Les sénateurs ont voté à la place une « aide médicale d’urgence » qui réduit drastiquement le panier de soins remboursés et la suppression de l’aide médicale aux sans papiers au mépris des arguments de santé publique. Pour entrer en vigueur, le dispositif devra être voté à l’Assemblée nationale.
Par 200 voix pour et 136 contre, les sénateurs ont adopté, mardi 7 novembre, la suppression de l’aide médicale de l’État (AME), réservée aux sans-papiers, à l’occasion de l’examen du projet de loi « immigration ». Le Sénat lui a substitué une « aide médicale d’urgence ». Cette suppression pourra toutefois encore être retoquée lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.
La réforme a été introduite par la droite sénatoriale, mais le gouvernement ne s’y est pas opposé. La ministre déléguée aux professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a justifié l’abstention du gouvernement par le fait que cette réforme « n’a rien à faire » dans le projet de loi sur l’immigration.
Elle a ouvert la voie à une annulation pure et simple de la mesure par l’Assemblée nationale, qui se penchera à son tour sur le texte à partir du 11 décembre. « Mélanger les débats sur l’AME et le contrôle de l’immigration est un non-sens », a déclaré Mme Firmin Le Bodo au Sénat, en assurant que « le gouvernement est très attaché à l’AME », un « dispositif de santé publique ».
Malgré tout, le gouvernement s’en est remis à la « sagesse » des sénateurs sur cette proposition de réforme, réclamée de longue date par la droite.
Instaurée par la gauche en 2000, l’AME accorde une couverture des frais médicaux et hospitaliers aux étrangers en situation irrégulière présents en France depuis au moins trois mois. Si elle entrait en vigueur, l’aide médicale d’urgence votée mardi par les sénateurs serait « recentrée » sur la prise en charge « des maladies graves et des douleurs aiguës », réduisant le panier de soins actuellement accordé à quelque 400 000 bénéficiaires. La mesure doit également permettre la prise en charge des soins liés à la grossesse, les vaccinations et les examens de médecine préventive.
L’adoption de l’article de suppression de l’AME a fortement fait réagir les parlementaires de gauche. Le médecin et sénateur écologiste de Paris Bernard Jomier (apparenté PS) a déploré sur les réseaux sociaux « une faute sanitaire, morale et économique ». La sénatrice (socialiste) de Seine-Saint-Denis, Corinne Narassiguin, a associé l’avis de sagesse du gouvernement à un « silence complice ».
À l’origine, le gouvernement n’avait pas prévu de remettre en question l’AME dans le cadre des discussions entourant le projet de loi « immigration », mais le parti Les Républicains (LR), qui juge le système de santé trop généreux avec les sans-papiers, a profité de sa position de force au Sénat. La droite prétend que l’AME entraîne un « appel d’air » et met en avant son coût : environ 1,2 milliard d’euros.
« L’AME n’est pas un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration dans notre pays », a balayé Agnès Firmin Le Bodo. Si l’aide médicale d’urgence n’était pas retoquée à l’Assemblée nationale, elle entraînerait « de vrais risques pour notre système de soins », a-t-elle expliqué : « Il est préférable de prendre en charge une maladie bénigne, avant qu’elle ne se transforme en pathologie grave, ou avant qu’elle ne se propage. »
En revanche, le gouvernement « n’est pas du tout fermé sur l’AME et est prêt à ce que d’autres pistes d’évolution soient explorées », a déclaré la ministre.
Gérald Darmanin favorable à la suppression de l’AME
Le 7 octobre, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’était dit favorable « à titre personnel », dans Le Parisien, à la mesure réclamée par LR et leur allié centriste au Sénat de « supprimer l’AME et la transformer en AMU ». « C’est un bon compromis qui allie fermeté et humanité », jaugeait l’ancien sarkozyste qui défend cette position depuis une dizaine d’années.
Au contraire, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a fustigé dans l’émission Quotidien « une profonde erreur » et « même une faute » des sénateurs. « Nous sommes atterrés », a réagi de son côté Médecins du monde dont les centres de soins en France sont fréquentés à 98 % par des immigrés. L’ONG a estimé sur X (ex-Twitter) que l’article a été adopté « au mépris des arguments de santé publique ».
Les sénateurs des Républicains (LR) et leurs alliés centristes ont par ailleurs trouvé mardi un « accord » sur la mesure phare du projet de loi, celle sur les régularisations de travailleurs sans papiers dans les métiers en tension, ouvrant la voie à une adoption du texte au Sénat, a annoncé le groupe Les Républicains, en début de soirée.
Ce « compromis » entre les deux groupes de la majorité sénatoriale prévoit la suppression de l’article 3 qui permettait l’octroi d’un titre de séjour pour les travailleurs sans papiers dans des secteurs en pénurie de main-d’œuvre, ligne rouge de la droite. Il prévoit également l’ajout de mesures législatives visant à « encadrer » le « pouvoir de régularisation des préfets », selon une demande des centristes.
Alliance du gouvernement avec la droite et l’extrême droite
Une alliance s’est établie pour tenter de durcir un projet de loi déjà fortement rétrograde en matière de droit des étrangers. La droite est montée au créneau de même que l’extrême droite pour s’opposer prioritairement à l’article 3 qui concerne la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension (BTP, aide à domicile, restauration, agriculture…); Mais aussi à l’aide médicale d’État (AME) sous peine de ne pas voter le texte. Des points qui divisaient également l’exécutif et la majorité.
La proposition de loi avait peu de chance de passer sans le vote des Républicains. « Si le gouvernement passe en force, notamment en imposant son article 3, qui régularise les clandestins, nous n’hésiterons pas à déposer une motion de censure », avait menacé à nouveau Éric Ciotti.
Quant à Marine Le Pen, elle avait annoncé que son groupe RN pourrait voter en faveur du “petit texte” du gouvernement à condition qu’il enlève l’article 3.
Sans surprise ces pressions ont porté leurs fruits. Un accord a été trouvé et les articles 3 et 4 ont été supprimés. Un nouveau texte stipule que pour être régularisés, les travailleurs sans-papiers devront prouver un an de travail sur deux années de présence justifiée sur le territoire. La régularisation des personnes concernées passerait ainsi de quelques milliers à quelques centaines.
Les associations soulignent l’incohérence du texte, « la personne devant justifier qu’elle a travaillé pendant un certain temps alors qu’elle n’en n’a pas le droit ». Quant à l’article 4, il envisageait l’accès au travail immédiat des demandeurs d’asile.
Le texte prévoit, entre autres mesures, le retour du délit de séjour, l’instauration de quotas migratoires, le durcissement des conditions de regroupement familial, la radiation des organismes sociaux des personnes sous OQTF (Obligation de quitter le territoire français), la réforme du contentieux des étrangers (recours à un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile), le resserrement de l’obtention de la nationalité française, un nouveau niveau de maîtrise de la langue française pour l’obtention d’un titre de séjour, l’allongement de la durée de placement en centre de rétention administrative des fichés S, l’obligation de quitter le territoire si le comportement représente une menace grave pour l’ordre public… Il sera débattu à partir du 11 décembre à l’Assemblée.
Avec l’AFP
Mise à jour le 9/11/2023
Lire aussi : Loi immigration. Atteintes musclées au droit des étrangers.