François ressemble un peu à un oncle que l’on revoit une fois par an sous la contrainte d’une fête de famille. Un type qui se pense élu et se dirige machinalement vers un grand destin. François est fasciné par l’avenir prestigieux qu’il s’est tracé lui-même. Il compte chacun de ses petits pas comme moyens d’un gain futur vers un objectif non négociable. C’est un peu gênant de le dire, mais souvent ses avancées ne débouchent sur rien.
Avec le temps François s’est construit une image dans sa modeste ville où il s’est acquis un petit public de fidèles en forçant le trait sur son identité vraiment béarnaise. François ne se laisse jamais prendre de court, avec lui on est jamais perdu — il y a des membres de notre famille qui ont su rester vert avec l’âge, pas lui ; son sens du rythme le fait complètement passé à côté de toute nouveauté. Ça crée un super décalage. Il y a chez lui, quelque chose de pathétique et de burlesque.
Et puis d’un coup, par un hasard de circonstances, François est nommé Premier ministre. Le succès, le vrai, celui qui vous change la vie, est venu. Le problème, depuis cette promotion fulgurante, c’est qu’on attend quelque chose de lui. Là, on a vu qu’il se faisait un petit peu chambrer parce qu’il a commencé par de grosses bévues. Nous qui le connaissons, nous n’attendions pas grand chose mais quand même… il a passé dix jours dans sa tente à enchaîner les rendez-vous publics et secrets avec des chefs de partis. Il a allumé beaucoup de calumets, mais au final aucune fumée blanche n’est sortie du tipi.
Un casting gouvernemental surréaliste
Mais qu’à cela ne tienne, il en faut plus pour le décourager. François est persuadé que son heure est arrivée. Il s’est vite repris promettant de nommer son gouvernement avant Noël. Voilà un sacro-saint film aux airs de déjà-vu, François descendant des Pyrénées en traîneau pour glisser ses lumières sous le sapin, ou se réincarner en divin enfant ; dans sa tête, il pense s’offrir en cadeau à tous les Français.
Le retour au réel est moins féérique. Le nouveau Premier ministre a pondu un casting gouvernemental surréaliste en conservant 16 ministres du gouvernement de Michel Barnier qui vient d’être censuré. Son équipe compte des personnes comme Bruno Retailleau à l’Intérieur, pour qui « L’État de droit n’est pas intangible ». La sarkoziste Catherine Vautrin qui hérite d’un super ministère chargé de la Santé, du Travail, des Solidarités et des Familles est une mauvaise nouvelle pour les demandeurs d’emploi. Dans un pays où les inégalités sont majeures, la nomination de Gérald Darmanin comme garde des Sceaux laisse le monde judiciaire circonspect. Celle d’Éric Lombard, ex-directeur général de la caisse des dépôts souvent cités dans la catégorie « technos », n’a rien de rassurant pour les services publics. À l’aménagement du territoire, François Rebsamen, ex-socialiste ayant appelé à voter Emmanuel Macron en 2022, n’apportera pas d’eau au moulin des collectivités territoriales au bord de l’asphyxie budgétaire.
Que dire du reste du gouvernement essentiellement constitué de revenants des trois derniers quinquennats et de perdants qui ne parviennent pas à se sevrer du pouvoir. Y a-t-il encore quelqu’un pour croire que Manuel Valls, nommé aux Outre-mer, va faire avancer la situation en mettant le cap sur Mayotte avec un sac de riz sur le dos ?
On peut faire une deuxième lecture sociale et politique de cette nouvelle équipe. François qui souhaitait dans un premier temps « un large rassemblement » (un tiers à droite, un tiers à gauche, un tiers au centre), en excluant le Rassemblement national et La France insoumise a déjà perdu son pari. Son gouvernement encore plus à droite que le précédent apparaît encore plus illégitime. Cet attelage est en décalage majeur avec l’Assemblée nationale après dissolution. Le maire de Pau croit dur comme fer à la liste de « personnalités très expérimentées » qui forment son gouvernement. Avec un exécutif minoritaire toujours soumis au bon vouloir du RN, il est bien le seul.
Le socle du grand sapin de Noël gouvernemental a peu de chance de résister au premier coup de vent du printemps. Certains comme Jean-Luc Mélenchon prédisent qu’il ne passera pas l’hiver. « On attendait la nuit de Noël, on a eu celle des morts-vivants », observe le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Le plus drôle, c’est qu’il y a certains morts-vivants qui reviennent et sont toujours taraudés par leurs passions de quand ils étaient en vie.
Il y a chez François un truc générationnel qui fait qu’il n’est jamais parvenu à saisir les angoisses de son époque. On lui pardonne parce qu’il est suffisamment décalé pour nous faire garder le sourire. Ça au moins il ne faut pas s’en priver, ça fait du bien, c’est salvateur !
Jean-Marie Dinh