La justice sud-africaine a confirmé ce jeudi l’interdiction pour Shell de mener des explorations sismiques au large de « Wild Coast » (au Sud-Est de l’Afrique du Sud) qui s’étend sur quelque 300 km au bord de l’Océan indien et qui compte plusieurs réserves naturelles et aires marines protégées.
Grande première : le droit d’exploitation pour la recherche de pétrole et de gaz par la société Shell dans les zones de Transkei et d’Algoa a été annulé par le tribunal de Makhanda, province de l’Eastern Cape.
Une précédente décision de justice, intervenue en décembre dernier, avait obligé le navire de la compagnie à quitter en janvier les eaux sud-africaines. Le tribunal avait reproché à Shell de ne pas avoir tenu compte de la population locale qui « détient des droits de pêche et entretient un lien spirituel et culturel particulier avec l’océan ».
Le gouvernement sud-africain soutient le projet pour les investissements qu’il représente, mais la justice a également estimé que Shell n’avait pas démontré que cette activité profiterait à la communauté locale, notamment par la création d’emploi.
« En tant que peuple de la côte sauvage, nous vivons de la terre et des océans. Le gouvernement nous dit que le pétrole et le gaz apporteront des opportunités d’emploi, mais nous savons très bien que cela détruira nos moyens de subsistance », a déclaré Nonhle Mbuthuma, du comité de défense local Amadiba.
« Les communautés locales requérantes soutiennent qu’elles ont des devoirs et des obligations concernant la mer et d’autres ressources communes comme la terre et les forêts », a souligné le tribunal. Ces populations ne considèrent pas l’océan comme une ressource inépuisable dont on peut tirer profit à tout prix. Partenaire nourricier et guérisseur, l’océan est aussi « le site sacré où vivent les ancêtres et elles ont donc le devoir de veiller à ce qu’ils ne soient pas inutilement dérangés et qu’ils soient satisfaits ».
Les écologistes ont invoqué les conséquences dramatiques de ce projet d’exploitation sur la biodiversité et la faune marine qui implique, toutes les dix secondes, l’envoi d’ondes de choc par des bateaux équipés de canons à air dans une zone de 6 000 km2.
Ces ondes ont notamment un fort impact sur les mammifères marins qui s’appuient sur leur audition. Elles les affectent dans leur comportement, alimentation, cycle de reproduction ainsi que dans leurs migrations.
Le porte-parole de Shell a déclaré que la compagnie respectait la décision du tribunal tout en se réservant le droit de faire appel.
Pour les militants écologistes, qui se sont exprimés dans un communiqué, « La décision de la justice sud-africaine est une victoire monumentale pour la planète ».
« Il y a 148 projets pétroliers et gaziers en cours de réalisation en Afrique, cette victoire permettra d’inverser la tendance », espère Melita Steele, de Greenpeace Afrique.
D’autre part, des scientifiques et associations pour l’environnement, dont Greenpeace, alertent sur les risques de destruction des espèces et des écosystèmes marins liés à l’exploration des potentiels miniers des cheminées hydrothermales et sur les conséquences écologiques de l’extraction minière en eaux profondes.
L’océan profond, méconnu car difficile d’accès, est situé au-dessous des 200 mètres. Si sa profondeur est évaluée en moyenne à 3 700 mètres, elle les dépasse vertigineusement par endroits. Ses fonds contiennent les mêmes minéraux que sur terre sous forme plus riches ainsi que des minéraux rares (ferromanganèsifères, nodules polymétalliques). Ce nouvel « eldorado »1 attire la convoitise d’une poignée de gouvernements et d’entreprises pour la production de batteries de smartphones, d’ordinateurs, de véhicules électriques, d’éoliennes ou de panneaux solaires… Des licences ont été accordées et les prospections pourraient commencer en 2024.
Si seul 0,0001 % du lit océanique a été exploré, les résultats préliminaires des scientifiques font part des dégâts écologiques importants produits par l’activité d’extraction, même s’il est impossible d’affirmer à ce stade qu’ils seront permanents. Greenpeace souligne que l’absence de connaissances en matière d’écosystème marin profond ne permet pas aux entreprises de prévenir les dommages qui pourraient s’avérer irréversibles (pollution de l’eau par les navires, épais nuages de sédiment provoquant une asphyxie de la faune et de la flore, destruction des habitats marins et d’espèces endémiques premiers maillons de la chaîne alimentaire, mammifères marins, victimes de la pollution sonore et lumineuse, qui pourraient être affectés de façon permanente, perturbation des processus naturels de stockage de carbone qui aggraverait le changement climatique…).
N’y aurait-il pas d’autres solutions, par exemple, investir massivement dans le recyclage efficace, l’économie circulaire, l’amélioration de la durée de vie des produits plutôt que d’aller bouleverser la flore et les habitants des profondeurs marines sans se préoccuper des conséquences en partie annoncées ? Ce “lack of knowledge” (lacune de connaissances) autorise-t-il en dépit du bon sens ces entreprises à abimer plus profondément encore l’océan, cet allié qui nous fait vivre ?
Avec AFP
1. Lien rédaction numérique France Inter – Célia Quilleret