Le témoignage que nous publions ci-dessous est une version longue de l’article paru dans le numéro 2 de notre trimestriel altermidi mag. Il n’entend pas dicter une conduite — cela n’est pas la raison d’être de notre média — mais constituer une incitation au débat. Sans exclusive, sans condamnation, ni des abstentionnistes, ni de ceux qui continuent à voir dans le vote un mode d’expression.
« Je peux qualifier mon abstention d’intermittente. Aux dernières élections régionales et
départementales je m’abstiens de nouveau sans états d’âme. Voir petits et gros crabes grouillant dans un même panier, ces alliances contre-nature, comment croire encore qu’on a le choix ? Quel serait le sens d’aller voter ? Voter utile ? Voter blanc ? Vaste blague. Mon divorce est consommé, je ne veux plus signer de chèque en blanc aux politiques, ni même aux programmes et autres promesses qui n’engagent que ceux qui les croient.
Cela peut sembler paradoxal, mais en me libérant de mon « devoir citoyen » j’ai au contraire le sentiment de reprendre mon « pouvoir citoyen ». Si je reste dans cette logique, et il y a une forte probabilité que ce sera le cas, je n’irai pas voter à la présidentielle. Je ne vois plus du tout la solution dans les urnes. Il reste la Zad1… l’utopie concrète.
Que n’ai-je rouspété contre tous ces parents ou proches qui n’allaient plus voter depuis des décennies, contre ceux qui n’y sont jamais allés car non inscrits sur les listes électorales, mon fils par exemple.
J’avoue que c’est un peu déprimant de leur donner raison, parfois trente ans plus tard ! Que d’énergie et de temps perdus qui auraient pu être déployés pour penser et construire des solutions avec d’autres citoyens agissant, au lieu d’accepter qu’on se réunisse une fois, deux fois, cent fois pendant des heures pour faire du surplace…
« Plus d’accord avec la démocratie représentative »
Je ne suis plus d’accord avec la démocratie représentative. À force de tourner le problème dans tous les sens, j’y vois plus notre asservissement qu’une quelconque prise sur le réel. Selon moi, l’élection présidentielle pourrait battre un record d’abstention. Je réfléchis à d’autres formes d’engagement citoyen, civique, pacifique. De résistance par le boycott, par la désobéissance civile… Transformer la société par des actes concrets, des solidarités, des coopératives, de l’initiative populaire. Depuis avril de cette année, j’ai repris mes lectures de jeunesse sur l’anarchie, et je rêve d’autogestion !
Ces dernières années, le seul moment où j’ai senti la flamme se raviver c’est au moment des Gilets jaunes. Instantanément, je les ai applaudis, admirés, soutenus, j’aurais aimé les rejoindre mais je n’étais pas sûre d’y avoir ou d’y trouver ma place avec mon passé de militante très politisée… Mais ils nous ont donnés des leçons de démocratie en démontrant qu’on pouvait agir sans représentation ni délégation, et surtout sans jamais céder à cette solution de facilité.
Ils se sont posé les bonnes questions, pêle-mêle : le pouvoir du peuple, la souveraineté, la prise sur le réel, la démocratie, nos institutions, le RIC (référendum d’initiative citoyenne), les services publics, la fiscalité, l’emploi, les libertés, la solidarité, la fraternité, l’égalité… Ils ont créé du lien, cherché ce qui fait sens, ce qui unit, sans avoir besoin de guide, de parti, de syndicat, juste de l’intelligence collective dont nous, “à gauche”, on se gargarise tant…
Le système aurait pu voler en éclats si les forces de l’ordre avaient posé les casques pour redevenir des gardiens de la paix.
Lors d’une manifestation contre le pass sanitaire j’ai lu une pancarte « nos rêves ne rentrent pas dans vos urnes ». Tout est dit. Se contenter d’aller voter tous les cinq ans, c’est l’abstention véritable finalement, c’est la facilité, c’est se désinvestir de la vie de la cité, refuser de prendre sa part dans le pouvoir instituant du peuple.
