Les camps de déplacés se sont organisés, la solidarité a fonctionné malgré le marché noir, les profiteurs de guerre et l’apparition de bandes mafieuses armées. L’administration du territoire, dans les pires circonstances, a joué son rôle. Malgré l’invasion, le tissu social n’a pas été détruit. »
Extrait du communiqué de l’UJFP le lendemain de la signature de l’accord.

Gaza vit des jours mêlant défis et espoir : joie de voir le sang cesser de couler et choc de l’ampleur des destructions

C’est ce qu’écrit Abu Amir : « Avec la fin de la dernière vague de bombardements, les habitants montrent leur détermination à reconstruire leur vie malgré toutes les difficultés. Mais l’espoir seul ne suffira pas ; ils ont besoin d’un soutien international réel et concret pour participer à la reconstruction et créer les conditions d’une vie digne… Avec les violations israéliennes qui persistent, le cessez-le-feu reste fragile. Un soutien rapide et la reconstruction du territoire ne sont pas un luxe mais une nécessité impérieuse pour sauver des milliers de vies et redonner espoir à un peuple qui lutte pour survivre parmi les décombres ».

Brigitte Challande

Notes:

  1. Orient XXI, journal de référence du monde arabe et musulman.
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.