Trois décrets publiés vendredi 4 décembre au Journal Officiel, et passés quasiment inaperçus, créent la polémique et l’inquiétude des défenseurs des libertés. Ils vont permettre aux forces de l’ordre et aux renseignements de collecter beaucoup plus d’informations et des données très personnelles.


 

Ficher les opinions politiques de certains Français, les orientations sexuelles, la pratique sportive, les comportements religieux, les activités sur les réseaux sociaux, c’est une nouvelle prérogative des forces de l’ordre, grâce à trois décrets parus vendredi en toute discrétion. Concrètement, avec ces décrets, l’exécutif élargit les possibilités de fichage de certains services de police et de gendarmerie.

Il ne s’agit pas, théoriquement, de collecter des données de tous les citoyens, mais, selon le décret, de personnes « susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, à l’intégrité du territoire, ou des institutions de la République. Ou encore de constituer une menace terroriste ».

Ces nouvelles données, concernant de nouvelles personnes, viendront grossir trois fichiers : le fichier Prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP), le fichier Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP) et le fichier Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP). Ce dernier fichier est utilisé pour réaliser les enquêtes administratives préalables à certains recrutements dans la fonction publique.

Des voix s’élèvent aujourd’hui pour s’inquiéter du périmètre — notamment — très large accordé au recueil des données, sachant que pour les terroristes potentiels, il existe d’autres fichiers. Il est question aussi de mieux surveiller les personnes morales et les groupements, autrement dit les associations.

Quant au contenu des données collectées : ce ne sont plus seulement les activités politiques, religieuses, syndicales, mais dorénavant également les opinions politiques, les convictions philosophiques, religieuses, ainsi que les comportements et habitudes de vie, les pratiques sportives… Autant de notions intrusives, sur lesquelles la CNIL a demandé des précisions. Avis non pris en compte.

Le renseignement territorial pourra également enregistrer des données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques qui peuvent être considérées comme des atteintes au secret médical.

« Les fichiers de police dont on parle ne sont pas des fichiers judiciaires, ce sont des fichiers qui sont gérés par la police, seule, pour la police, explique Arthur Messaud, porte-parole de La Quadrature du Net. Ce ne sont pas non plus des fichiers de contre-terrorisme. On est dans la lutte contre les sectes, la lutte contre les hooligans et la lutte contre les violences autour des trafics de drogue, mais aussi toutes les luttes, les violences ou les manifestations non déclarées autour des mouvements idéologiques. Il faut bien comprendre que là, quand je dis violence, c’est tel qu’interprété par la police. »

 

« Ce n’est pas un juge qui va qualifier des infractions pénales. Non, c’est la police toute seule pour ces renseignements à elle, qui va surveiller des gens qu’elle considère comme dangereux pour le pouvoir en place » – Arthur Messaud

 

Le décret comporte également un couplet sur les réseaux sociaux

 

Surveillance actée des activités sur ces réseaux avec possibilité de recueil des pseudonymes et identifiant, pas les mots de passe, uniquement les informations mises en ligne volontairement en source ouverte. Mais il sera possible de capter les commentaires et surtout les photos, reconnaissance faciale non exclue.

La CNIL souligne que le résultat devra être recoupé et qu’il ne suffira en aucune manière à lui seul à fonder une décision à l’égard de la personne.

Ces décrets apparaissent comme une nouvelle encoche dans nos libertés. À minima une bombe à retardement si notre histoire démocratique venait à vaciller.

Il y a 12 ans, le fichier Edwige prévoyait de collecter — déjà — des informations sur les opinions des personnes fichées. Des mobilisations citoyennes avaient permis de modifier la donne et le gouvernement avait autorisé le recueil de fichier uniquement sur les activités politiques des personnes et non plus leurs opinions.

Béatrice Dugué

Source France Inter 7 décembre 2020

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