« La solidarité avec la Palestine est un sport de combat » pour paraphraser Pierre Bourdieu dans un tout autre domaine, et la Bourse du travail de Toulouse en a été le théâtre vivant mardi dernier. Salah Hamouri, franco-palestinien, ex-prisonnier et expulsé, l’année dernière, par Israël de sa ville natale Jérusalem-Est était l’invité de l’UD-CGT, Palestine Solidarité Toulouse et l’Association France-Palestine solidarité (AFPS) pour évoquer son expulsion et le sort des prisonniers politiques palestiniens.
Mais cinq minutes auront suffi pour que les premiers incidents éclatent. La parole sioniste se déchaîne en inter-vagues : « Israël est le seul grand pays démocratique du Proche-Orient », « Israël, c’est pas l’apartheid », « Je ne veux pas entendre le mot déportation », « Vous êtes un terroriste », adressée à Salah Hamouri, qui peine à en placer une, puis est finalement empêché de parler. Des membres du service d’ordre blessés, 200 euros de dégâts à la table de l’association Le Philistin qui commercialise la production artisanale palestinienne. Un dernier attaquant ose dire à l’encontre de celui qui aura passé dix années de sa jeune vie en prison : « Je m’attendais à voir un grand conférencier et je vois un homme qui ne sourit pas. » La bêtise et la haine n’ont aucune limite. Une fois tout ce petit monde évacué, la conférence a pu véritablement commencer dans le respect de l’intervenant, des organisateurs et du public toulousain.
La judaïsation brutale de Jérusalem se poursuit
Salah appelle un chat un chat : « J’ai été déporté le 18 décembre 2022 par Israël de la ville de Jérusalem où je suis né, où j’ai grandi. On m’a retiré ma carte de résident pour défaut d’allégeance au pouvoir1. » Il cite l’exemple de quatorze personnes victimes de cette décision, dont quatre parlementaires palestiniens élus en 2006. Forcés d’aller vivre en Cisjordanie, ces députés sont devenus des sans-papiers sans aucun droit, pas même celui de circuler.
Il argumente que selon le droit international et la 4e convention de Genève, il s’agit bien « d’une déportation et non d’une expulsion que l’ONU qualifie de crime de guerre ». Il a été arrêté, menotté par des policiers israéliens qui l’ont mis dans l’avion et l’ont suivi jusqu’à l’aéroport parisien de Roissy. Les Palestiniens qui vivent à Jérusalem n’ont pas de nationalité, juste une carte de résidence permanente de couleur bleue2. « Le but de la puissance occupante est de vider Jérusalem de sa population arabe. Tous les moyens sont employés pour nous faire partir : destruction quotidienne des maisons, confiscation des terres, mur de l’apartheid. Depuis sa construction, 150 000 Palestiniens ont été poussés hors des frontières historiques de la ville et le projet colonial continue par l’extension du tramway et le projet de téléphérique. » Le tramway relie illégalement Jérusalem-Ouest aux colonies israéliennes implantées sur le territoire palestinien de Jérusalem-Est en expropriant des terres palestiniennes occupées, en assurant plus de contiguïté territoriale entre les colonies et en fragmentant des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est.
Témoin de cette dépossession devant l’Assemblée générale de l’ONU, en décembre 2021, Mohamed El Kurd, habitant de Jérusalem-Est, affirme que la Nakba3 continue : « Elle se poursuit chaque fois que l’occupation israélienne supprime des résidences à Jérusalem. Elle nous chasse de nos maisons pour que les colons puissent les occuper, c’est du vol ! Elle hurle dans les indications de rues où l’arabe a été effacé. La situation de mon quartier, Sheik Jarrah, est un parfait microcosme du colonialisme de peuplement ». Il ajoute : « Je n’ai aucune confiance dans le système judiciaire israélien. Il fait partie de l’État colonial de peuplement mis sur pied par les colons, pour les colons.
