Dans un Maghreb en manque de pluie, assainir l’eau de mer est devenu indispensable, malgré des critiques, en plus d’un recours croissant au recyclage des eaux usées en agriculture. Une deuxième station de dessalement ouvrira bientôt en Tunisie, à Zarat, pour soulager le sud assoiffé.
En Tunisie, Algérie, Maroc et Libye, les précipitations se font rares, même l’hiver. Ces pays risquent de tomber d’ici 2030 sous le seuil de la « pénurie absolue » en eau (500 m3 par an et habitant), selon la Banque mondiale. Le Maroc est déjà à 600 m3, la Tunisie à moins de 400.
Le dessalement d’eau de mer « est la seule solution » pour obtenir de nouvelles ressources en eau potable, explique à l’AFP le PDG sortant de l’entreprise des eaux tunisienne Sonede, Mosbah Helali évoquant une situation « alarmante ».
Pour la Tunisie et le Maroc, dépourvus d’hydrocarbures, le dessalement, très énergivore, représente un défi.
En Tunisie, l’énergie pèse pour 40 % du coût de production d’un m3 d’eau potable. « Mais compte tenu des progrès technologiques, le coût peut être divisé par deux », estime M. Helali.
Radhia Essamin, experte en gestion de l’eau, souligne aussi la nocivité des rejets de saumure, sachant que « la Méditerranée n’est pas une mer ouverte », avec un « taux de renouvellement des eaux beaucoup plus faible que les océans ».
Un impact que l’ingénieur Helali nuance, évoquant « une prolifération du milieu aquatique » aux points de rejet et des eaux « prisées des pêcheurs« .
Objectif 2 milliards de m3 par an
La Tunisie a construit des stations de dessalement dès les années 1970/80 pour épurer les eaux saumâtres extraites du sol.
Mais elle n’a édifié sa première usine de dessalement d’eau de mer qu’en 2018, à Djerba, pour approvisionner le Sud aride.
Aujourd’hui Djerba et les 15 stations traitant l’eau saumâtre fournissent 6 % de l’eau potable du pays. Trois nouvelles entreront en service d’ici 2024 dont Zarat dès cette année.
Objectif: 30 % d’eau potable issue du dessalement en 2030, selon M. Helali.
Actuellement, l’eau du robinet provient surtout des 37 barrages, remplis seulement à un tiers, faute de précipitations.
Pour la première fois, en avril, le gouvernement a rationné l’eau potable via des coupures nocturnes et interdictions d’usage (espaces verts, piscines, lavage de voitures).
Partout dans le Maghreb semi-aride, le dessalement a le vent en poupe.
L’Algérie est déjà équipée de 23 stations et, grâce à ses ressources en pétrole et gaz, surfe sur un faible coût de l’énergie. Elle en bâtira 14 autres d’ici 2030 pour produire 2 milliards de m3 par an et passer de 18 % de la population desservie à 60 %, selon l’expert algérien Mustafa Kamal Mihoubi.
Le Maroc compte 12 stations de dessalement dont l’eau est destinée à 25 % à l’agriculture, secteur crucial. Sept nouvelles sont prévues avec l’objectif « à court terme » de dépasser le milliard de m3 annuels, selon le ministère de l’Eau.
« Eau vitale »
Pour préserver son eau potable absorbée à 80 % par l’agriculture, la Tunisie met aussi l’accent sur un traitement poussé des eaux usées, utilisables en irrigation ou pour réalimenter les nappes phréatiques.
Sourire aux lèvres, Lofti Atyaoui, un agriculteur de 52 ans, observe ses tourniquets alimentés par l’eau sortant des installations flambant neuves de la station d’épuration de Siliana (nord-ouest), à quelques km de son exploitation.
Cette eau est « vitale. Sans elle nous pourrions perdre nos récoltes et notre bétail », explique-t-il à l’AFP, heureux d’arroser à profusion champs et amandiers.
Depuis 12 ans, il utilisait de l’eau retraitée, au deuxième degré. « Elle sentait mauvais, contenait des matières parfois nocives et n’était pas disponible de façon continue ». Grâce à Siliana, il a multiplié par plus de sept sa capacité d’irrigation.
Au total 125 stations effectuent dans le pays un traitement basique de 300 millions de m3 d’eaux usées par an.
Les zones agricoles bénéficient de 5 à 7 % de cette eau, selon Thameur Jaouadi, un dirigeant de l’Office national de l’assainissement (ONAS), pour qui « le traitement des eaux usées est une solution incontournable pour augmenter les ressources ».
L’idée, dit-il, est de l’accroître « au maximum« , en dépit « du coût élevé » des stations dernier cri de traitement tertiaire (filtres à sable et UV). « C’est moins coûteux que le dessalement, cela doit être une priorité en Tunisie », estime l’experte Essamin.
En Algérie aussi, le recyclage des eaux usées est à l’ordre du jour, mais limité par « un taux de raccordement de 30 % aux stations d’épuration », selon M. Mihoubi.
En outre, « les stations d’avant 2010 ne sont pas dotées du traitement tertiaire », note-t-il, préconisant « une mise à niveau pour généraliser » l’utilisation des eaux usées en irrigation.
Plus à l’est, la Libye, pourtant riche en pétrole, est en proie à l’instabilité depuis la chute du dictateur Kadhafi en 2011. Désertique à 90 %, elle ne compte que 3 stations de dessalement et 79 de traitement des eaux usées, presque toutes à l’arrêt.
Le pays dépend de la « Grande rivière artificielle » : 1 300 puits d’où est extraite de l’eau profonde fossile. Une eau non renouvelable.
AFP