À la surprise générale, l’Assemblée nationale a suspendu, mardi 4 janvier, l’examen du projet de loi transformant le pass sanitaire en pass vaccinal : une majorité de députés ont refusé par un vote à main levée la poursuite des débats.


 

La nuit s’annonçait longue pour les députés, elle a été écourtée. Malgré la demande du ministre de la Santé, Olivier Véran, que la séance soit prolongée au-delà de minuit pour aller au bout de l’examen du projet de loi transformant le pass sanitaire en pass vaccinal, les débats ont été suspendus après un vote à main levée et un décompte de la vice-présidente de l’Assemblée nationale, Annie Genevard.  Cette suspension-surprise saluée par l’opposition va vraisemblablement altérer le calendrier d’adoption définitif du texte par le parlement prévu initialement par le gouvernement pour la fin de la semaine. Il reviendra à la conférence des présidents de groupes parlementaires du Palais Bourbon d’inscrire la suite de l’examen du texte à l’agenda de l’Assemblée. Les sénateurs devaient examiner le texte à partir de mercredi et le pass vaccinal doit, selon le gouvernement, entrer en vigueur dès le 15 janvier.

 

Un « camouflet » pour le gouvernement ?

 

« C’est un camouflet pour le gouvernement », s’est réjoui le député LR Julien Aubert tandis que Jean-Luc Mélenchon, chef de file des Insoumis s’est félicité d’une « correction » infligée au ministre de la Santé, Olivier Véran. Dans un message interne, Christophe Castaner, le patron du groupe LREM, a fustigé « l’irresponsabilité » des oppositions et certains députés de la majorité ont dénoncé un « nouveau coup du rideau » des députés LR arrivés en force juste avant le vote. La majorité qui s’est habituée à l’état d’urgence dénonce notamment l’attitude des LR, accusés de soutenir publiquement le pass vaccinal, mais d’avoir soumis le texte dans l’hémicycle à une flopée de critiques et de votes négatifs.

Le calendrier au pas de charge prévu par le gouvernement risque de se trouver perturbé. Face à la progression indéniable du modèle polémique et de la scénarisation de l’information de plus en plus prégnante, l’épisode n’a pas manqué de déclencher une série de commentaires sur les réseaux sociaux. Une fois encore, le projet de loi semble moins intéresser que les chemins qu’il ouvre. Au vu des premières réactions, on se demande si les ténors de l’opposition et les soutiens du gouvernement cherchent davantage à défendre leur point de vue, ou à convaincre de leur existence dans la bataille. Toutefois, on ne peut passer sous silence les dangers que comporte ce projet de loi.

 

Les problèmes soulevés par ce projet de loi

 

Avant d’arriver à l’Assemblée, ce texte a été validé par le Conseil d’État qui suggère une modification concernant le certificat de rétablissement. Il s’agirait d’admettre, pour les personnes contaminées, un certificat de rétablissement comme un substitut du justificatif de statut vaccinal. Le Conseil d’État propose aussi de maintenir le pass sanitaire dans le cadre des déplacements « pour des motifs impérieux de nature familiale ou de santé » afin de prévenir toute atteinte à la liberté de circuler ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale.

Le projet de loi de plus1, qui comporte par ailleurs nombre de mesures, dont certaines font débat. C’est notamment le cas de la possibilité pour les professionnels des établissements recevant du public de vérifier l’identité de leurs clients en cas de doute sur l’authenticité du pass vaccinal. « Il faudra que le gouvernement argumente beaucoup s’il veut me convaincre », avait prévenu Philippe Bas (LR), pressenti pour être le rapporteur du texte au Sénat.

Cette vérification d’identité risque de se heurter à l’acceptabilité du public et des professionnels. Contrairement à un contrôle de police, il reste possible de se soustraire à cette vérification. Un des points d’interrogation soulevé par le vice-président de la commission des lois, Philippe Bonnecarrère, est que cette vérification aléatoire interviendra « en cas de doute » sur l’authenticité du pass. « S’il y a bien une notion qui n’est pas définie en droit, c’est le doute », s’étonnait le sénateur.

Les mesures vont aussi se durcir pour les personnes « faisant l’objet des mesures de mise en quarantaine ou de placement à l’isolement ». Il est ainsi prévu que les services préfectoraux puissent recevoir des données à caractère personnel afin d’assurer le suivi et le contrôle du respect de ces mesures de placement.

La méthode de gestion de la crise sanitaire par le gouvernement interroge une nouvelle fois à plus d’un titre. « C’est tout de même la première fois qu’on va refuser à plus de 5 millions de Français l’accès à de nombreux lieux, activités ou établissements parce qu’ils ne sont pas vaccinés, au risque de les transformer en parias (…) Aujourd’hui, on ne sait pas ce qui relève de l’état d’urgence sanitaire et ce qui relève du droit commun. Formellement, on est sorti de l’état d’urgence en Métropole mais le brouillage est total », souligne sur l’antenne de Public Sénat le professeur de droit public, Serge Slama.

 

Perte de confiance dans la parole publique

 

Habitué du passage en force, le groupe LREM ne s’attendait pas à une suspension de séance. Le peu d’attention qu’il accorde aux points de vue des positions minoritaires, considérés comme illégitimes dans le contexte de la pandémie, l’empêche d’évaluer la portée de ses décisions ; et parfois de ses arguments. Avec pour conséquence paradoxale de mener une action politique autoritaire, en explorant à tâtons.

« Comment s’étonner que les gens n’aient plus confiance dans la parole des pouvoirs publics », lance Serge Slama, rappelant les contradictions de l’exécutif sur les masques ou le vaccin. Certes, la situation est inédite mais sous prétexte de motif impérieux, la majorité remplace le débat nécessaire par des éléments de langage. Un nombre grandissant de Françaises et de Français éprouve le sentiment que le destin de leur pays se trouve broyé par le carriérisme narcissique et la médiocrité envahissante des porte-paroles gouvernementaux qui ne cessent de se fondre dans l’ombre élyséenne en noyant le débat politique.

Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, le Parlement, qui devrait être le creuset de la démocratie, du débat de société, de la représentation nationale, le vivier des futurs responsables politiques, a quasiment disparu du spectre national. Si les motivations premières de la fronde conduite par les députés restent porteuses d’incertitudes, ce coup de théâtre a du moins le mérite de nous rappeler que la réflexion, le débat d’idées, la préparation d’un destin commun, c’est-à-dire politique au sens noble du terme, survit toujours !

 

Notes:

  1. Il y a eu la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, celle relative « à diverses dispositions liées à la crise sanitaire », la loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ou encore la loi « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 », celle « portant diverses dispositions de vigilance sanitaire », celle encore « relative à la gestion de la crise sanitaire » et celle « relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire »…
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.