Au lendemain d’une saison des feux particulièrement chargée, notamment dans les Bouches-du-Rhône où l’incendie du 4 août a ravagé 1000 hectares sur les communes de Martigues et Sausset-les-Pins, Jérôme Sambussy, ingénieur à Météo France, se penche sur les liens entre évolutions du climat et augmentation du risque d’incendies.
Météorologue et militant de l’association Alternatiba, née en 2015 à l’occasion de la tenue de la Conférences des parties (COP21) sur le climat à Paris, Jérôme Sambussy est intervenu lors de la première édition du Forum de l’environnement qui s’est tenu le 10 octobre à Sausset-les-Pins (13). Entre exposé sur l’enquête « Réponses » portant sur les pollutions autour de l’étang de Berre et intervention d’une jeune association martégale qui œuvre pour la protection des cétacés en Méditerranée, Miracetti.
« Le risque de feux de forêts est compliqué à saisir, on dit qu’il est multifactoriel. C’est aussi un risque lié au facteur humain, notamment les incendiaires, souvent on pense à ce risque-là et on se dit : « les feux, c’est une forêt, un incendiaire et ça suffit » mais en fait, il y a aussi des risques liés à l’urbanisme, à la gestion de la forêt, de l’environnement en général », souligne d’emblée Jérôme Sambussy. « En quoi le risque météorologique agit sur les feux de forêts ? En fait, il y a une coopération entre la Sécurité civile chargée de la prévention et de la lutte contre les feux de forêts et Météo France qui détermine à travers certains paramètres quels risques météo favorisent les feux de forêts. Les quatre principaux paramètres sont la température, l’humidité, les précipitations (la quantité de pluie qui tombe et qui est tombée) et évidemment, le vent qui joue un rôle dans la propagation du feu.
La coopération entre la Sécurité civile et Météo France est active depuis longtemps et chaque jour, pendant les quatre mois de feux de forêts, une antenne de Météo France travaille avec elle et en fonction de ces quatre paramètres, élabore une carte du risque deux fois par jour. Et c’est à partir de cette carte que les pompiers, les responsables de la Sécurité civile placent leurs moyens de lutte contre les feux de forêts. On a remarqué une corrélation directe entre ces paramètres et les risques ».
En l’occurrence, il faut se garder à la fois d’une certaine vision catastrophiste qui laisserait à penser que la forêt méditerranéenne est définitivement ravagée (ce serait sous-estimer ses capacités de renouvellement) et d’une vision trop optimiste. Il ne suffira probablement pas de déployer des canadairs depuis la base de Nîmes-Garons pour lutter contre les feux si l’on n’agit pas en amont.
« Sur les dix dernières années, le nombre de feux de forêts est en fait assez stable, en surfaces brûlées, il a même légèrement diminué, précise Jérôme Sambussy, on pourrait se dire que le risque diminue mais c’est un effet un peu masqué : l’augmentation des moyens de lutte et l’efficacité de cette lutte masquent le fait que dans les pays où ces moyens n’augmentent pas, la tendance est à l’augmentation de la surface brûlée »
Des projections pour 2030-2050 ?
« En liaison avec les quatre paramètres, on peut faire des prévisions, c’est l’objet du rapport que j’ai un peu étudié qui date de 2010. Il résulte d’une mission interministérielle dans laquelle il y avait le ministère de l’Écologie dont dépend Météo France mais aussi le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Agriculture et l’ONF. Tous ces organismes ont travaillé ensemble pour arriver à des conclusions sur la projection du risque. Cela a donné trois résultats principaux : à l’horizon 2030, on va avoir une augmentation du nombre de jours à risques de feux de forêts. Le deuxième résultat, c’est un allongement de la durée de la saison à risques. Actuellement, grosso modo, cette saison s’étend du mois de juin au mois de septembre. On prévoit une extension plutôt du côté de l’automne : octobre, voire début novembre.
