Le Frames Festival à Avignon, dédié à la création de vidéos sur internet, mêle divertissement et débat sérieux. Animé par des célébrités du numérique, ce petit univers contient les germes d’un avenir pas forcément radieux. Il attire malgré tout un public jeune et engagé.
Samedi 13 avril, au Frames Festival d’Avignon, on débat : « Pour ou contre les chats sur internet ? » Rigolo. C’est le spectacle d’ouverture, une joute oratoire pour le fun. On ne s’attend pas à de grandes polémiques. Il faut dire que le Frames Festival est un évènement sur la création vidéo sur internet. Ce n’est pas le genre d’endroit qui se prend au sérieux. On y parle de fictions, de divertissement, de jeux vidéos. Mais de plus en plus, on y parle aussi d’information : de reportages, d’enquêtes et même de politique.
Au fil des joutes présentées par Angle droit (Florence) et Clément Viktorovitch (Clémovitch), célébrités du paysage numérique, les sujets s’épaississent : « Pour ou contre : les stagiaires au Smic ? », « Pour ou contre : 4 trajets en avion par personne et par vie ? »
Dans cette grande salle de la Scala (600 places), le public est jeune et très inclusif. L’âge moyen doit tourner autour de 30 ans, ils sont plutôt de classe moyenne (l’entrée n’était pas donnée : 50 € pour les deux jours), et le contact est facile. « C’est la 2ᵉ fois que je viens », m’informe Matthieu que j’interroge à l’improviste. « Je viens voir Clément Viktorovitch. » Lui, comme les autres festivaliers que j’aborde sont des gens informés. Ils consultent les réseaux sociaux, mais aussi la presse écrite : Le monde, France info, Mediapart parfois. Matthieu est même abonné à Charlie Hebdo. S’il faut ou non payer au salaire minimum les gens qui travaillent, fussent-ils jeunes, cela va de soi. Protéger la planète en réduisant les trajets en avion, cela va de soi.
Sur la scène, huit célèbres youtubeurs qui correspondent à leur public. Dans la salle, 500 à 600 spectateurs. Diffusé en directe sur Twitch, une plate-forme de streaming, le spectacle est regardé sur des milliers de téléphones. Le replay, sur la chaîne d’Angle droit, comptabilise plus de 42 000 vues en 3 jours, presque 20 000 de plus l’ont regardé chez Clémovitch. Un public de fans, acquis à la cause. Angle Droit compte 240 000 inscrits sur sa chaîne. Elle diffuse sur Twitch, depuis 2019, des sessions de jeux vidéo, mais ses origines, c’est la vulgarisation juridique sur YouTube. Clémovitch, enseignant-chercheur, politologue et chroniqueur pour franceinfo a récemment ouvert sa chaîne Twitch et rediffuse sur YouTube. Il parle de rhétorique et analyse les discours politiques pour plus de 150 000 abonnés.
Cette jeunesse-là est avide d’analyses, de compréhension du monde, de décryptages politiques. Elle mêle pourtant très facilement le divertissement et l’information. La faute aux réseaux sociaux ? L’infotainment (infodivertissement) n’est pas né avec eux. En 1975 Le petit rapporteur mêlait allègrement des journalistes, des humoristes et la politique. Une pratique de la satire très ancienne dans la presse française. Aldous Huxley préfigurait déjà, dans Le meilleur des mondes (1932), un univers où la population est plus oppressée par son addiction aux loisirs que par un État autoritaire. Les deux ne sont pas incompatibles hélas. D’un côté la concentration des médias entre les mains de milliardaires — Touche pas à mon poste ! (TPMP), Cyril Hanouna, Pascal Praud —, de l’autre la loi sur la « sécurité globale » qui voulait interdire de filmer les policiers, ou la « loi relative à la protection du secret des affaires » promulguée en 2018, décriée par les journalistes.
« Pour ou contre le placement de produits dans les vidéos Youtube ? », « Pour ou contre l’utilisation de l’IA pour créer des vidéos et des contenus ? » Les sujets ne sont pas tranchés mais ils montrent que les vidéastes et leur public s’interrogent. Les dérives de l’influence sur internet sont nombreuses. Abus de confiance et escroquerie se mêle allègrement aux discours pro-business. L’intelligence artificielle représente une bombe à très court terme. Mi-avril, Cyprien, dans le top 3 des Youtubeurs français, dépose une plainte contre des gens qui usurpent son identité dans une vidéo pour vendre une application frauduleuse. Une arnaque qui touche des célébrités, comme Guillaume Canet ou Kylian Mbappé, mais qui vise le visiteur lambda. Sur les influenceurs comme sur l’IA, l’Europe et la France ont dû légiférer en vitesse. « Le problème, c’est qu’ils sont à l’étranger », déclare Cyprien sur sa chaîne, déplorant que « rien n’est fait pour empêcher la publication de ces contenus en amont. »
« Pour ou contre : fermer Twitter en Europe ? » La joute finale entre Ponce (795 000 inscrits sur Twitch) et Manon Bril (700 000 abonnés YouTube) se conclut par la victoire du premier. Mais au fond, ils sont plutôt d’accord. Elon Musk et son réseau social représentent exactement ce qu’ils rejettent. La plate-forme X n’est pas qu’un vecteur de fausses informations, elle propage la haine en ligne, le harcèlement et la discrimination. « J’essaye de développer mon esprit critique, raconte Raphaël, un festivalier. Je fais attention à qui je donne mon attention. »
Ikarr Costa
Photo. Ludwig Oblin @Lytnim