« L’enfance assassinée en prison »
Avant d’être chassé de sa terre, Salah Hamouri était avocat et défendait le droit des prisonniers palestiniens au nombre de 4 900 et dont les conditions d’enfermement se dégradent fortement. Il dresse un tableau sombre de la situation : la détention administrative concerne 1 000 personnes, dont 11 enfants, une mesure totalement arbitraire qui date du mandat britannique. L’armée israélienne peut détenir un Palestinien sans inculpation ni procès de manière indéfinie sur la base d’informations « secrètes ». Ni le prisonnier ni son avocat n’ont accès au dossier. 160 enfants de 12 à 18 ans connaissent le même sort en prison que les adultes, ils sont jugés par des tribunaux militaires illégaux. Israël refuse de faire un tribunal spécial malgré sa signature de la convention internationale des droits de l’enfant. Interdiction leur est faite de poursuivre des études et de recevoir leur famille. Isolés dans des sections spéciales, ils s’auto-administrent. « Toutes les conditions sont réunies pour assassiner leur enfance. »
Il avance le chiffre de 240 détenus morts en détention depuis 1967, assassinés après leur arrestation ou morts des suites de la torture ou par négligence médicale. Cette année, trois palestiniens sont décédés. Au total, 1 000 prisonniers sont malades. Une trentaine sont atteints de cancer et ne reçoivent pas de soins adaptés, c’est le cas de Walid Daqqah
« Dans la prison du Néguev 1 800 détenus ont accès à un docteur et à un dentiste. Il y a un hôpital pour les prisonniers de 60 places, 40 sont déjà occupées toute l’année par ceux qui ont besoin d’un suivi. Seuls 20 lits sont libres. La vie des prisonniers est mise en danger. » Une quarantaine de femmes peuplent les prisons israéliennes, elles ne sont pas mieux loties que les hommes. Certaines ont accouché mains et pieds menottés. Récemment, elles ont été gazées à l’intérieur de leurs cellules alors qu’elles protestaient contre les multiples harcèlements, la privation du droit de visite des familles, et les mesures d’isolement prises à l’encontre d’une camarade. Et comme si les punitions et les humiliations étaient insuffisantes, les corps des prisonniers ne sont pas rendus à leur famille avant d’avoir purgé la fin de leur peine. Ils sont conservés dans des morgues et enterrés dans ce qu’on appelle les cimetières des nombres, sans noms, avec une pancarte portant un chiffre. La personne morte devient un numéro. Et les proches ne peuvent accomplir les rites mortuaires afin d’accompagner leurs défunts dans la dignité, la paix et l’amour. Ces cimetières tenus au secret par la puissance occupante seraient localisés au nord de la Palestine historique.
« Notre lutte n’est pas contre les juifs »
Le jeune militant tient à être clair et précis : « Notre résistance et notre lutte sont contre l’occupation israélienne et pas contre les Juifs. Palestiniens et Juifs ont toujours vécu en paix avant 1948. » Il place son combat au niveau des droits de son peuple et surtout celui du droit au retour des réfugiés palestiniens. « C’est quand je suis devenu un réfugié à 38 ans que j’ai mieux compris le sentiment des anciens, expulsés de chez eux en 1948. »
Salah Hamouri avait à peine huit ans quand les accords d’Oslo furent signés en 1993. « Trente ans après, Oslo représente une catastrophe pour le peuple. Ne pas reconnaître nos droits : l’autodétermination, le droit au retour des réfugiés, la question des prisonniers et de Jérusalem, le piège était bien tendu pour que nous tombions dedans. Après Oslo, 132 pays ont reconnu Israël. Il y avait 100 000 colons en 1993, aujourd’hui ils sont 600 000. » Il n’attend rien de la société israélienne : « Le nouveau gouvernement n’est pas tombé du ciel, la société entière est d’extrême droite. Que le sionisme soit libéral ou religieux, ça ne change rien pour nous. Ce sont les travaillistes qui ont massacré les Palestiniens en 1948. En 1982, Israël attaque le Liban, 30 000 israéliens protestent contre la guerre ; en 2014 pendant les massacres de Gaza, 2 500 israéliens manifestent contre la guerre. Aux dernières élections, la gauche sioniste n’a plus aucun député. »
Le défenseur des droits humains opine que les Palestiniens d’Israël ne doivent plus se présenter aux élections : « Notre participation donne de la légitimité à Israël. Il y a eu 13 élus au parlement israélien, ils n’ont rien pu changer. » Actuellement, la Liste unie des partis arabes est divisée entre les communistes et les nationalistes laïcs d’un côté, de l’autre, les islamistes. Chacun a 5 députés, minoritaires, qui ne pèsent aucun poids politique.
« Un seul État démocratique et laïc »
« Il faut que l’impunité d’Israël cesse », répète inlassablement le combattant de la cause palestinienne, « par le boycott économique et militaire pour obliger cet État à respecter le droit international. Et mettre fin à l’occupation ».