Le troisième résultat remarquable de cette étude c’est l’extension vers le nord des zones sensibles en France. On estime que ça va engendrer des coûts supplémentaires de 20 % à ce qu’ils sont actuellement. Comment on obtient ces résultats ? Avec les projections climatiques : à travers les modèles numériques qui étudient le futur du climat, on est capable de déterminer les paramètres (humidité, température, précipitations et vent). On sait depuis les rapports du GIEC1 qu’il va y avoir d’abord une augmentation de la température. C’est indéniable, tous les résultats vont dans ce sens là. Et quand la température augmente, le végétal transpire, comme nous : on appelle ça l’évapo-transpiration. Le végétal sèche davantage et ça fait du combustible ».
La canicule de 2003 : un été « normal » en 2060 ?
« On estime dans les projections que si on n’est pas actifs dans la lutte contre le dérèglement climatique, à l’horizon 2060 on aura des étés comme celui de 2003, avec une longue canicule très intense qui a fait 15 000 morts et une saison de feux de forêts terrible. Tous les étés ressembleront à cet été 2003 », souligne le météorologue.
Plus près de nous, durant l’été 2019, « on a battu des records de température, notamment dans le Sud-Est de la France », rappelle-t-il. Le record national de 44,1 degrés a été effacé par un 46 degrés enregistré dans l’Hérault. « Pendant cette période, on a eu des incendies d’un type un peu particulier qui ont concerné les oliviers et la vigne qui servent normalement de coupe-feu ».
Le risque, c’est aussi « l’augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité de la sécheresse. Tous les modèles climatiques le prévoient : le sol et la végétation seront plus secs, donc plus propices aux incendies. Pour le vent, c’est un peu moins clair ».
Selon Jérôme Sambussy, le rapport de 2010 2avait deux missions : établir un état des lieux et une forme de prospective et proposer des solutions. Concernant ce dernier aspect, deux préconisations sont, somme toute, classiques : « Donner plus de moyens à la prévention et à la lutte contre les feux de forêts » et accentuer l’information du public : « Il y a certes des incendiaires mais aussi tous ceux qui sont imprudents en faisant des barbecues. » Le troisième est plus rarement évoqué, pour ne pas dire négligé : « Investir dans la recherche pour mieux savoir comment se produisent et évoluent les feux de forêts. » Le quatrième : « Avoir une gestion intelligente des massifs forestiers, ne pas mettre n’importe quel type d’arbres, avoir une gestion raisonnée de l’urbanisme. »
Que ce soit pour l’incendie de Vitrolles en 2016 ou pour celui de Martigues, la question de l’après-feu, de la « réparation » de la forêt et des paysages semble se poser autrement aujourd’hui. Certes, on comprend les impatiences à replanter au plus vite pour surmonter le traumatisme, mais les forestiers citent souvent le précédent de l’incendie de la Sainte-Victoire (plus de 4000 ha brûlés) en 1989, où les efforts de replantation n’ont pas été couronnés de succès. Sur les lieux du sinistre, à Martigues, les techniciens de l’Office national des forêts ont d’abord procédé à des travaux : abattage d’arbres, disposition « des troncs et des branches en travers dans les pentes pour éviter l’érosion des terrains aux premières pluies » comme le précise une technicienne, Angélique Rose 3. Mais pour les replantations, l’ONF considère que la précipitation pourrait être contre-productive. « Il faut faire une expertise, observer les opportunités que nous offre la nature et inversement, quels sont les secteurs où nous allons devoir lui donner un coup de pouce. La mobilisation citoyenne peut être un appui pour nous mais il faut orienter l’action là où ce sera le plus utile et le plus pertinent » 4,souligne Laurent Velasco, responsable du Pôle de défense des forêts contre les incendies à l’ONF.
Il faut aussi compter, pour employer un mot « tendance », sur les capacités de « résilience » de la nature : « les agents forestiers ont déjà observé de petits îlots de végétation ici et là. Romarins, chênes kermès, cistes cotonneux réapparaissent timidement. Au printemps prochain, on y verra plus vert4 ».
