Question cruciale des inégalités dans un secteur où l’on trouve des quartiers parmi les plus pauvres de la ville, travail avec les citoyens, projets en matière de transports, articulation avec la métropole Aix-Marseille-Provence : tour d’horizon avec Sophie Camard, maire de secteur des 1er et 7e arrondissements à Marseille1.
Le premier secteur de Marseille offre un visage assez contrasté entre le 1er arrondissement (centre-ville) où l’on trouve notamment le quartier de Noailles, lieu du sinistre effondrement de la rue d’Aubagne, et le 7e arrondissement (Endoume, Catalans), plus favorisé. Selon les dernières statistiques élaborées par l’INSEE, la densité de population est de 22 103 habitants au km2 dans le 1er arrondissement contre 6018 habitants / km2 dans le 7e. La part des ménages fiscaux imposés en 2018 était de 36 % seulement dans le 1er arrondissement et de 61 % dans le 7e. Sur l’ensemble de la population du quartier du centre-ville, le taux de pauvreté est de 40 % selon l’étude de l’INSEE. Autre indicateur : dans la population non scolarisée de 15 ans ou plus, la proportion de personnes n’ayant aucun diplôme ou le seul Certificat d’études primaires est de 28,4 % pour le 1er arrondissement contre 16,1 % pour le 7e arrondissement.
Malgré des indicateurs globalement défavorables à la mobilisation électorale, la participation au second tour des Municipales de juin 2020 a été de 45,27 % dans le premier secteur contre 35,4 % seulement sur l’ensemble de la ville : le fruit, probablement, d’une intense campagne de terrain et de la mobilisation d’acteurs citoyens.
Vous êtes élue dans un secteur où certains quartiers sont parmi les plus pauvres de Marseille et au-delà. Comment une mairie, a fortiori une mairie de secteur, peut-elle agir contre la pauvreté et la précarité ?
Cela se diffuse de toute façon mais effectivement, ce sont les quartiers de Noailles et de Belsunce qui sont les plus concernés. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des poches de pauvreté aussi, moins visibles, jusque dans le 7e arrondissement. Ce qu’on fait dans ces cas-là, au niveau de la mairie centrale, c’est de mettre en place en fait une politique sociale, reprendre le CCAS, le Samu social. Il a fallu tout remettre à plat : ça va des places d’hébergements d’urgence à une réorganisation complète du CCAS.
Pour ce qui concerne l’urgence, on a la chance au centre-ville d’avoir un tissu associatif et de solidarité énorme. Avec la mairie de secteur, on se met à leur service : on a créé une plateforme de solidarité qui est très active à Belsunce où on a dit à toutes les associations qui voulaient se regrouper entre elles pour faire de l’aide alimentaire : « on vous mettra à disposition un équipement ». Le hall de la mairie de secteur est utilisé pour regrouper l’aide alimentaire et la distribuer. On prend en charge le lieu, le gardiennage et pour le reste c’est tout un réseau de bénévoles, c’est assez magique parce qu’on n’a plus qu’à les accompagner en fait. Voilà le type d’initiatives qu’on peut faire sur l’urgence. après, évidemment, on reprend tous les sujets de fond, pour moi, c’est beaucoup les questions d’habitat et de logement que nous devons traiter, donc le fait d’être dans toutes les réunions de cadrage et de décision sur l’habitat et le logement. En tant que maire de secteur, je peux participer à ces réunions parce que je siège à la métropole et je vais siéger à la Société publique d’intérêt national qui va s’occuper de ça. Là, c’est un combat beaucoup plus politique qui prend plus de temps : déterminer les projets urbains qu’on doit mener pour réhabiliter le centre-ville, se bagarrer pour qu’il y ait des logements sociaux de tous types, pour apaiser le centre-ville, permettre qu’il y ait de l’activité économique, pas seulement du logement, veiller au tissu de commerces, aux petites entreprises. C’est évidemment de bien plus longue haleine mais il y a beaucoup de potentialités et beaucoup de projets dans les tuyaux.