Se référant au soulèvement populaire survenu au printemps 2021 contre les spoliations du colonisateur et le nettoyage ethnique, et parti de Jérusalem-Est pour embrasser l’ensemble des Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et des camps de réfugiés, Salah Hamouri pense qu’une nouvelle insurrection unissant tous les fronts de la résistance palestinienne est possible dans le futur. Les jeunes générations y sont prêtes. Et de citer un récent sondage : 75 % de la population palestinienne ne se sent représentée ni par le Fatah ni par le Hamas. Tous les peuples qui ont lutté pour leur libération ont obtenu la victoire : Algériens, Vietnamiens, Sud-africains. « Pour moi, la Palestine est une cause, pas une géographie, je continuerai à défendre les droits des Palestiniens. » La solution ? « Un seul État démocratique et laïc où l’on puisse vivre tous ensemble à égalité avec les mêmes droits ». Les sionistes et leurs complices politiques et étatiques ne feront pas taire la voix de la justice.
Piedad Belmonte
Salah Hamouri : « C’est en prison que j’ai compris l’injustice »
Salah Hamouri, défenseur des prisonniers palestiniens, a entamé une tournée en France pour témoigner de la réalité de l’occupation israélienne, des conditions d’emprisonnement et de son expulsion par Israël. Sa liberté d’expression entravée par l’occupant israélien ne va pas de soi non plus, ici, dans la patrie qui a vu naître la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, a tout fait pour appeler les préfets à empêcher que l’avocat franco-palestinien s’exprime en France sous le prétexte d’un éventuel trouble à l’ordre public.
À Nancy, la préfecture a annulé la conférence du militant avant que le tribunal administratif invalide l’arrêté et condamne l’État à verser 1 000 euros aux requérants. Le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, sous pressions de la préfecture Auvergne-Rhône-Alpes, annule la table ronde avec l’avocat franco-palestinien intitulée « Trente ans après la signature des accords d’Oslo, regards sur la Palestine », pour « assurer la paix civile et la concorde » dans sa ville « face aux tensions très fortes ». En fait, ce sont des instances juives et l’opposition politique lyonnaises qui se sont opposées à la tenue du débat en présence d’autres participants. Les membres de l’Association France-Palestine Solidarité ont dû s’y reprendre à trois fois pour organiser un débat à Versailles qui a pu se tenir dans un tiers-lieu. Le préfet de la Vienne a aussi essayé de convaincre une association pro-palestinienne d’annuler la conférence à laquelle Salah Hamouri devait participer au motif « d’approfondissement des antagonismes relatif au conflit israélo-palestinien sur le territoire national ». Mais qui est donc de taille à vouloir faire taire la voix de tout un peuple qui lutte pour sa libération et son indépendance ? Salah Hamouri est un de ses porte-parole dans l’Hexagone bien malgré lui puisqu’il a été expulsé par Israël le 18 décembre au petit matin. Sorti de la prison de haute sécurité d’Hadarim, menotté, embarqué dans l’avion de la Compagnie aérienne israélienne El Al, encadré par des policiers israéliens jusqu’à l’atterrissage à l’aéroport parisien de Roissy où l’attendait un comité d’accueil.
La détention administrative est arbitraire
Le visage de Salah n’est plus celui de l’insouciance propre à la jeunesse mais celui d’un homme, encore jeune, 38 ans, marqué par dix années de prison et les neuf derniers mois de captivité (détention administrative) avant son expulsion forcée. Né le 25 avril 1985 à Jérusalem, il est le fils de Denise, originaire de Bourg-en-Bresse et de Hassan, citoyen jordanien d’origine palestinienne qui vivent à Jérusalem-Est.
En 2001, Salah Hamouri connaît sa première prison israélienne à l’âge de 16 ans. En 2004, il y retournera pour cinq mois. Étudiant en sociologie à l’université de Bethléem, il est arrêté le 13 mars 2005 sur la route de Ramallah et n’a que 20 ans quand il est incarcéré sans jugement (détention administrative), pendant trois ans, avant d’être condamné par un tribunal militaire le 17 avril 2008 à sept ans de prison. Le jeune homme est accusé, sans preuves, d’avoir eu l’intention de tuer le rabbin Ovadia Yossef, fondateur du parti religieux ultra-orthodoxe Shass et d’appartenir au Front Populaire de Libération de la Palestine qu’Israël considère comme une organisation terroriste. Sous la menace d’une condamnation plus lourde — quatorze années de prison — son avocate le conseille d’accepter de plaider coupable alors que son dossier est vide. En 2017, il est encore arrêté et placé en détention administrative pendant treize mois sans connaître les raisons de sa détention.