« Le cadre confortable et rassurant dans lequel ils se reconnaissent »
L’échec de la République de Saillans2 devrait nous questionner. Pourtant, ils nous ont fait rêver. Ils ont proposé, ils ont agi, mais tout en restant bien dans le cadre. Pour finir malgré des résultats concrets encourageants, les autres citoyens n’ont pas suivi, ils ont préféré continuer à déléguer leur pouvoir, la démocratie représentative étant le cadre confortable et rassurant qu’ils connaissent et reconnaissent.
Donc sommes toujours au point de départ : pouvoir de la finance, des lobbies, chape de plomb des institutions européennes et de la cinquième [République, Ndlr], corruption, explosion des inégalités, casse de l’outil industriel, dislocation du patrimoine social et des libertés, contrôle sanitaire, violences policières….
On ne pourra jamais bâtir un autre modèle de société avec le fonctionnement actuel de nos institutions et de l’État. Il paraît que la folie c’est répéter inlassablement les mêmes actions en espérant un résultat différent… Autrement dit, continuer à voter en pensant que cela va changer les choses ?
La société a beaucoup bougé et la révolution citoyenne par les urnes, pour moi, est déjà dépassée. On est au bout de la cinquième République certes, mais en même temps les citoyens qui contestent toute forme de représentation sont de plus en plus nombreux, je fais partie de ceux qui ne consentent plus.
« L’abstention, ce n’est pas l’indifférence »
Il faut vraiment se poser la question du consentement, ça crève les yeux non ? Rompre, unir, agir…
Faire de l’abstention un acte rationnel, radical et volontaire. Que nous reste-t-il d’autre ? La révolution par les armes ? Sans commentaires. Ou bien la reconquête de notre souveraineté par l’action ? Boycott, désobéissance civile, consommation ciblée et locale, ZAD, autogestion ? En un mot l’anarchie, au sens historique du terme. Ne plus élire son maître mais reprendre le pouvoir.
Je dirais que l’abstention ce n’est pas l’indifférence, l’incivisme. Au contraire, j’y vois une force vive et agissante avec des formes de participation plus directes, plus contestataires et plus radicales : on voit bien que les pétitions, manifestations, occupations de sites, apéros sauvages, rave party, actes de sabotage même, se diversifient et se multiplient. Ce qui est encourageant aussi, c’est ce mouvement transverse, de plus en plus étal, qui ne suit pas les clivages habituels, qui mêle des personnes issues de nombreux courants de pensée.
Ces nouvelles manifestations peuvent donner davantage le sentiment d’être de véritables citoyens engagés, d’avoir une plus grande prise sur le réel que le simple fait d’aller voter. Depuis longtemps on nous le disait : aller voter, c’est conforter le système, le maintenir en place, accepter et être d’accord finalement. Mais les manifestations ne seront pas suffisantes, il faudra agir, agir autour de soi sans désespérer, sans forcément unir.
Aujourd’hui je préfère redonner du sens, recréer des liens, reprendre mon projet de monter une ferme en coopérative, m’investir de nouveau à la Confédération paysanne et contribuer dans une association locale, un mouvement d’action directe comme Extinction Rébellion (XR)3, une Zad ou autre initiative locale…
L’histoire des Fralib me parle et m’enchante. Ils ont résisté et vaincu une multinationale. Ils sont un exemple à suivre. Je choisis aujourd’hui d’investir dans une plus grande implication locale, dans le lien, dans les luttes concrètes pour la solidarité, contre les délocalisations, pour le RIC, la révocation des élus, la liste est longue…
Mon abstention, bien qu’intermittente, se lit comme un acte politique. Je revendique une abstention active. Il est illusoire d’imaginer encore que le système puisse se combattre efficacement par le vote.
Si plus personne n’allait voter, le système finirait par s’effondrer. Et nous pourrions reconstruire.
Notes:
- Zone à défendre.
- Les habitants de Saillans, dans la Drôme, ont expérimenté un modèle de démocratie citoyenne où les décisions étaient prises en concertation. De nouvelles façons d’exercer le pouvoir mais aussi de vivre ensemble. La liste citoyenne a été battue, de peu, lors des élections municipales de 2020
- Mouvement social écologiste international qui revendique l’usage de la désobéissance civile non violente afin d’inciter les gouvernements à agir dans le but d’éviter les points de basculement dans le système climatique, la perte de la biodiversité et le risque d’effondrement social et écologique.