Marseille est, on le sait, une ville un peu abandonnée, y compris dans ses politiques publiques et quand on arrive, c’est assez impressionnant de trouver tous les projets qu’on doit mener au bout ou qu’on peut démarrer. Il y a un décalage terrible entre un système politico-administratif qui était en bout de course et un tissu social et économique qui ne demande qu’à faire de la solidarité, des projets, qui veut faire vivre des lieux. Comment on fait se rencontrer tout ça, comment on met en musique toutes ces possibilités : voilà, un peu en résumé (rires) ce qu’il se passe quand on arrive aux manettes.
D’une certaine manière, vous avez déjà abordé la question mais comment allez-vous travailler avec les « collectifs citoyens », quelle sera votre méthode?
« Collectifs citoyens », c’est une expression que j’emploie aussi mais c’est un mot un peu valise, en fait pour décrire des acteurs, on va dire ça comme ça, très différents. On a déjà une vie associative en tant que telle, très active dans le centre-ville. On est en train de mettre en place ce qui aurait déjà dû exister, ce qui est prévu par la loi PLM [Paris-Lyon-Marseille, Ndlr] : le rôle des mairies de secteur est d’animer la vie associative par des Comités d’initiatives et de concertation d’arrondissement (CICA). En fait, on va les mettre en place, organiser des ateliers thématiques avec toutes les associations qui veulent y participer, ça n’a rien d’obligatoire évidemment. On leur propose de s’inscrire sur une dizaine d’ateliers pour discuter avec eux de certains projets ou de certaines problématiques qu’ils veulent porter à notre connaissance : ça, c’est au niveau de la mairie de secteur. Ensuite, au niveau des collectifs citoyens qui, par nature, ne sont pas constitués en associations, on a affaire à des réseaux de militants, d’habitants, là c’est beaucoup plus diffus et ça dépend un peu des projets, au cas par cas en fait.
Notre choix, quand on a voulu reprendre la question de Noailles, ça été de dire : « on va parler directement aux habitants ». C’était assez sensible, cette histoire de collectifs citoyens : pourquoi on s’adresse à certains et pas à d’autres, pourquoi s’adresser à des collectifs citoyens qui ne sont pas organisés en associations ? C’est assez complexe ces sujets-là. Par exemple, quand on a voulu faire une réunion d’information sur la situation du quartier, juste avant le deuxième confinement, on s’est adressé aux habitants directement, on a collé des affiches dans le quartier, presque fait du porte-à-porte. On a pris une liste d’inscrits, même s’il y a eu des frustrations. Le débat était filmé parce que maintenant, on peut faire ça. Après, c’est en fonction des projets : soit les gens se structurent en associations, soit il y a des collectifs mais finalement on arrive à travailler au cas par cas : un projet urbain, un projet de vie de quartier, autour d’un espace vert… etc. Finalement, on trouve les interlocuteurs assez naturellement quand on est dans une mairie de secteur et que notre rôle, c’est la proximité. On arrive à connaître les gens, il n’y a pas trop d’intermédiaires, ils savent où nous trouver et nous, sur ce type de quartier on sait assez vite qui est qui et qui fait quoi. Cela fonctionne à la volonté de faire et aussi par des rencontres, tout simplement.
Le Printemps marseillais a aussi dans son programme la mise en place de budgets participatifs. Cela fait partie des chantiers que l’on doit discuter très vite, c’est un sujet qui relève de la mairie centrale. J’espère que cela sera possible dès cette année, sinon l’année prochaine. Il y a des choses qu’on fait en mairie de secteur et d’autres qu’on ne peut pas faire, tout simplement parce qu’il faut des décisions de la mairie centrale pour les piloter sur toute la ville. Et donc, ça aussi on l’a priorisé en haut de la liste des politiques à mettre en place très vite.
Cela serait des propositions faites par les habitants eux-mêmes ?