Harcelé depuis plus de vingt ans par les autorités israéliennes (détentions, restrictions, mais aussi séparation de son épouse et de ses enfants), le 7 mars 2022, il est encore arrêté par l’armée d’occupation qui le place en détention administrative, prolongée de trois mois le 5 juin, puis à nouveau pour trois mois supplémentaires le 5 septembre dernier.
Les dégâts psychologiques de l’isolement
Salah Hamouri témoigne des conditions d’incarcération. En 2006, il a connu un prisonnier de longue durée qui a passé plus de six années à l’isolement et que l’autorité pénitentiaire a transféré dans une cellule collective. « Quand il est arrivé dans notre section, au bout de trois mois, il nous a dit : “je ne peux plus partager une vie sociale. Je veux retourner à l’isolement total”. La grève de la faim est le seul et le dernier moyen de résister pour défendre notre dignité et nos droits de prisonniers. J’en ai fait deux. Organiser une grève collective demande deux à trois ans de préparation, une communication discrète avec l’extérieur et le jour J un appel d’urgence pour la solidarité avec les prisonniers car des crimes peuvent être commis. Il y a une semaine un camarade est mort ». Il s’agit de Khader Adnan, 45 ans, père de neuf enfants, membre du groupe de résistance Jihad Islamique décédé, le 2 mai dernier, après une grève de la faim de 87 jours afin de protester contre sa détention administrative. Israël avait refusé de le transférer dans un hôpital civil. Il avait été incarcéré treize fois et avait passé neuf années en prison, la plupart du temps en détention administrative. Khader Adnan avait entamé plusieurs grèves de la faim lors de ces multiples détentions. Il était originaire de la Ville d’Arraba au Sud de Jenine en Cisjordanie occupée.
« En 2022, on a commencé une grève de la faim contre le régime de détention administrative. J’ai été mis à l’isolement total dans une partie réservée aux malades mentaux. C’était une petite pièce de trois mètres sur deux avec un matelas au sol sans fenêtres. Ils venaient me réveiller au bout de deux heures de sommeil pour que je perde des forces et que je ne puisse pas me rendormir. Après dix jours de ce traitement, le corps est fatigué. Une caméra placée au dessus de ma tête me surveillait 24h sur 24. Je n’ai pas eu le droit à la douche ni au sel, seulement à une bouteille d’eau ». L’eau et le sel sont indispensables dans une grève de la faim pour vivre ou survivre et ainsi éviter les complications médicales.
Il raconte une autre une grève de la faim collective en 2011 : « La police a fait rentrer de gros ventilateurs placés à l’entrée de nos cellules pour répandre les odeurs de cuisine afin que nous réclamions à manger ». « Dans les années 80, une décision politique israélienne a voulu mettre fin à une grève de la fin. Trois prisonniers ont été attachés sur les lits pour être nourris de force par des tubes. Ils sont décédés parce que le lait est passé par les poumons ». Salah Hamouri maintient des liens avec ses camarades emprisonnés qui comptent sur la solidarité internationale pour la défense de leurs droits et leur libération. « C’est en prison que j’ai compris l’injustice, l’injustice ne recule que devant la résistance ».
PB
Notes:
- Depuis 1967, Israël a révoqué le statut de résident de 15 000 Palestiniens de Jérusalem-Est. Israël a adopté le 7 mars 2018 une loi permettant de révoquer le statut de « résident permanent » des Palestiniens de Jérusalem-Est occupée pour « violation de l’allégeance à l’État d’Israël ».
- Depuis l’occupation en 1967 et l’annexion illégale de Jérusalem-Est par l’État d’Israël en 1980, les Palestiniens de Jérusalem-Est vivent sous le statut de « résidents permanents » dans leur propre ville. Cela ne leur confère aucune citoyenneté et Israël peut révoquer la « résidence permanente » à tout moment. Les Palestiniens de Jérusalem sont des apatrides.
- La « Nakba » signifie la « Catastrophe » en arabe se référant à la période de dépossession, de destructions, d’expulsions, de pillages et de massacres avant et après la création de l’État d’Israël. Elle est commémorée tous les 15 mai par le peuple palestinien.