Les sénateurs ont annulé l’essentiel des dispositions progressistes de la proposition de loi Waserman sur les lanceurs d’alerte.
La proposition de loi Waserman, transposant la directive européenne sur les lanceurs d’alerte, a été débattue le 15 décembre à la commission des lois du Sénat. Alors que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, les sénateurs ont annulé l’essentiel des dispositions progressistes du texte.
Pire, les amendements qu’ils ont adoptés constituent une régression par rapport à la situation actuelle et à la loi Sapin 2 de 2017, qui donnait une définition large du lanceur d’alerte. À l’inverse, ces amendements prévoient notamment que :
- La définition du lanceur d’alerte est limitée à celles et ceux qui dénoncent des « violations graves » de la loi, alors qu’aujourd’hui il faut dénoncer des faits contraires à l’intérêt général pour être considéré comme lanceur d’alerte. Une régression majeure ! Avec cette définition Antoine Deltour (affaire LuxLeaks) n’aurait pas été reconnu comme lanceur d’alerte et aurait été condamné par les tribunaux.
- Les syndicats et les ONG perdent la possibilité d’accompagner les lanceurs d’alerte. La directive prévoit pourtant la possibilité pour les personnes morales d’être facilitateurs d’alerte, d’accompagner les lanceurs d’alerte et d’être protégées contre les représailles.
- Les protections pour les lanceurs d’alerte prévues par la directive et la proposition de loi ont été considérablement rognées. Par exemple, suite aux amendements des sénateurs, les lanceurs d’alerte ne seraient plus protégés de poursuites au pénal.
- Les possibilités de saisir la presse sont sévèrement limitées, alors qu’il s’agit souvent de la seule façon de faire entendre les alertes. Avec une telle rédaction de la loi, la lanceuse d’alerte de 3M (masques anti-amiante défectueux) n’aurait pas pu rendre publique son alerte.
- Le Sénat ouvre la possibilité aux multinationales de mettre en place leurs canaux d’alerte à l’échelle mondiale et pour l’ensemble du groupe. Si les alertes des salarié.e.s français.e.s sont uniquement traitées aux États-Unis, leurs chances d’être entendues seront encore plus maigres qu’aujourd’hui…
Réactions
Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres :
« Ces amendements sont contraires à la directive sur de nombreux points, à commencer par la clause de régression prévue par la directive. Nous avons gagné cette directive de haute lutte, grâce à la mobilisation d’Eurocadres, de ses syndicats affiliés et de la coalition d’ONG et de journalistes que nous avons créée. Nous ne laisserons pas faire les tentatives de détricotage ! »
Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-CGT estime [qu’] « il s’agit d’une très grave régression. Nous appelons les sénateurs à rétablir la version initiale de la proposition de loi lors de son examen en séance plénière, le 19 janvier prochain. Nous nous méfions des manœuvres conduisant à jouer la montre pour empêcher l’adoption de la proposition de loi avant la fin de la session parlementaire. La responsabilité du président de la République est engagée : alors que la France prend la présidence de l’Union Européenne, l’exécutif doit garantir la transposition la plus favorable de cette directive essentielle pour les libertés. »
Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT :
« Ces amendements démontrent l’influence des lobbies sur le Parlement et la volonté de museler journalistes, lanceurs d’alerte et syndicats. Le gouvernement doit protéger la liberté d’informer et d’être informé, garantie démocratique fondamentale, qui permet l’organisation de contre-pouvoirs citoyens face aux multinationales. »