La toulousaine Karine Bellemare, copropriétaire d’un logement dans l’immeuble Messager de la Reynerie, quartier du Mirail, se bat depuis plus de dix ans pour sa réhabilitation, contre sa destruction prévue par les pouvoirs publics. Elle monte à Paris pour manifester son opposition aux démolitions devant le siège de l’ANRU sis à Pantin (Seine-saint-Denis).
Quelles sont les raisons qui vous poussent à protester ce mercredi 7 février?
Je ne veux pas que mon immeuble soit détruit pas plus que les autres immeubles où vivent des gens que je connais, des gens que j’apprécie. Je participe à de nombreuses réunions de l’assemblée des habitants de la Reynerie, notamment celles du vendredi élargies aux architectes et urbanistes, à d’autres associations comme le DAL, la CNL, le CNRR31, Reynerie Miroir, à un moment donné l’idée a émergé de mener une action collective devant les locaux de l’ANRU pour ses vingt ans.
Il y a bientôt deux ans, le député insoumis François Ruffin, qui était venu rencontrer les habitants sur place, avait croisé le maire Jean-Luc Moudenc et l’avait interpellé sur la question des démolitions et l’organisation d’un référendum pour nous donner la parole. « J’ai été élu pour démolir », a répondu le maire. Maintenant, son discours a changé, il dit que c’est pas lui qui démolit, que c’est la faute à l’ANRU. Vu que chaque institution se renvoie la balle, il faut aller voir le financeur des destructions de nos immeubles. Nous avons décidé de perturber l’anniversaire de l’ANRU qui a été créée le 9 février 2004. Chaque collectif d’habitants en lutte portera sa propre banderole.
C’est bien la première fois qu’une manifestation a lieu contre la politique de l’ANRU, qu’est-ce que cela signifie ? Y-a-t-il le feu dans la maison ?
Nous avons déjà manifesté à plusieurs reprises dans le quartier, devant la mairie du Capitole et la préfecture contre la politique de démolition de l’ANRU, mais cela n’intéressait pas les médias nationaux. Pour les intéresser, il faut aller à la capitale. J’ai donc fait le choix de prendre le train de nuit, la veille de la manifestation, pour rendre visible nos luttes sur le plan national parce qu’on n’est pas tout seul. On a réussi à rentrer en contact avec d’autres collectifs qui se battent aussi contre la politique de l’ANRU. Pour moi, il y a le feu dans la maison parce que le préfet a trouvé un intérêt général à démolir mon immeuble, plus trois autres immeubles en signant, en décembre, la DUP (Déclaration d’utilité publique. NDLR), un super cadeau de Noël ! Et ce, malgré toutes nos observations auprès du commissaire lors de la troisième enquête publique de 2023 et les nombreuses mobilisations des habitants. Quand j’ai rencontré le commissaire enquêteur, il m’a dit : « Qui suis-je pour remettre en question un projet national ? ». Son avis n’étant que consultatif, il fallait questionner l’ANRU, c’est ce que je m’apprête à faire à Pantin.
Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de cette décision ?
Je suis choquée et sonnée par la nouvelle. Toulouse Métropole est en droit de lancer la procédure en expropriation. On a jusqu’à la fin février pour contester la DUP. Nous espérions, avec les autres co-propriétaires, actionner d’autres leviers pour obtenir la réhabilitation de notre immeuble. Après toutes nos luttes et les voix qui s’élèvent pour dire qu’il faut arrêter de démolir et commencer à rénover, plus le ministère de la transition écologique, qui a édité un rapport sur la seconde vie des grands ensembles, et des organismes tels l’Union nationale des fédérations d’organismes HLM qui changent leur dogme pour aller dans le bon sens, l’ANRU et Toulouse Métropole préconisent un projet qui a été décidé il y a vingt ans, qui fait partie du passé et qui ne tient aucunement compte de la réalité de ce que vivent les gens maintenant. On a bien compris que ce grand projet de ville, soi-disant pour le bien des habitants, était une arnaque. Malgré le fait que l’arnaque a été dévoilée et que la société dit stop, ils essaient d’avancer coûte que coûte.
Pensez-vous que les dés sont pipés ?
Les enquêtes publiques sont là pour valider des projets et pas pour les remettre en cause. Et quand le premier commissaire enquêteur Michel Jones a fait son travail, en 2017, en émettant un avis défavorable aux démolitions, les pouvoirs publics ont fait disparaître son enquête en disant qu’elle avait été invalidée. Lorsqu’ils ont ouvert une deuxième enquête publique en 2021, le nouveau commissaire enquêteur n’était même pas au courant qu’il y avait dejà eu une première enquête, même le troisième et dernier enquêteur ne savait pas qu’il n’était pas le seul à en mener une. Notre voix en tant qu’habitant n’a pas été entendue contrairement à ce que prône la charte de l’ANRU. Monsieur Jones était une personne intègre, car il a analysé les documents fournis par Toulouse Métropole et les observations faites par les habitants. Il en a conclu que le quartier était suffisamment aéré, qu’il fallait donc stopper les démolitions, revoir le projet urbanistique et faire revenir les services publics dans le quartier et concerter réellement la population pour savoir comment elle aimerait vivre son quartier. Comme cet avis a déplu à Toulouse Métropole, une pseudo grande consultation a été organisée qui était une imposture parce qu’ils sont arrivés avec le même projet mais en y rajoutant trois autres immeubles, Grand d’Indy, Poulenc, Gluck, [au départ, c’était deux, NDLR] pour libérer dix hectares de foncier en rasant au passage le collège Raymond Badiou. Pour Moudenc, Toulouse est un grand échiquier qu’il a offert à ses amis promoteurs. Partout où ces derniers trouvent du foncier ayant de la valeur qui les intéresse, Toulouse Métropole met tout en œuvre en utilisant l’organisme de l’ANRU avec des subventions publiques pour libérer le foncier dans le but de l’offrir à la spéculation immobilière et foncière.
Quels sont vos espoirs ? Qu’attendez-vous de cette mobilisation nationale ?
Qu’enfin les médias nationaux se saisissent de la question de la disparition des HLM à travers les destructions de l’ANRU. Cette institution ne cible que les immeubles HLM à l’heure où l’on vit une crise du logement majeure et que des personnes meurent dans la rue, l’Abbé Pierre doit se retourner dans sa tombe.
Propos recueillis par Piedad Belmonte
Notes
ANRU : Agence nationale pour la rénovation urbaine.
DAL : Droit au logement.
CNL : Confédération nationale du logement.
CNRR31 : Comité national de résistance et de reconquête.
Reynerie Miroir est le journal de quartier fait par les habitant·es.
Logements visés par les démolitions à la Reynerie : 961 et 262 pour l’immeuble Messager.
Voir aussi : Rassemblement de toulousains devant l’ANRU à Pantin – À Toulouse, des habitants « pour une rénovation sans démolition » – Les habitant.es du Mirail bataillent pour sauver leurs immeubles –