Le premier roman de Titiou Lecoq commence dans un lieu de culte et pourrait bien finir par en devenir un, livre culte. Plusieurs arguments étayent cette hypothèse. Née en 1980 Titiou fait partie de la même génération que ses héroïnes. Il y a une réelle proximité entre l’auteur et ses personnages. On touche à une prose spontanée, un peu comme entre Jack, (Kérouac) et les beatniks.
Au Diable Vauvert, Les Morues a rencontré un très bon accueil des lecteurs et poursuit son bout de chemin sur l’étagère des pétroleuses.
Confrontées aux changements rapides de leur époque, Ema, Alice et Gabrielle éprouvent de profondes difficultés à trouver leur place, ce qui les amène à rejeter les valeurs traditionnelles pour mordre à pleines dents dans le monde nouveau. Elles se retrouvent mensuellement dans un bar parisien pour les soirées Morues. Lors de ces rendez-vous, il est question de trouver un minimum de cohérence à l’héritage du féminisme. On s’intéresse au plaisir féminin en intégrant les problématiques masculines à l’image de Fred, un génie introverti qui soigne sa déprime en trinquant avec ses copines à grands bols de Nesquik ou de Blester, qui rêve d’une relation suivie au grand dam d’Ema.
Bref, les Morues examinent les possibilités de relations humaines dignes de ce nom dans la société actuelle. Elles planchent par exemple pour savoir faire respecter leur indépendance par les « mecs » en tant que femmes modernes mais aussi en tant que chiennes, si le besoin s’en faisait sentir.
Se prendre en main
Le bon fonctionnement de l’équipe tient à une ligne de conduite simple en théorie : traquer chez les femmes les réflexes sexistes dont on accuse généralement les hommes. Ce qui suppose de dépasser quelques tabous. Avec un heureux sens de l’organisation, les Morues ont établi leur charte de fonctionnement qui dispose d’une entrée masturbation où les trois copines ratifient de manière tout à fait démocratique les phrases proscrites, genre : « Je me masturbe que quand je suis seule depuis longtemps » ou « Ça m’arrive de me caresser mais que sous la douche » ou encore « Oui, j’ai un gode, il est griffé Sonia Rykiel ! ».
À l’instar de ses personnages, Titiou Lecoq pourrait être la première fille à se faire jeter d’une église pour n’avoir pu contenir un fou rire lors de l’enterrement de sa meilleure amie, même si cet événement inexpliqué la ravage en profondeur.
Titiou joue sur la crête de l’équilibre psychique tout en échafaudant une structure précise qui nous maintient en haleine d’un bout à l’autre du roman. La critique du monde est existentielle, mais aussi politique. Le champ lexical peu orthodoxe flirte avec l’ironie du ton, ça décoiffe sans jamais tomber dans la vulgarité.
Les histoires de filles ne manquent pas de réalisme, nous rappelle l’auteure en posant dans le fond du décor une réflexion transversale sur la société, l’asservissement du système médiatique et les dessous de la privatisation du système public. Sans s’en extraire, Titiou Lecoq attire notre attention sur le caractère absurde ou factice du consumérisme moderne. À découvrir ou à relire…
Jean-Marie Dinh
À propos de l’auteur: Titiou Lecoq
Née en 1980, Titiou Lecoq débute sa carrière littéraire en 1988 en réécrivant la fin des romans de la Comtesse de Ségur. Elle passe ensuite de nombreuses années à boire du café et à étudier la sémiotique avant de se mettre à la recherche d’un vrai travail. Gardienne d’immeuble, hôtesse d’accueil, secrétaire, banquière, assistante d’éducation, agent à l’ANPE. Finalement, elle devient journaliste pigiste pour divers magazines et ouvre un blog qui croise les thèmes de l’internet, du sexe et des chatons.
Les Morues, éditions Au Diable Vauvert, 22 euros.