« Agir à la source »
Pour Jérôme Sambussy, le plus important reste d’« agir à la source, d’essayer de limiter le changement climatique puisque c’est la cause première de l’augmentation ». Le processus de changement climatique est certes déjà enclenché mais cela ne doit pas, selon lui, conduire au sentiment d’impuissance : « la bonne nouvelle est liée à la mauvaise : l’humain est responsable donc on a un moyen d’action. On peut militer dans des associations, ce n’est pas trop tard : les spécialistes disent qu’on a dix ans pour agir, c’est long et c’est très court ».
Les interventions sur l’augmentation du risque de feux de forêts lui paraissent nécessaires dans la mesure où ce n’est pas le risque le plus connu mais les effets du changement climatique ne se résument pas à cela. Dans les espaces méditerranéens, l’élévation du niveau de la mer est aussi à craindre : « si on continue à fonctionner comme aujourd’hui, à produire comme on produit, à consommer comme on consomme actuellement, on estime que le niveau marin sera à peu près d’un mètre plus haut à l’horizon 2100 ».
Autre phénomène cruellement mis en lumière par les récentes inondations dans les Alpes-Maritimes : « l’augmentation en intensité et en fréquence des épisodes méditerranéens. Il y en a toujours eu car on est au bord d’une mer chaude, pleine d’énergie, et en bordure de la Méditerranée on a des reliefs, donc toutes les conditions sont réunies pour favoriser ces épisodes. Le souci, c’est que quand on augmente la température de l’air, on augmente aussi celle des océans et de la mer, donc on fournit plus d’énergie à ces systèmes-là. J’ajouterais un problème d’accès à la ressource en eau. Avec l’augmentation de la fréquence des sécheresses, non seulement ça va devenir problématique, mais la qualité de l’eau aussi va être moins bonne parce que les polluants se concentrent. Lutter contre le réchauffement climatique, c’est agir contre ce qui va nous toucher mais nous touchera moins si on est actif dans cette lutte ».
Le local, le bon échelon ?
Et pour combattre le catastrophisme, le sentiment d’avoir affaire à des éléments qui nous dépassent, le météorologue plaide notamment pour l’action locale : « Les solutions sont là, il suffit de les adopter massivement et de manière un peu urgente ; un des domaines sur lequel on peut agir, c’est l’alimentation. On n’a pas l’impression mais c’est un grand enjeu du point de vue du changement climatique. Dans notre régime actuel, pour produire de la viande, il faut cultiver beaucoup et pour cultiver beaucoup, il faut utiliser beaucoup d’engrais, d’eau et éventuellement de pesticides. Donc, faire un effort sur la quantité de viande que l’on mange est important, comme le fait de favoriser les circuits courts avec des produits qui ne viennent pas de l’autre bout du monde où il faut de grandes quantités de carburant pour les amener. Essayer d’acheter local, mettre en place une politique où on mange bio, on mange local dans les cantines, ce sont des mesures efficaces ».
Comme bien des gestions municipales l’ont démontré, on peut agir sur les transports au niveau local, notamment dans les grandes villes où le développement du tramway a été un élément majeur des dernières décennies. Pour Jérôme Sambussy, « favoriser les transports « doux », utiliser son vélo, marcher autant que possible et prendre les transports en commun » sont des actes importants en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
Mais tout ne repose pas uniquement sur les actions individuelles, encore faut-il « qu’il y ait une politique générale qui nous fournisse l’occasion d’avoir des transports en commun ».
Autre secteur sur lequel l’action contre le dérèglement climatique peut s’avérer efficace : le bâtiment. « L’isolation a beaucoup d’avantages : on économise sur sa facture d’énergie car ça ne sert à rien, au fond, de produire de l’énergie solaire et éolienne si c’est pour la gaspiller. L’énergie la plus propre c’est finalement celle qu’on n’utilise pas, et celle qu’on n’utilise pas, c’est grâce à l’isolation, ça a plein de vertus ». Et les emplois ne sont pas délocalisables.
Si les pistes d’action existent, attendons encore un peu avant de désespérer (il y a déjà assez de raisons pour cela) et de faire des stages de survivalisme.
Morgan G.