Du fumier pour les Montpelliérains, sur la Comédie devant les trois Grâces, c’est le cadeau de Rémi Dumas président des Jeunes agriculteurs de l’Hérault : « c’est pour faire pousser vos légumes sur vos balcons… vous en aurez besoin, parce que demain, nous, on va disparaitre ! »
« Ce que l’on fait tous les jours c’est vous nourrir, ne l’oublier pas ! Avec les accords de libre-échange… importer des poulets aux hormones… avec des produits phytos interdits en France, depuis des dizaines d’années, c’est ça que vous voulez bouffer demain, de la merde », ajoute le jeune viticulteur et éleveur de brebis. Entre distributions de pommes, et rendez-vous avec François-Xavier Lauch, préfet de l’Hérault, les agriculteurs ont su se faire entendre ce lundi 18 novembre 2024. Ils étaient entre 150 et 200 avec deux tracteurs, pour un démarrage tranquille et symbolique de cette révolte, saison 2.
Mais le mouvement de protestation devrait se renforcer en France et des actions sont prévues sur tout le territoire dans les jours et semaines qui viennent. Presque un an après les premières manifestations, une étincelle ravive la colère des agriculteurs : un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay et Uruguay. Un accord qui prévoit une suppression progressive de nombreuses taxes, afin de faciliter l’accès au marché européen pour les pays sud-américains. Parmi les mesures phares, les exportations de viande bovine atteindraient un contingent de 99 000 tonnes annuelles, avec des droits de douane réduits à 7,5 %. De fait, les inquiétudes restent majeures chez les syndicats agricoles français, outre les risques de concurrence déloyale, les standards sanitaires et environnementaux sont jugés insuffisants dans les pays du Mercosur.
La France maintient une opposition ferme : « j’ai dit au Président argentin que la France ne signerait pas en l’état ce traité de Mercosur » a affirmé dimanche 17 novembre Emmanuel Macron, avec une Europe qui reste divisée. Certains pays comme l’Allemagne soutiennent ce traité, avec comme arguments qu’il représente une opportunité économique et stratégique dans un contexte de grandes tensions géopolitiques.
« Ce qui n’est pas normal, c’est que l’on soit toujours les sacrifiés. »
Pour Jérôme Despey, président de la chambre d’agriculture de l’Hérault, et 1er vice-président de la FNSEA :« ce qui n’est pas normal, c’est que l’on soit toujours les sacrifiés. L’agriculture ne peut pas être toujours la variable d’ajustement du commerce. » L’urgence « c’est pouvoir vivre du prix de nos productions. » Le signal d’alerte, ce sont des produits étrangers qui ne répondent pas « aux mêmes règles qui sont exigées au niveau européen » pour les agriculteurs français.
[VIDEO] interview de Jérôme Despey, président de la chambre d’agriculture de l’Hérault, et 1er vice-président de la FNSEA :
Des mesures concrètes
Le préfet de l’Hérault François-Xavier Lauch s’est exprimé au mégaphone pour répondre aux préoccupations des viticulteurs mobilisés contre l’accord Mercosur et les difficultés de leur filière.
Il a souligné avoir « reçu cinq sur cinq » les messages des manifestants, en particulier leur opposition au Mercosur. Il a rappelé que la France s’y oppose également, mais il a surtout insisté sur son rôle local, affirmant : « Je suis là pour mettre en œuvre les mesures du gouvernement avec réactivité ».
François-Xavier Lauch a annoncé plusieurs mesures déjà engagées, dont 49 millions d’euros d’aides versées l’an dernier aux viticulteurs et 6,4 millions d’euros de dégrèvements de taxe foncière non bâtie pour cette année. Il a également évoqué un soutien à l’arrachage définitif des vignes, à hauteur de 12,8 millions d’euros. Mais le monde agricole ne souhaite pas vivre d’aide, le préfet l’a entendu : « vous voulez du prix, vous voulez vivre de votre travail ». François-Xavier Lauch va interpeller la grande distribution et les négociants, leur demandant de garantir un prix d’achat permettant aux agriculteurs de vivre décemment : « ce matin, on s’est donné un mandat sur le prix », a-t-il confirmé.
[VIDEO] intervention et interview de François-Xavier Lauch, préfet de l’Hérault :
En sortant de la réunion à la préfecture, Rémy Dumas, président des Jeunes agriculteurs de l’Hérault a donné un discours mobilisateur. Il a insisté sur la nécessité de mesures structurelles et d’un prix juste pour les producteurs. Mais il a prévenu : « si ça n’avance pas, on ressortira encore plus fort ». Il a également remercié le préfet pour son écoute et a rappelé que « le mal-être agricole est profond ». Rémy Dumas a dénoncé une situation où les agriculteurs peinent à vivre de leur métier, alors qu’ils continuent de fournir « des produits sains et de qualité ».
Le jeune agriculteur a fermement rejeté les importations de produits de moindre qualité, notamment dans le cadre de l’accord Mercosur et souhaite une juste reconnaissance du travail des agriculteurs français.
« On croit en notre métier, on veut nourrir les populations sainement, avec de bons produits. Alors, pourquoi nous sacrifier pour importer de la merde ? » Objectif affiché : direction vers un avenir durable, avec un appel à une prise de conscience collective des consommateurs, des élus et des décideurs économiques.
Jean-Phllippe Vallespir