Oui, ça existe déjà dans d’autres villes. Je pense qu’on ne va pas inventer l’eau chaude, il y a des lois et des expériences qui existent. De préférence, ce sont plutôt des budgets d’investissement et après il faut faire voter sur des projets, il y a différentes méthodes. Je ne peux pas vous en parler, par définition, parce que ce n’est pas encore décidé et installé mais on n’est pas seuls au monde. Une des premières étapes est de savoir comment cela se fait ailleurs et comment on peut l’adapter à Marseille. Il faut notamment faire attention à ne pas faire du tout numérique ici.
Parmi vos priorités, en plus du logement et du cadre de vie, il y a les transports. Vous dites qu’il faut travailler avec la mairie centrale mais vous avez aussi la Métropole Aix-Marseille-Provence. Comment cela va s’articuler avec l’échelon métropolitain ?
On a branché les tuyaux avec tous les services nécessaires. On est en train aujourd’hui de travailler avec la Métropole en réalité. Cela a pris plus de temps qu’avec la mairie centrale parce qu’il y avait des blocages politiques au début mais après, les services de la Métropole ont besoin, notamment, des mairies de secteur. Ils ont fait la tournée des mairies de secteur parce qu’ils ont besoin de nous aussi, de la proximité au quotidien, vu qu’on parle de voirie, de mobilité, d’habitat, d’économie. On a des rencontres avec les techniciens et une fois qu’on a défini les priorités politiques, par exemple le nettoyage, ça y est, c’est parti. On a des réunions mensuelles. J’ai une adjointe à la propreté qui est très méticuleuse et très active et depuis un mois ou deux, elle a des rencontres régulières avec la Métropole. Cela va nous permettre d’avancer sur ces sujets du quotidien et c’est vrai que la mairie de secteur est à l’interface de la Métropole et de la mairie centrale. Je pense que dans les projets qu’on veut mener, on a presque plus besoin de voir la Métropole que la mairie centrale. C’est en cours, on n’est pas sans moyens d’actions, c’est plus long, plus laborieux mais on commence à y arriver. La Métropole est friande de ce qu’on peut faire en tant que mairie de secteur, dans toutes les concertations. Sur l’habitat et le logement, ils sont venus nous dire : « on a besoin de vous pour le contact avec les habitants ». Ils savent très bien qu’ils ne peuvent pas se passer de cet échelon de proximité, je parle des services parce que les élu.e.s de la métropole (les vice-présidents en fait), vous imaginez bien qu’on ne les voit pas beaucoup. Comme on a levé le blocage politique, on connecte les techniciens entre eux. Je vous avoue que je ne suis pas au bout de l’expérience. Est-ce qu’il peut y avoir des blocages politiques ensuite dans les projets qu’on veut mettre en place ? Je vais l’expérimenter maintenant. Là, c’est notre première année pleine. On a des rendez-vous de travail, on indique nos choix, nos préférences et des programmations doivent se faire derrière. Je n’ai pas encore la vision complète mais c’est engagé.
Sur les transports, on a deux sujets à venir sur le secteur mais il y a tous les enjeux du tramway Nord-Sud. Avec la mairie des 2e-3e arrondissements, on porte beaucoup le projet de la Belle de Mai qui pourrait permettre de relier la gare Saint-Charles à Longchamp, de désenclaver la Belle de Mai et qui passerait par le Boulevard National.
Ce projet de tramway est identifié dans le Plan de déplacements urbains (PDU) mais un peu en pointillé. Nous en faisons une priorité politique alors que quand vous prenez le PDU, il n’est pas forcément très prioritaire dans l’immédiat, je pense que c’est lié au réaménagement de la gare Saint-Charles qui va prendre quelques années. Nous en faisons une priorité dans les discours et dans les investissements à réaliser.
Il y aussi un projet où on attend la concertation parce qu’on est moins déterminés par la nécessité d’en faire un à cet endroit-là : celui du boulevard de la Corderie jusqu’à la place du 4 septembre, le fameux « tramway des Catalans ». Ce sont les deux gros projets structurants sur le secteur et après, il y a toute la bagarre sur les pistes cyclables où on a obtenu un comité de pilotage mairie centrale-mairie de secteur qui doit prioriser les investissements afin de finir le plan vélo.
Propos recueillis par Morgan G.